10/09/2014
Réformes de l'orthographe : chapitre II Les réformes
Les projets de réforme, adoptés ou non, ne manquent pas.
Sur le fond, il y a deux positions :
§ Certains considèrent, soit que la langue est intouchable, comme un monument de notre grandeur nationale, soit qu’elle évolue toute seule, sans qu’il y ait besoin de s’en mêler ;
§ D’autres considèrent, soit que la langue (en particulier l’orthographe) peut représenter une barrière au savoir ou à la progression sociale, soit qu’elle contienne des aberrations typographiques sans autre justification que les aléas de l’histoire ou tout simplement des erreurs.
Il y a donc des tenants et des adversaires farouches, chaque fois qu’un projet de modification se fait jour.
Je suis, pour ma part, sur une ligne intermédiaire : il faut toucher à l’orthographe le moins possible (et encore moins à la syntaxe !), il faut absolument enseigner l’orthographe et la typographie (les dictées bien sûr, et aussi ce blogue et d’autres) mais on peut et on doit corriger les aberrations qui subsistent, après analyse approfondie de leur origine, via en particulier l’étymologie (pourquoi chariot et charrette ? pourquoi canard et cannette ?)
L’article de Wikipedia
http://fr.wikipedia.org/wiki/Rectifications_orthographiqu...
explique bien ce qu’il y a de fondé et d’infondé dans l’orthographe du français et ses bizarreries apparentes.
Résumons :
Quand le français a été promu « langue administrative » et « langue du royaume » au XIVème siècle, l’Église, les clercs et les juristes ont résisté pour préserver le latin qu’ils utilisaient et les mettaient hors de portée du bas peuple. Ils ont compliqué à plaisir l’orthographe pour y réintroduire du latin. La graphie qui était initialement phonétique est devenue étymologique mais, malheureusement, avec des bourdes énormes (attribution d’une origine latine erronée à un mot français). C’est ce qui avait donné par exemple « sçavoir » pour le mot « savoir ».
L’arrivée de l’imprimerie a été l’occasion d’un verrouillage encore plus fort de l’orthographe, certains introduisant l’étymologie grecque en plus de la latine !
Dès 1550, cependant, il y a eu des tentatives de simplifier et de revenir à la graphie à base de phonétique. Et ensuite de multiples réformes ont vu le jour.
On considère aujourd’hui que « l’immense majorité des singularités orthographiques du français moderne est pourtant étymologiquement justifié et renoue donc partiellement avec l’origine de la langue ».
Voyons donc ce qu’il en est des réformes et des évolutions consignées dans les éditions successives du Dictionnaire de l’Académie. Je reprends l’article de Wikipedia cité plus haut.
§ En 1718, c’est la deuxième édition du Dictionnaire, les lettres J et V sont adoptées et différenciées du I et du U ;
§ En 1740, la troisième édition modifie l’orthographe d’un tiers des mots ! Les accents apparaissent : trône, écrire, fièvre… L’un des combats de ce blogue (accentuer les mots en minuscule et en majuscule) est donc du XVIIIème siècle !
§ En 1835, réforme de l’orthographe lors de la sixième édition : « enfans » devient « enfants » et la conjugaison « oi » devient « ai » ;
§ En 1878, idem avec la septième édition : certains « ë » sont remplacés par « è » ;
§ Début du XXème siècle : « grand’mère » devient « grand-mère » (contrairement à ce que j’ai écrit dans le billet « facéties orthographiques » du 2 septembre 2014) ;
§ L’accord de « vingt » et de « cent » (abordé dans le billet du 26 août 2014) a fait l’objet d’un « édit de tolérance » du ministère de l’Instruction publique (arrêté Leygues) le 26 février 1901. Il propose de tolérer des orthographes multiples dans les concours. Il a été ignoré… mais repris dans l’arrêté Haby de 1977 ;
§ En 1986 et 1999, les noms de métier sont féminisés (« professeur » et « professeure ») ;
§ En 1990, c’est la réforme Rocard, la dernière en date. Elle fera l’objet d’un prochain billet.
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09/09/2014
Réformes de l'orthographe : chapitre I Principes
J’ai voté pour le quinquennat et j’étais plutôt opposé à la réforme de l’orthographe.
J’ai eu tort.
J’aurais dû voter pour le maintien du septennat et militer pour la loi Rocard de 1990…
Mais, avant de regarder cette dernière réforme, revenons en arrière.
