15/09/2014
Réformes de l'orthographe : chapitre IV L'orthographe rectifiée de 1990
Suite à la demande du Premier ministre de l’époque, les rectifications de l’orthographe française ont été publiées au Journal officiel du 6 décembre 1990, par le Conseil supérieur de la langue française, avec la bénédiction de l’Académie française.
Les « Principes » qui figurent en tête de cette publication sont d’une telle qualité formelle et sur le fond, que je ne résiste pas au plaisir de les publier ici, avant de reproduire, dans les billets suivants, les principales mesures préconisées.
La langue française, dans ses formes orales et dans sa forme écrite, est et doit rester le bien commun de millions d’êtres humains en France et dans le monde.
C’est dans l’intérêt des générations futures de toute la francophonie qu’il est nécessaire de continuer à apporter à l’orthographe des rectifications cohérentes et mesurées qui rendent son usage plus sûr, comme il a toujours été fait depuis le XVIIe siècle et comme il est fait dans la plupart des pays voisins.
Toute réforme du système de l’orthographe française est exclue : nul ne saurait affirmer sans naïveté qu’on puisse aujourd’hui rendre « simple » la graphie de notre langue, pas plus que la langue elle-même. Le voudrait-on, beaucoup d’irrégularités qui sont la marque de l’histoire ne pourraient être supprimées sans mutiler notre expression écrite.
Les présentes propositions s’appliqueront en priorité dans trois domaines : la création de mots nouveaux, en particulier dans les sciences et les techniques, la confection des dictionnaires, l’enseignement.
Autant que les nouveaux besoins de notre époque, le respect et l’amour de la langue exigent que sa créativité, c’est-à-dire son aptitude à la néologie, soit entretenue et facilitée : il faut pour cela que la graphie des mots soit orientée vers plus de cohérence par des règles simples.
Chacun sait la confiance qu’accordent à leurs dictionnaires non seulement écrivains, journalistes, enseignants, correcteurs d’imprimerie et autres professionnels de l’écriture, mais plus généralement tous ceux, adultes ou enfants, qui écrivent la langue française. Les lexicographes, conscients de cette responsabilité, jouent depuis quatre siècles un rôle déterminant dans l’évolution de l’orthographe : chaque nouvelle édition des dictionnaires faisant autorité enregistre de multiples modifications des graphies, qui orientent l’usage autant qu’elles le suivent. Sur de nombreux points, les présentes propositions entérinent les formes déjà données par des dictionnaires courants. Elles s’inscrivent dans cette tradition de réfection progressive permanente. Elles tiennent compte de l’évolution naturelle de l’usage en cherchant à lui donner une orientation raisonnée et elles veillent à ce que celle-ci soit harmonieuse.
L’apprentissage de l’orthographe du français continuera à demander beaucoup d’efforts, même si son enseignement doit être rendu plus efficace. L’application des règles par les enfants (comme par les adultes) sera cependant facilitée puisqu’elles gagnent en cohérence et souffrent moins d’exceptions. L’orthographe bénéficiera d’un regain d’intérêt qui devrait conduire à ce qu’elle soit mieux respectée, et davantage appliquée.
À l’heure où l’étude du latin et du grec ne touche plus qu’une minorité d’élèves, il paraît nécessaire de rappeler l’apport de ces langues à une connaissance approfondie de la langue française, de son histoire et de son orthographe et par conséquent leur utilité pour la formation des enseignants de français. En effet, le système graphique du français est essentiellement fondé sur l’histoire de la langue, et les présentes rectifications n’entament en rien ce caractère.
