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03/11/2024

"Vauban ou la mauvaise conscience du roi" (Alain Monod) : critique I

L’avocat et historien Alain Monod a publié en 2008, chez Riveneuve Éditions (en français : Les éditions Riveneuve...), un livre fort intéressant sur un personnage très célèbre (celui qui a imaginé et construit les fameuses fortifications autour de l’Hexagone, en tant que Lieutenant général des armées du Roi) mais à propos de deux aspects peu connus du personnage : son parti pris pour la liberté de culte de la Religion réformée d’une part et sa proposition d’un chamboulement complet du système fiscal de l’époque d’autre part. Bien sûr, le Roi en question, c’est Louis XIV, qui est peint ici comme un souverain peu lucide, entêté et obsédé par la guerre.

Ce n’est évidemment pas le premier livre consacré à Vauban ; la bibliographie fournie en annexe en dénombre une vingtaine, dont celui d’une de nos connaissances : Bernard Pujo (l’auteur d’une « Histoire de Vézelay » dont nous avons parlé antérieurement dans ce blogue). Cette « proximité » n’est pas un hasard ! Alain Monod écrit justement page 53 : « Il est vrai que la seigneurie de Bazoches (Vauban y a son château) a pour voisine la prospère abbaye de Vézelay, connue dans l’histoire pour sa capacité à saigner les terres relevant de sa mouvance » (soit dit en passant, les deux livres que j’ai lus sur l’histoire de Vézelay ne sont pas aussi sévères avec les abbés...). Mes lecteurs se rappelleront que ces trois livres font partie de ma propre « Suite littéraire de Vézelay » (cf. mon billet du 8 juillet 2024 : Vézelay : suite littéraire).

« Vauban ou la mauvaise conscience du Roi », donc, n’est pas une biographie du Maréchal de France ! La naissance et la carrière de Vauban sont expédiées en 7 pages et résumées sous forme de « Repères chronologiques » en annexe. Non, il s’agit ici de mettre en avant les deux grandes affaires – non militaires – qui l’ont occupé jusqu’à sa mort en 1707 (huit ans avant celle du Roi-Soleil) et auxquelles il a consacré sa fougue, sa persévérance, son honnêteté intellectuelle, sa rigueur, sa détestation de l’injustice, au risque même d’indisposer son souverain que pourtant il servait avec une fidélité indéfectible. Par ces deux contributions écrites, maintes fois amendées et complétées, il anticipait la Révolution qui proclamera la fin de la monarchie presque un siècle plus tard.

Dire, comme dans le sous-titre de l’essai, qu’il fut « la mauvaise conscience du roi », est peut-être excessif, voire anachronique, car Alain Monod lui-même présente le roi en question comme un monarque indifférent, en règle générale, à tout ce qui n’est pas lui, et en particulier aux suggestions qui ne cadrent pas avec ses convictions. Ceux qui ont osé s’opposer à lui – ou simplement les personnages dont l’étoile a pâli à ses yeux – l’ont payé cher, au minimum par un bannissement de la Cour. Ce ne fut pas le cas de Vauban qui était très apprécié de Louis XIV et même admiré par lui ; le roi se contenta de faire la sourde oreille et d’ignorer les propositions de son Lieutenant général.

 Ce militaire, expert en sièges de ville et de places fortes, et en fortifications très difficiles à prendre, ne se contente pas d’apporter ses compétences en attaque et en défense au roi de France : il s’exprime ouvertement sur tous les sujets connexes : les territoires qu’il n’aurait pas fallu revendiquer, ceux pour qui au contraire on aurait dû le faire, les résultats des traités, certaines décisions du roi (l’acceptation du testament espagnol de Charles II en 1700...). C’est déjà miracle qu’il ait pu afficher de telles critiques sans encourir la disgrâce du monarque absolu...

 J’aurais d’ailleurs aimé trouver quelques « développements pour non-spécialistes » sur l’apport de Vauban au génie militaire, et aussi sur sa méthode d’estimation des coûts qui, je crois l’avoir vu dans une exposition il y a longtemps, était innovante pour l’époque. Mais, bien sûr, tout cela n’était pas l’objet de l’essai de M. Monod.

La guerre et les conquêtes ne sont pas les seuls domaines sur lesquels il donne son avis et fait part de sa désapprobation : catholique convaincu mais modéré, il n’épargne pas l’Église, certains prélats et surtout les moines, qu’il déteste.

 Mais, au-delà de ses compétences professionnelles et de ses irritations, admiré et respecté de tous, il ne craint pas de sortir de sa « zone de confort » en s’attelant à deux sujets ardus qui ne peuvent que lui attirer des ennuis en cette période d’absolutisme : la tolérance religieuse (il nous a fallu, à nous, attendre la loi de 1905 !) et la justice fiscale. Comment ne pas y trouver une résonance avec nos débats d’aujourd’hui ?