D’abord les dictionnaires : contrairement à une idée reçue, les dictionnaires ne représentent pas une « norme », plus ou moins obligatoire ! Malgré la réputation de lexicographes comme Alain Rey (Le Robert), malgré le prestige du Larousse, les dictionnaires sont des entreprises commerciales qui visent avant tout à refléter la langue de leur époque. Chaque année, ils éliminent un certain nombre de mots qu’ils considèrent comme désuets et, corrélativement, ils introduisent de nouveaux mots, censés être utilisés par nos concitoyens quotidiennement. Les comités éditoriaux de ces dictionnaires censurent peu ou pas du tout ; ils se veulent « miroirs », de sorte que tout un chacun puisse trouver la signification du mot inconnu entendu dans une conversation, dans la rue ou à la télévision. À noter à leur actif : les dictionnaires accentuent les majuscules sans état d’âme et ils incluent les néologismes des commissions de terminologie.
Deuxième institution : les commissions de terminologie. Ce sont des groupes chargés de proposer, dans chaque domaine d’activité (aéronautique, télécoms, informatique, etc.) de nouveaux mots ou de valider des néologismes, essentiellement en réponse à la « franglicisation » galopante de notre époque. Assez mal connues, très peu reprises dans les médias, leurs trouvailles restent souvent dans les arrêtés ministériels mais certaines ont connu de francs succès.
Enfin, l’Académie, décriée, parodiée, ignorée mais l’Académie tout de même ! Les hommes et femmes en habit vert réalisent un travail de fond, de longue haleine, à un train de sénateur, lettre après lettre, dans leur fameuse commission du dictionnaire. Les dictionnaires de l’Académie française paraissent « quand ils sont prêts », c’est dire qu’on les compte sur les doigts de deux mains depuis Richelieu. Ce sont les gardiens du temple.
On pourrait ajouter à cette liste des acteurs, les linguistes et plus particulièrement les spécialistes de la linguistique informatique. En effet, l’informatique donne une puissance inégalée aux recherches sur la langue et permet de simuler, par exemple, l’impact d’un projet de réforme de l’orthographe. M. Roullier, ce professeur d’anglais qui a inventé la morphonétique (en résumé : les mots anglais, contrairement à ce que l’on pense, se prononcent selon leur graphie, sauf exceptions) a travaillé avec « ses petites mains » et disait qu’il ne pouvait pas s’attaquer au problème plus compliqué de l’accent tonique dans la phrase (anglaise) sans l’outil informatique (qu’il ne maîtrisait, hélas, pas). Nous reviendrons sur la linguistique informatique.
Pour conclure ce premier acte d’une série de billets, écrivons noir sur blanc la problématique : sachant qu’une langue vivante, par définition, évolue, faut-il délibérément la modifier ? en particulier, faut-il réformer, de temps à autre, son orthographe ?
Nous verrons qu’il y a déjà eu plusieurs réformes de l’orthographe française. Et le français n’est pas le seul à le faire. L’allemand, après la deuxième guerre mondiale, a abandonné l’écriture gothique, et plus récemment, a légiféré sur un certain nombre de points (par exemple : l’écriture de « ss » et de « ß »).
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08/09/2014
C'est pas une métaphore, c'est une périphrase !
« J’ai bon caractère mais j’ai le glaive vengeur et le bras séculier. L’aigle va fondre sur la vieille buse…
- C’est chouette ça, comme métaphore.
- C’est pas une métaphore, c’est une périphrase.
- Oh, fais pas chier !
- Ça, c’est une métaphore. »
(Michel Audiard, dialogues du film « Faut pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages »).
Métaphore, nom féminin, du latin metaphora, du grec metaphora, de metapherein (transporter) : emploi d'un terme concret pour exprimer une notion abstraite par substitution analogique, sans qu'il y ait d'élément introduisant formellement une comparaison (dictionnaire Larousse). Exemples : une ruse de Sioux, une source de chagrin, un monument de bêtise, l'homme de l'ombre, une peau de chagrin, une fontaine de jouvence, un puits de science, un torrent d'applaudissements, un tonnerre de rires, un nectar des dieux, une avalanche de reproches, un nez en trompette, un soleil de plomb, un froid de canard, un vent à décorner des bœufs, la matière grise, ça m'a coûté la peau des fesses, il m'a fendu, brisé ou arraché le cœur, le repos du guerrier, il a pris des vessies pour des lanternes, voir la paille dans l'œil du voisin et pas la poutre qui est dans le sien (trouvés dans un forum sur internet, les fautes d’orthographe en moins).
