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12/10/2015

"Le consul" de Salim Bachi : critique (IV), extraits et le fin mot

Mais revenons à nos moutons :  vu qu'il cite ses sources (trois livres récents sur le même sujet), je me demande pourquoi Salim Bachi s'est contenté de "mettre en scène" une histoire déjà racontée trois fois et qu'il présente comme un roman… Sans doute a-t-il fait œuvre d'imagination quant aux tourments de son héros et quant à son caractère torturé et autocritique. Mais est-ce suffisant pour faire un grand livre ?

Ne soyons pas trop sévère ni trop pointilleux, il y a de bons passages dans ce livre. En voici quelques-uns.

"J'avais agi en mon âme et conscience. J'avais rejeté toutes les faussetés de ce siècle, tous les mensonges de mon temps. Je ne m'étais pas cherché d'excuses en assassinant mes semblables" (page 159).

"Il n'y a pas de hasard, notre destin est écrit et l'archer ne fait que décocher sa flèche, image cruelle et vieille comme le monde. Cette pointe ne dévie pas en jaillissant, elle s'envole, atteint son zénith, retombe et se plante dans votre cœur, et cela quelles que soient l'adresse ou la force du tireur. Le trait ne manque jamais son but. Et chaque homme, à un moment de son existence, sait qu'il a accompli son destin. Pour moi, ce fut à Bordeaux. Je t'avais rencontrée et aimée plus que de raison, comme un jeune amant fougueux, moi l'homme établi, marié et père nombreux enfants, à qui il ne restait plus qu'à finir honorablement sa carrière, puis à mourir entouré des siens.

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Tu es venue et tu m'as emporté sur l'aile de ton rêve… Tu as bouleversé l'ordre intime et professionnel qui étaient les miens et le monde que j'avais bâti, élégant et sûr, entouré d'une famille nombreuse, supporté par une épouse aimante, fait de réceptions et de concerts, de connaissances illustres et de voyages lointains, monde qui ressemblait singulièrement à celui de mon frère jumeau..." (page 174).

"Ici, entre ces murs froids et sombres, alors que la mort vient, je sais que j'ai agi en mon âme et conscience et je l'ai fait uniquement pour sauver ces innocents qui étaient venus à moi les mains vides, désireux seulement d'échapper à un destin qu'ils n'avaient pas choisi, victimes du temps et de la folie de quelques hommes infâmes" (page 176).  

 

 

 

Pour conclure, je dirai que, oui, le livre vous prend et ne vous lâche qu'à la fin ; que, oui, je le recommande (à égalité avec l'une de ses trois sources, que je n'ai pas lues) à ceux qui veulent découvrir un destin d'exception et mieux connaître l'une des pages réconfortantes de cette époque si dramatique ; et que, non, je ne le garderai pas, ne prévoyant pas d'avoir envie de le relire.

 

11/10/2015

"Le consul" de Salim Bachi : critique (III) et verbes pronominaux

Personnellement, j'ai toujours des difficultés avec les verbes pronominaux - réfléchis, réciproques (ou simplement pronominaux) et non réfléchis (ou essentiellement pronominaux). J'ai donc un doute quand je lis sous la plume de Salim Bachi : "… le pays aimé de mon père, celui de nos aïeux dont on eût pu penser qu'ils se fussent conduits d'une autre manière en d'autres temps" (page 175). Voici ce qu'en dit le maître Berthet dans son Résumé d'orthographe (Éditions de l'école, 1941, ce millésime me semble particulièrement indiqué…) :

  • les verbes réfléchis et réciproques (se tuer, se donner des coups…) suivent les règles du verbe avoir, bien qu'ils s'emploient avec l'auxiliaire être (l'astuce est donc de remplacer mentalement être par avoir) : "elle s'est mordue" mais "elle s'est mordu la langue" ; "ils se sont fait des blessures".
  • les verbes non réfléchis (se souvenir, s'apercevoir…) suivent les règles de l'auxiliaire être, sauf "se rire", "se plaire", "se complaire" avec lesquels le participe est toujours invariable. Le pronom fait vraiment corps avec le verbe non réfléchi, on ne peut pas remplacer être par avoir. Exemples : "ils se sont souvenus de ces détails", "elles se sont aperçues de leur erreur" (NDLR : ces exemples ne sous-entendent pas que les hommes auraient de la mémoire et que les femmes se tromperaient !), "elles se sont enfuies", "elles se sont plu à m'humilier", "ils se sont ri de moi" (NDLR : non, les femmes ne sont pas peureuses, non, elles n'humilient pas les hommes, non, elles ne prêtent pas à moqueries !).

