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28/09/2017

"Ça ne peut plus durer" (Joseph Connolly) : critique II

Jubilatoire, je vous disais, mais pas uniquement. 

Car il y a au moins deux autres niveaux de lecture dans ce livre apparemment fait pour les vacances au Portugal. Il y a la construction elle-même : imparable ! Cette soirée fatale au couple que Jeremy forme avec Anne va déclencher une cascade de catastrophes (relationnelles) en retour ; ça va partir dans tous les sens pour Nan, Jake, Susie, Sammy, Hugo et j’en passe : ruptures, vaisselle cassée (et pas toujours sur le sol…), beuveries, réconciliations provisoires… La déflagration est nucléaire. Mais l’univers dans Joseph Connolly n’est pas en expansion perpétuelle : il trouve le moyen « de revenir au thème » comme dans les improvisations de Pink Floyd, et l’événement probablement imaginaire à l’origine du divorce de Jeremy va finalement se produire vraiment au moment où il retrouve Anne, désespérée par le cynisme, la goujaterie et le machisme du patron (Max, qui ressemble à l’éditeur de Belmondo dans « le Magnifique »). Du grand art ! 

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Et ce n’est pas tout. Au risque d’attirer un sourire d’incrédulité sur le visage de mes lecteurs, je ne crains pas d’affirmer qu’il y a un troisième angle sous lequel apprécier ce livre, plus profond à ce titre que « Vacances anglaises » : l’observation très fine des mœurs de la bourgeoisie aisée, des rapports humains, des difficultés de communication entre les hommes et les femmes, et même un brin de philosophie comme quand l’un des personnages se dit que, quand il n’est pas quelque part, ce quelque part n’existe pas… On pourrait ajouter : « quelque part… » ! 

Voici un extrait de cette eau : « Je ne sais pas si vous êtes déjà sorti avec ce genre de fille – ça n’a rien d’agréable, je peux vous le dire. Elles sont, oh, comment expliquer ça… ? Elles sont avec vous, ouais – mais jamais vraiment ? Vous voyez ? Je veux dire, vous êtes là tant que vous êtes là, mais tout peut arriver, n’importe quand, parce qu’elles passent leur temps à regarder par-dessus leur épaule. Et quelquefois – dans une soirée par exemple – par-dessus la vôtre » (page 170). Moi, ça me fait penser à quelqu’un de précis. 

Il y a les considérations sur les pubs, sur les buveurs de bière qui passent plus de temps à en parler qu’à la boire et sur la façon dont les classes populaires considèrent, par exemple, la libération des mœurs, le changement des unités de mesure, l’ordinateur et la messagerie électronique et même la littérature. Reg, le chauffeur de taxi, parle de « L’amant de Lady Chatterley » : « Je peux vous dire – de votre vie, jamais vous ne pourrez lire une pareille somme de foutaises, quelque chose d’aussi ennuyeux, d’aussi pénible ; je ne comprends absolument pas pourquoi tout le monde faisait un tel foin autour de ça, ni aucun d’entre nous, d’ailleurs (…) Denny m’avait marqué ce qui était théoriquement les meilleurs passages, et je les avais clipsés sur la planchette à l’avant de ma mob. De sorte que, au lieu de réfléchir au meilleur trajet pour Mansion House ou Guildhall, je me disais Mais bon Dieu, quand est-ce que cette pauvre cloche va enfin se décider à s’envoyer en l’air, hein ? Effarant que la mob et moi n’ayons pas fini en purée » (page 292).

Une quinzaine d’années avant le Brexit, il fulmine contre le changement supposé de la devise ancestrale : « Parce que dieux du ciel – les livres, elles sont bonnes pour l’abattoir, vous savez – et je vais me retrouver à devoir me dépatouiller avec des écrus ou je ne sais quelle autre imbécillité que les Boches sont en train de nous imposer mine de rien, à nous, pauvres Anglais » (page 293). 

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Donc au total, sauf si vous détestez les histoires un peu lestes, le langage un peu cru et l’étalage des turpitudes de vos contemporains, précipitez-vous sur ce livre et régalez-vous ! 

Quant à moi, il me reste à lire le quatrième opus, paru en 2001, « SOS »…

25/09/2017

"Ça ne peut plus durer" (Joseph Connolly) : critique I

Désopilant, voilà le mot !

