21/11/2025
"L'heure des prédateurs" (Giuliano da Empoli) : critique I
Je ne connaissais pas Giuliano da Empoli, cet écrivain italien (et suisse) qui a été reçu à l’émission « Répliques » d’Alain Finkielkraut. On m’a donné son dernier essai « L’heure des prédateurs », publié au début de 2025 chez Gallimard, dont la quatrième de couverture indique que ses livres « Les ingénieurs du chaos » et « Le mage du Kremlin » (Grand prix du roman de l’Académie française en 2022) ont été traduits en plus de trente langues.
Da Empoli, en plus d’être écrivain – en italien et en français (et quel français !) – a l’air de bien connaître à la fois l’histoire et les Grands du monde d’aujourd’hui, qu’il a accompagnés parfois en tant que conseiller ou observateur. Il a tiré de cette expérience une vision plutôt sombre de la géopolitique et surtout de l’avenir que l’on nous prépare. Que l’on en juge par le dernier paragraphe de son avant-propos : « Aujourd’hui, l’heure des prédateurs a sonné et partout les choses évoluent d’une telle façon que tout ce qui doit être réglé le sera par le feu et par l’épée. Ce petit livre est le récit de ces faits, écrit du point de vue d’un scribe aztèque et à sa manière, par images, plutôt que par concepts, dans le but de saisir le souffle d’un monde, au moment où il sombre dans l’abîme, et l’emprise glacée d’un autre, qui prend sa place» (page 13) !
Sur la forme, l’essai de G. da Empoli est agréable à lire car il est constitué d’une dizaine de chapitres commençant chacun par une histoire ou une anecdote qui illustrent son propos ou servent de métaphore pour décrire ce qui nous arrive. C’est sans doute ce qu’il veut dire quand il parle à plusieurs reprises de sa fonction de « scribe aztèque »...
Et justement, première référence historique : le comportement de l’empereur aztèque face aux envahisseurs espagnols ; c’est la métaphore de la soumission ou en d’autres termes de l’esprit de Munich (le déshonneur et la guerre). Pour M. Empoli, les envahisseurs aujourd’hui sont indubitablement internet, les réseaux sociaux et l’intelligence artificielle.
À l’Assemblée générale des Nations Unies les personnages, interdépendants, qui déambulent dans les couloirs – souvent ils courent ! – appartiennent à trois catégories : d’abord les dirigeants, hommes politiques, chefs de gouvernement, ensuite les conseillers, souvent appelés « sherpas » (en France, on a connu dans ce rôle Jacques Attali et Anne Lauvergeon) et enfin les gardes du corps. Chaque catégorie a sa place et son rôle.
Notre auteur s’est amusé à rattacher le comportement de ces dirigeants à l’un des stéréotypes représentés par trois séries télévisées anglo-saxonnes à succès : The West Wing, House of Cards et Veep ; dans cette dernière série, la vie politique est montrée comme « une comédie des erreurs permanentes, dans laquelle les personnages, presque toujours inadaptés au rôle qu’ils occupent, tentent de s’en sortir, se dépêtrant de situations toujours inattendues, souvent absurdes, parfois ridicules » (page 23). Sa petite statistique personnelle est que 70 % des cas observés relèvent de Veep ! Plutôt inquiétant... Inquiétant aussi pour les dirigeants en question, qui, arrivés à un stade où ils n’écoutent plus personne, chutent aussi brutalement qu’ils se sont élevés ! Sachant que, dans la grande salle de l’AG des NU, très peu de délégués écoutent leurs discours...
Quant aux sherpas, leur période de gloire semble bien terminée, maintenant que les dépenses d’armement augmentent sans cesse et que le recours aux interventions guerrières remplace la diplomatie. À vrai dire ce n’est pas si nouveau, et M. da Empoli évoque avec perfidie l’expédition militaire de Charles VIII et son cortège d’exactions et de massacres de civils perpétrés par les armées françaises. Dans les périodes où les technologies offensives (missiles hypersoniques, drones, etc.) se développent plus vite que les défensives, la guerre prend le dessus sur la négociation. « À l’avenir, certains prétendent qu’un seul individu pourra déclarer la guerre au monde entier, et la gagner » (page 48). Aujourd’hui qu’un synthétiseur d’ADN coûte le prix d’une voiture d’occasion, le dernier ChatGPT pourrait être utilisé pour créer des armes toutes plus terrifiantes les unes que les autres ; et cet outil est mis sur le marché sans réglementation aucune pour nous en protéger...
07:00 Publié dans Da Empoli G., Économie et société, Essais, Littérature, Livre, Science, Société | Lien permanent | Commentaires (0)



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