Au-delà même du domaine de l’enseignement, une politique de la langue, pour être efficace, doit rechercher la plus large participation des acteurs de la vie sociale, économique, culturelle, administrative. Comme l’a déclaré le Premier ministre, il n’est pas question de légiférer en cette matière. Les édits linguistiques sont impuissants s’ils ne sont pas soutenus par une ferme volonté des institutions compétentes et s’ils ne trouvent pas dans le public un vaste écho favorable. C’est pourquoi ces propositions sont destinées à être enseignées aux enfants — les graphies rectifiées devenant la règle, les anciennes demeurant naturellement tolérées ; elles sont recommandées aux adultes, et en particulier à tous ceux qui pratiquent avec autorité, avec éclat, la langue écrite, la consignent, la codifient et la commentent.
On sait bien qu’il est difficile à un adulte de modifier sa façon d’écrire. Dans les réserves qu’il peut avoir à adopter un tel changement, ou même à l’accepter dans l’usage des générations montantes, intervient un attachement esthétique, voire sentimental, à l’image familière de certains mots. L’élaboration des présentes propositions a constamment pris en considération, en même temps que les arguments proprement linguistiques, cet investissement affectif. On ne peut douter pourtant que le même attachement pourra plus tard être porté aux nouvelles graphies proposées ici, et que l’invention poétique n’y perdra aucun de ses droits, comme on l’a vu à l’occasion des innombrables modifications intervenues dans l’histoire du français.
Le bon usage a été le guide permanent de la réflexion. Sur bien des points il est hésitant et incohérent, y compris chez les plus cultivés. Et les discordances sont nombreuses entre les dictionnaires courants, ne permettant pas à l’usager de lever ses hésitations. C’est sur ces points que le Premier ministre a saisi en premier lieu le Conseil supérieur, afin d’affermir et de clarifier les règles et les pratiques orthographique.
Dans l’élaboration de ces propositions, le souci constant a été qu’elles soient cohérentes entre elles et qu’elles puissent être formulées de façon claire et concise. Enfin, les modifications préconisées ici respectent l’apparence des textes (d’autant qu’elles ne concernent pas les noms propres) : un roman contemporain ou du siècle dernier doit être lisible sans aucune difficulté. Des évaluations informatiques l’ont confirmé de manière absolue.
Ces propositions, à la fois mesurées et argumentées, ont été acceptées par les instances qui ont autorité en la matière. Elles s’inscrivent dans la continuité du travail lexicographique effectué au cours des siècles depuis la formation du français moderne. Responsable de ce travail, l’Académie française a corrigé la graphie du lexique en 1694, 1718, 1740, 1762, 1798, 1835, 1878 et 1932-35.
En 1975 elle a proposé une série de nouvelles rectifications, qui ne sont malheureusement pas passées dans l’usage, faute d’être enseignées et recommandées.
C’est dans le droit-fil de ce travail que le Conseil a préparé ses propositions en sachant que dans l’histoire, des délais ont toujours été nécessaires pour que l’adoption d’améliorations de ce type soit générale. En entrant dans l’usage, comme les rectifications passées et peut-être plus rapidement, elles contribueront au renforcement, à l’illustration et au rayonnement de la langue française à travers le monde.
Allez, restons critique ! il y a une faute d’orthographe dans l’un des derniers paragraphes (un « s » oublié au pluriel de « modification »). Je l’ai corrigée, naturellement.
08:00 | Lien permanent | Commentaires (0)
14/09/2014
Les bons mots-ments de Valérie
Le livre de Valérie T. a déclenché pas mal de polémiques, d’ordre politique (« elle affaiblit le Président et donc la fonction »), psychologique (« victime, n’a-t-elle pas le droit de se défendre, voire de se venger ? ») ou moral (« on ne déballe pas comme cela la vie privée de quelqu’un »)…
Mais j’ai eu la surprise de constater qu’un groupe de défense du français l’avait épinglé à cause de huit fautes d’orthographe, qui auraient échappé à la relecture de l’éditeur…
Le justicier de l’orthographe qui se cache derrière le site Bescherelle ta mère a relu et corrigé le livre et conclut : « La prochaine fois, Valérie, tu te reliras avant de publier un livre. Merci pour ce moment de français ».