23/07/2024

"Romain Rolland" (Stefan Zweig) : critique I

Romain Rolland (né à Clamecy le 29 janvier 1866 – mort à Vézelay le 30 décembre 1944) est un écrivain français aujourd’hui peu connu et très peu lu, qui a été surtout célèbre (et vilipendé) pour son pacifisme pendant la Grande Guerre et pour sa haute exigence morale. Très influencé par Léon Tolstoï, admirateur de Beethoven et de Michel-Ange, puis de Gandhi, musicien et musicologue, il a écrit entre autres le roman « Jean-Christophe » entre 1904 et 1912, et a reçu le Prix Nobel de littérature en 1915.

Il a été très ami avec Stefan Zweig, qui le considérait comme un maître et qui a écrit en 1921 une biographie qui est surtout une apologie…

Quelques mots sur Stefan Zweig : pour moi, c’est l’auteur d’un chef d’œuvre « Le monde d’hier », un novelliste très apprécié (j’ai lu sans passion « Amok », « Vingt-quatre heures de la vie d’une femme », « Lettre d’une inconnue »…) et un biographe donc.

Voulant rendre compte de cet ouvrage, « Romain Rolland : der Mann und das Werk », traduit par Odette Richez et révisé par Serge Niémetz (j’utilise la sixième édition du Livre de poche d’août 2023), je suis devant deux sujets différents : d’abord l’art de la biographie, dans lequel Zweig est connu pour exceller et ensuite la vie et l’œuvre de Rolland, telles que nous les présente Zweig.

En fait de biographie, je ne connais guère que celles consacrées par Dominique Bona (Académicienne depuis dix ans) à André Maurois, à Paul Valéry, à Romain Gary, à Berthe Morisot, à Camille et Paul Claudel. Ces livres m’ont enchanté, surtout le premier (« Il n’y a qu’un amour »), pour des raisons personnelles. Il est vrai que Mme Bona s’intéresse surtout aux événements sentimentaux qui ont émaillé la vie bien remplie de ces personnages célèbres, et particulièrement à la place des femmes ou au regard des femmes.

Rien de tel dans l’ouvrage de Stefan Zweig ! La biographie proprement dite n’occupe qu’une petite partie du texte (50 pages sur 340 !) ; et d’ailleurs, datant de 1921, elle n’embrasse qu’une petite partie de l’existence de son sujet, décédé en 1944 ; tout le reste, c’est une analyse approfondie – et parfois fastidieuse, disons-le – de l’œuvre littéraire et politique de Romain Rolland, présentée sous forme de courts chapitres thématiques : le cycle des drames inconnus (non publiés) (1890-1895), « les Tragédies de la foi » (publiées seulement en 1913, dix ans après leur écriture), « le Théâtre de la Révolution » (1896-1902), « Les vies des hommes illustres » (Beethoven, Michel-Ange, Tolstoï), « Jean-Christophe » (Zweig va jusqu’à consacrer de courtes monographies aux trois personnages principaux, ainsi qu’à l’image de la France, de l’Allemagne et de l’Italie dans le roman !), « Colas Breugnon », sa débauche d’efforts pour éviter la guerre, les Manifestes, « Au-dessus de la mêlée » (septembre 2014), la correspondance de Rolland, son rôle de conseiller, son Journal (celui tenu pendant l’Occupation deviendra célèbre…). Zweig entrecoupe le fil historique de l’analyse des ouvrages successifs, d’analyses transverses : l’époque et l’œuvre, aspiration à la grandeur morale, Jean-Christophe et les nations, Rolland prophète, etc.

Il suit en cela les recommandations de Goethe, rappelées en exergue : « Lorsque nous étudions une biographie, qui se développe sur plusieurs plans différents, nous nous trouvons obligés (…) de rapprocher tout ce qui peut constituer une suite logique ».
C’est donc un livre quelque peu encyclopédique (la table des matières est explicite), sans beaucoup d’objectivité probablement, une sorte de travail universitaire, au style neutre et sans éclat, instructif évidemment en tant qu’introduction à l’œuvre de Romain Rolland mais plutôt réservé, me semble-t-il, à ceux qui l’étudient.
Dans un billet à venir, prenant l’avis de Stefan Zweig pour argent comptant, nous examinerons ce qu’il nous apprend de son modèle moral : Romain Rolland.
Dans une courte préface, S. Zweig écrit : « avant tout (de) rendre témoignage à l’homme qui fut pour moi, et pour beaucoup d’autres, le plus grand événement moral de notre époque (…) Ce livre (…) a été dicté par un sentiment de reconnaissance pour avoir connu, au milieu de notre siècle égaré, le miracle d’une existence toute de pureté ».

 

05/07/2024

Toute ressemblance, etc. : réponses

(1) Quel écrivain a-t-il écrit ce texte ? Stefan Zweig

(2) De quel écrivain parle-t-il ? Romain Rolland (biographie publiée en 1921 à Francfort, sous le titre originel « Romain Rolland : der Mann und das Werk »)

(3) De quel livre parle-t-il ? « Danton », pièce écrite en 1900 par Romain Rolland, dans le cadre de son cycle dramatique « Le théâtre de la Révolution »

(4) De quelle période parle-t-il ? La Révolution française, et la lutte entre Danton et Robespierre (page 135 de l’édition du Livre de poche).

Toute ressemblance avec la période contemporaine (Élections législatives anticipées des 30 juin et 7 juillet 2024) ne serait évidemment que pure coïncidence...