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16/09/2025

Variations littéraires sur la synchronicité

Je crois, comme Anne L., à la synchronicité, notion inventée par le psychanalyste Carl-Gustav Jung et le physicien Wolfgang Pauli, et qui désigne les événements simultanés sans relation de cause à effet (le fameux scarabée doré de Jung).

En voici une illustration amusante. Dans le réseau LinkedIn, j’ai vu, en 2023, un billet qui rappellait la performance des premières conductrices dans le rallye automobile féminin Paris-Saint Raphaël au début du XXème siècle. Au même moment, lisant « Les courriers de la mort » de Pierre Magnan, je tombe sur ce passage :

« Quand ils se retournèrent avec des soupirs divers après cet effort, ils n’en crurent pas leurs yeux. Sous le vent, éclairée de face par la lune ronde, ils pouvaient contempler une gravure de mode bien faite pour illustrer un rallye Paris-Saint Raphaël d’avant-guerre.

C’était une dame drapée dans un manteau long à boas de casoar à casque et qui se tenait élégamment debout devant une Delage blanche modèle 1930 » (page 86).

Ne dirait-on pas Renée Friederich, vainqueur en 1931 sur une Bugatti ?

Renée Friedrich et sa Delage - rallye Paris St Raphaël.jpeg

Elle fut appelée à concourir l’année suivante par Louis Delage : « Pour Renée, on a dû avancer le dossier du siège de la Delage afin que ses pieds atteignent le pédalier. La conductrice est littéralement collée au volant, une position bien peu confortable pour piloter un engin aussi puissant. Tout se passe bien jusqu'à la course de côte de Pougues, près de Nevers, dans la Nièvre. On ignore pour quelle raison la D8 S pilotée par Renée quitte l'asphalte de la Nationale 7, fait un tonneau et vient terminer sa course dans un arbre. La position de conduite peu confortable de la jeune femme ? une plaque de verglas comme le prétendra la presse ? Toujours est-il que Mlle Friederich est tuée sur le coup, coincée par son énorme volant ». (source : http://education-programme.over-blog.com/2017/07/renee-friederich-1912/1932.html). Elle décède donc l’année suivant sa victoire, à l’issue d’une banale sortie de route. Elle avait vingt ans !

Tout aussi intriguant est ce clin d’œil de la littérature, qui met en scène deux écrivains membres de l’Académie Goncourt : la célèbre Colette (1873-1954) et Jean Ajalbert (1863-1947), tous deux contemporains de Marcel Proust, soit dit en passant.

Cet été 2025, j’ai lu de Jean Ajalbert « Les Amants de Royat » (1939), livre qui raconte la passion entre le Général Boulanger et une femme mariée, Madame de Bonnemains, dans les années 1887-1891. Cette passion va décider du destin politique du Général : pourtant auréolé d’une immense popularité, il renoncera à « marcher sur l’Élysée » comme l’y pousse la coalition hétéroclite de royalistes, de bonapartistes et d’opportunistes qui le soutient. Notre auteur prolifique a publié, de 1886 à 1941, quantité de livres sur des sujets aussi divers que l’Auvergne, l’Indochine, le Symbolisme, l’aviation et la peinture. Il a été dreyfusard, a écrit dans l’Humanité et, à la fin de sa vie, dans l’organe de Jacques Doriot, ce qui lui a valu d’être associé aux collaborationnistes Brasillach, Céline et Drieu La Rochelle. Il est aujourd’hui oublié et je n’aurais jamais rien lu de sa plume si je n’avais pas trouvé son récit dans une armoire... en Auvergne.

Le hasard ( ?) a voulu que j’enchaîne avec « L’ingénue libertine » de Colette, écrit en 1909 à 36 ans et publié sous la signature de Colette Willy. Ce roman « féministe » a pour sujet l’insatisfaction sensuelle et affective d’une jeune femme, Minne, qui ne trouve nulle part la réalisation de ses fantasmes d’adolescente. Il est loin de m’avoir déplu, bien qu’il ait été écrit laborieusement en deux fois par Colette, ultérieurement méprisé par elle et « sabordé » par Pierre Kyria dans sa préface de 1996 pour France Loisirs. Mais là n’est pas le propos de ce billet... En bas de la page 153 de cette édition, je lis tout à coup : « Il (Maugis) se lève, prend le bras de Minne sous le sien et s’émeut de le sentir si mince, tiède contre lui... – Pour les enfants sages, j’ai cette poupée qu’Ajalbert m’a apportée de Batavia : zyeutez ! Il désigne, sur une tablette, la plus sauvage divinité qu’ait créée un sculpteur de marionnettes javanaises, vêtue d’oripeaux rouges, dont la tête peinte sourit d’une bouche étroite et fardée, tandis que les yeux longs gardent une gravité voluptueuse, une ironique sérénité qui frappe Minne ». Et voilà... Batavia est l’ancien nom de Djakarta et, on l’a vu, M. Ajalbert a voyagé en Indonésie ! C’était bien la première fois que je me trouvais en terrain connu (de peu !) devant une allusion de Colette à l’un de ses contemporains. En effet, dans ses livres de souvenirs, « L’étoile Vesper » ou « Le fanal bleu » ou « Les vrilles de la vigne », elle évoque des personnages (Polaire et autres...) qui ne nous disent plus rien .

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