Voici quelques-unes des huit grosses fautes de français :
Ne lui jetons pas la pierre ! chacun fait des fautes d'orthographe, qui sont souvent des fautes d'inattention, même les grands écrivains. Et, en l'espèce, on ne sait pas qui de l'écrivain ou de l'éditeur est responsable des fautes.
Est-ce que cela donne raison à certains libraires de ne pas distribuer le livre dans leur rayon ?
« Nous avons 11000 livres. Nous n'avons pas vocation à être la poubelle de Trierweiler et Hollande »,
« Désolés, nous n'avons plus le livre de Valérie Treirwieller (sic) MAIS il nous reste des ouvrages de Balzac, Dumas, Maupassant, etc. »
ou encore : « La libraire n'a pas vocation à être la machine à laver du linge sale de Madame Trierweiler »
tels sont les messages qu'ont affiché certains libraires à l'entrée de leur magasin, comme le rapporte Rue89.
Mais, là, on retrouve des questions qui sont hors de propos dans ce blogue.
08:03 | Lien permanent | Commentaires (0)
13/09/2014
Mon florilège à moi
Depuis René Étiemble et son "Parlez-vous franglais" de 1963, on sait que l'invasion du français par l'anglais a pris des proportions inouïes ; c'est pour cela qu'il a inventé le terme "franglais". Et c'est pour cela que, périodiquement, des articles et des livres (j'en ai cité quelques-uns) crient "halte au feu".
J'ai aussi parlé de l'Académie de la carpette anglaise, qui ne rate pas une occasion de flinguer les snobs et les inconscients qui usent et abusent du franglais.
En attendant que ces cénacles huppés m'invitent à les rejoindre, je crée aujourd'hui mon florilège des termes les plus aberrants et les plus risibles (selon moi). Je ne montrerai pas du doigt des personnes mais des pratiques et des manies.
Que mes lecteurs (21 par jour en ce moment !) n'hésitent pas à me signaler leurs "bêtes noires" du vocabulaire et du langage. Je les ajouterai à mon bestiaire.
La palme revient peut-être à l’horripilant "aux jours d'aujourd'hui", pléonasme pédant qui alourdit la phrase inutilement. Rien à voir, évidemment, avec ce qu'écrit Giono dans "Deux cavaliers de l'orage" (NRF Gallimard, 1965, page 73) : "Le jour d'aujourd'hui n'a pas été annoncé". Car il aurait pu écrire, tout aussi bien : l'aurore d'aujourd'hui n'a pas été annoncée.
« Faire le buzz », qui énerve une majorité de Français, se passe de commentaire.
Je déteste particulièrement le mot passepartout "juste", calque du "just" anglosaxon. « C’est juste un essai », au lieu de « C’est seulement un essai » ou « Ce n’est qu’un essai ». "J'ai juste pas faim" (pour "je n'ai pas faim du tout" ou bien "c'est simplement que je n'ai pas faim").
Je m’irrite de la construction « pour ne pas qu’il proteste », « pour pas qu’j’y aille », calqué sur « pour ne pas y aller », alors que l’on devrait dire « pour qu’il ne proteste pas », « pour que je n’y aille pas » ou « pour m’empêcher d’y aller ».
Et que dire de « quand viens-tu sur Paris ? », au lieu de « quand viens-tu à Paris ? »… ? C’est à croire que tout le monde voyage en hélicoptère et reste en vol stationnaire au-dessus de sa destination !
Le « de » à la place du « des » devant une consonne, pour l’euphonie, est de plus en plus ignoré ; on devrait dire « de simples sympathisants » et non pas « des simples sympathisants ».
Les économistes et les financiers n’ont que le mot « anticiper » à la bouche… ne croyez pas que c’est parce qu’ils « font par avance » (au tennis, il faut anticiper) ou qu’ils « considèrent un événement futur comme s’il s’était produit » (les deux acceptions du mot qu’indique le dictionnaire Hachette de 1991). Non, si c’était le cas, ça se saurait ! On ne les a pas vus à l’œuvre lors de la crise de 2007, la plupart n’avaient rien vu venir du tout. Non, ces experts ès gros sous et ès fusions-acquisitions utilisent le verbe « anticiper » comme le verbe « attendre ». Regardez ci-dessous :
Alors pourquoi ne pas écrire tout simplement : « Le PDG s’attend à une forte croissance… ».