Le genre de bouquin avec lequel, si vous le lisez sur la plage ou dans le métro, vous ne pouvez pas vous empêcher d’éclater de rire toutes les trois pages… 

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Extrait : « On a enterré mon frère la semaine dernière, déclarait-elle. Une cérémonie très simple, au dire de tous » et un ou deux alinéas plus loin, la belle Gladys ajoute : «  Et trois jours après… il est mort. Mon pauvre frère ». Et c’est parti ! Dès la page 10, Joseph Connolly est lâché et son humour (non-sense, understatement…) est ravageur !

Alors, on le connaît l’Anglais déjanté, ancien libraire, avec ses histoires un peu lestes de secrétaires sous les bureaux et de tromperies tous azimuts, son imagination foisonnante pour mettre en scène des situations cocasses et hystériques, et ses dialogues à la mitraillette ! C’est pour cela qu’on adore les Anglais ; pour cela et pour le Brexit.

Pour moi le coup de foudre date de « Vacances anglaises » (1998, Éditions de l’Olivier pour la traduction en français) et de sa suite « N’oublie pas mes petits souliers » (1999). Mes deux livres ont souffert d’une inondation mais je les garde précieusement car ils sont un concentré de délire contemporain et un remède à la morosité. Je ne sais plus si j’en ai déjà rendu compte dans ce blogue, probablement pas, mais je n’ai pas le courage de vérifier. 

J’avais acheté « Ça ne peut plus durer » (2000) dans la foulée mais, constatant qu’il ne s’agissait pas de la suite des aventures de « Vacances anglaises », je l’avais mis de côté ; quelle erreur ! 

Jugez plutôt !

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D’abord un aperçu du style d’écriture de Connolly, avec les passages incessants – mais sans crier gare ! – de la troisième personne à la première, et de la principale à de longues digressions entre parenthèses, censées refléter les réflexions intimes des protagonistes : « Ce dont je me souviens surtout (et pour toujours peut-être ? Qui sait ? Le doute est en moi : qu’est-ce qui peut durer toujours, en fait ? Existe-t-il encore une seule chose qui puisse durer ?), mon seul souvenir de cette soirée, c’est Susie, et uniquement Susie, et la toute première fois où je lui ai menti en la regardant bien en face » (page 127).

Ensuite les métaphores, alambiquées, surréalistes parfois : « Il s’enveloppait de rancune – et voilà qu’il ajoutait une nouvelle couche de mépris de soi, toute fraîche, tandis qu’il secouait la tête, les yeux hagards de chagrin, laissant une torsade des cheveux lisses et soyeux de Susie s’échapper avec fluidité de ses pauvres doigts inutiles – et les observant qui retombaient, comme fait toute chose, et venaient couvrir, elle le comprit soudain, ce sein qu’il ne saurait voir » (page 159). 

« (À propos d’un collègue chauffeur de taxi) : simplement c’est une de ces espèces de caricatures dont on se moque (tiens, d’ailleurs, il pourrait très bien s’appeler Bobby) ; toujours à bavasser et à vouloir refaire le monde, en mieux, évidemment. Je vous jure : collez-le à Downing Street et il donnerait des leçons au gouvernement » (page 188).

« Tony éprouvait des sentiments vifs quoique flous, penché en avant qu’il était – car il pensait à l’avenir – sur la table, dans sa chambre universellement honnie… » (page 189). 

Tony prépare un cambriolage et se met en tenue : « leurs pupilles irradiant des vagues de violence à peine contenue, mais également agrandies, figées dans la béance de leur propre anxiété » et « ce faisant, il se détourna pour éviter non seulement l’haleine immonde de l’absurdité, mais aussi le souffle brûlant de l’angoisse et d’un doute effroyable » (page 190). Et tout le récit du cambriolage est de la même veine, un régal. 

George pense à sa femme Shirley qui aimait un peu trop le gin tonic et qui maintenant l’a quitté. Il conclut : « Voilà une chose dont je n’aurai plus à m’inquiéter, en tout cas, oui – voilà une pomme de discorde que je peux sans souci ranger au cellier » (page 277). C’est du Boris Vian ! 

En fait, dès que Gladys s’est ruée sur Jeremy et s’est fait appeler Marsha, puis Maria (ça ne vous fait pas penser à une chanson des Beatles ?), on est embarqué dans l’histoire, et pas seulement au premier degré des blagues hilarantes.