Donc, je veux vous entretenir aujourd’hui des métaphores, à travers l’évocation du pavé de Marc Fumaroli, intitulé « Le livre des métaphores » (collection Bouquins chez Robert Laffont, 2012). C'est un cadeau de MFM.
L’immixtion de l’Académicien français dans ce domaine est plutôt curieuse, dans la mesure où, dès sa préface, il indique qu’une Bible existe déjà sur le sujet, le « Dictionnaire des expressions et locutions » d’Alain Rey et Sophie Chantreau (Le Robert, 2003) et cite comme une initiative antérieure de référence le livre de Claude Duneton « La puce à l’oreille »… Même son idée-phare, à savoir présenter les métaphores par thème et non plus par ordre alphabétique, a déjà été utilisée par C. Duneton. Dès lors, M. Fumaroli ne revendique plus qu’une seule innovation : un « dictionnaire » plus complet que les précédents ; et, en effet, au poids, il triomphe (1152 pages).
Le sous-titre qu’il a choisi est tout aussi étrange : « Essai sur la mémoire de la langue française ». En quoi est-ce un « essai » au sens littéraire du terme ? Et en quoi la mémoire du français se réduit-elle aux métaphores ? Mystère…
La motivation de l’auteur est clairement « mémorielle » : il veut sauver de l’oubli des expressions imagées qui sont notre héritage collectif. On sera d’accord avec lui que ces expressions, qui évoquent l’abstrait avec des mots concrets (« manger du lion »…), font le sel de notre langue, évitent l’emphase et le nébuleux, sont immédiatement accessibles à tous et permettent de réagir contre l’appauvrissement lié au globish. En un mot, fleurissons notre langage quotidien en maintenant en vie les métaphores de notre patrimoine lexical.
En ce qui concerne la forme, l’écriture elle-même, on ne peut pas dire que l’Académicien soit irréprochable… il est souvent abscons et donne l’impression de vouloir, mais avec maladresse, « faire de la littérature ». Voyez par exemple cette phrase de sa Préface : « Or c’est cette réalité vécue d’aujourd’hui, d’hier ou d’autrefois, ce sont ces félicités du dire, choisies et sauvées par la mémoire collective et confiées à la langue, qui prêtent leur saveur concrète et imagée au sens second que ces expressions transportent et dont elles vivifient notre langage quotidien ». Légers pléonasmes, mots peu communs, phrase de plus de 15 mots… manifestement, M. l’Académicien ne respecte pas les recommandations de ce blogue !
Je le préfère dans des phrases plus ramassées, telle celle-ci : « … opération de l’esprit qui n’a rien de vulgaire ; elle n’abaisse pas, elle transfigure ; elle ne rabâche pas, elle crée du sens inédit ». (Il parle ici du processus de création des métaphores).
M. Fumaroli considère que la préservation et la remise à l’honneur des métaphores est un acte indispensable de réaction contre une société trop technocratique, trop virtuelle, trop abstraite ; c’est le retour du corps, des sens, de la nature, de la faune et de la flore, à travers la langue. Et quand il convoque La Fontaine, comme créateur de métaphore, et Proust, comme caution, on s’incline.
Laissons-lui le dernier mot : « Les expressions « toutes faites »… n’en recèlent pas moins, à l’état naissant, le secret des plus fulgurants, évidents et stupéfiants énoncés de la poésie, le passage du propre au figuré. Elles sont de merveilleux fossiles, incrustés dans une langue moderne, d’un état ancien et choral de l’invention poétique et sapientale ». On peut faire plus sobre et plus simple mais avouez que c’est bien dit !
Certaines entrées de ce dictionnaire laissent sur sa faim car l’origine de l’expression en est absente. Exemple : à l’article « s’envoyer en l’air », on apprend ce que cela veut dire (…) mais rien de plus. Et ce ne sont pas les deux citations (de C. Millet et de P. Sollers) qui apportent grand’chose.
Cela étant, quand on ne possède pas déjà l’un des ouvrages précédemment cités, ce bouquin est bienvenu pour farfouiller dans le passé et l’origine de ces expressions bizarres que nous employons sans cesse : « prendre ses cliques et ses claques », « couper la chique à quelqu’un », « sous le sabot d’un cheval », etc.
Quelle mine !
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