Je n’aime pas le substantif « le futur », bien qu’il soit symétrique de « le passé » et que le même dictionnaire l’accepte sans barguigner. Je préfère l’avenir.
Un tic de langage de Bernard Thibault ou peut-être de la CGT ou même plus ancien, du PC de Georges Marchais, je ne sais pas trop, est agaçant. Jean-Marie Le Guen l’a repris à son compte, peut-être pour faire peuple… Il consiste à dire : « Il faut discuter, y compris avec les partenaires sociaux… ». « Y compris » s’applique à quoi ? à rien du tout. En fait, il faut entendre : « Il faut discuter avec tout le monde, y compris avec les partenaires sociaux ». Mais ces gens-là sont si pressés !
Initialement, ils ont créé, sur le modèle anglosaxon « qui fait bien », le Vendée Globe Challenge, qui peut se traduire par : la course, la compétition autour du globe au départ ou sous le patronage de la Vendée, le départ et l’arrivée étant aux Sables d’Olonne. Il faut savoir que le français a tendance à ne garder que les premiers mots d’une expression nominale quand il s’agit d’abréger. Quand cette expression est construite sur le modèle anglosaxon (avec le déterminant en tête et le déterminé à la fin), cela donne des résultats cocasses : ici, on parlera du « Vendée Globe », qui n’a rien d’un globe mais reste avant tout une course ! Bizarrement, la course Paris-Dakar est appelée Dakar tout court et se déroule en Amérique du Sud.
J'aime bien rappeler que si on amène un enfant à l'école, on apporte un gâteau à table. Et non pas l'inverse. Et que "avant que" et "après que" ne sont pas symétriques : "avant", on ne sait pas, donc on met le subjonctif ; "après", on sait, donc on met l'indicatif. On dira donc : "avant qu'elle ne me quitte" et "après qu'elle m'avait quitté"...
Connaissez-vous ces deux merveilles ?
- le "wedding planner", qui se veut le nouveau métier de ceux qui organisent le mariage des autres ;
- le "summer jobbing", qui consiste à trouver un petit boulot pour l'été.
À vrai dire, il y en a des troupeaux de ces franglicismes paresseux et snobs… : telle personne shazamme à qui mieux mieux sur son téléphone, tel revenant politique se réjouit de ce que 35000 internautes aient liké son interview et tous conviennent que les temps sont durs et qu’il ne faut pas se louper… Quelle époque !
Mais, depuis le temps, je ne digère toujours pas "SMS", alors que "texto" est si joli, non plus que « mail » (prononcé avec une diphtongue : mayle…), alors que les Québécois nous ont donné « courriel » (pour les message) et la Commission de terminologie « mél. » (pour le canal, à savoir la messagerie internet).
Terminons, provisoirement, par le fameux « gagnant-gagnant », tarte à la crème des politiques et des manageurs de tout poil. C’est bien sûr un calque de l’américain « win-win » (ce n’est pas la seule utilisation du mot : il y a aussi l’inénarrable « quick win », pour « victoire rapide », très en vogue chez les chefs de projet à la page). Souvenons-nous quand même que le français dispose de l’expression « donnant-donnant », qui peut servir de transposition. On peut gloser sur la différence d’approche entre Américains et Français sur le sujet : tandis que les premiers mettent en avant le fait que les deux parties vont gagner (quelque chose), les derniers, plus réalistes pour une fois, pensent que chacune va surtout avoir à donner quelque chose (pour aboutir à l’accord ou au compromis).
Et vous, quelles sont vos expressions favorites et vos bêtes noires ?
À vos plumes !
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