"se conduire" est clairement un verbe pronominal réfléchi car "se" est comme un vrai complément, il ne fait pas partie du verbe. On applique donc la règle de l'auxiliaire avoir pour le complément d'objet direct ("se") placé avant : "qu'ils se fussent conduits d'une autre manière" est équivalent à "qu'ils eussent conduit eux d'une autre manière". Donc on met "s" pour accorder le participe passé "conduit". Ouf !

Vérifions dans le Bescherelle "La conjugaison" (Hatier, 1990), qui consacre plusieurs pages aux cas particuliers de l'accord du participe passé (page 16 et suivantes). Premiers cas particuliers, les participes conjugués avec l'auxiliaire être et, en l'occurrence, celui qui nous intéresse : les verbes pronominaux.

Il y a d'abord les verbes essentiellement pronominaux (s'absenter, s'écrier, s'enfuir, s'évanouir, s'extasier, se rebeller, se repentir… dans lesquels le pronom réfléchi n'a pas de fonction analysable) : le participe passé se conjugue avec être et s'accorde donc avec le sujet. "Les paysans se sont souvenus de la sécheresse de l'été 76". Il y a cependant une (seule) exception : "s'arroger". "Ils se sont arrogé des droits" et "Les prérogatives qu'ils se sont arrogées" (il s'accorde donc avec le COD comme avec l'auxiliaire avoir).

Ensuite, il y a les verbes pronominaux à sens passif, dont le participe passé se conjugue avec être et s'accorde avec le sujet. "L'an passé, mes foins s'étaient fauchés très tard".

Venons-en à certains verbes intransitifs employés pronominalement (se complaire, se nuire, se parler, se plaire, se rire, se succéder) : leur participe passé est toujours invariable, puisque ces verbes ne peuvent admettre de COD. "Elle s'est plu à la montagne", "Ils se sont parlé des heures entières", "Ils se sont plu", "Les deux frères se sont succédé sur le trône" (ils ont succédé à eux), "Ils se sont nui" (à eux-mêmes).

Viennent enfin les verbes réfléchis (l'être dont il s'agit exerce une action sur lui-même : je me lève) ou réciproques (les êtres exercent une action les uns sur les autres : ils se battent) : avec eux, être est mis pour avoir ; le participe passé s'accorde donc comme s'il étai conjugué avec avoir (COD placé avant). "La jeune fille s'est regardée dans le miroir", "Les deux amis se sont regardés longuement avant de se séparer", "La question qu'il s''est posée".

Le Bescherelle donne la règle à suivre : toutes les fois qu'on peut remplacer être par avoir, on doit accorder le participe passé avec le COD s'il est placé avant. "Ils se sont lavés à l'eau froide", "La soupe qu'il s'est préparée…".

Mais s'il n'y a pas de COD (ou, bien sûr, s'il est placé après le verbe pronominal), le participe passé reste invariable. "Ils se sont lavé les mains" (Le COD, c'est "mains").

À suivre...

 

10/10/2015

"Le consul" de Salim Bachi : critique (II)

Le fond de l'histoire est donc fascinant, et résonne singulièrement avec notre actualité : il s'est trouvé un homme, qui aurait pu se retrancher derrière les ordres reçus et l'obéissance liée à son statut, derrière le conformisme ou la facilité, et qui brûle ses vaisseaux et fait son devoir d'être humain. Il ne s'agit pas explicitement d'accueil, puisque les migrants de l'époque ne voulaient que passer par le Portugal pour émigrer aux États-Unis ou ailleurs, mais le fait est là : il est passé outre et va le payer cher.Promenade Aristidès de Sousa.jpg

Voyons maintenant la forme. Ce livre court (180 pages), écrit à la première personne, se lit bien et vite, même si je n'ai pas trop apprécié la forme d'une confession à sa maîtresse à la fin de sa vie. Le récit est prenant, évidemment, même si le dénouement en est connu. Je ne trouve pas grand-chose à dire - ni à redire - sur le style de l'auteur, je le trouve fluide mais passe-partout.

Il y a cette "affectation" très "Philippe Sollers" de supprimer la ponctuation dans les énumérations. Ainsi, page 176 : "et chassaient pourchassaient massacraient des millions de personnes". Ça apporte quoi la disparition des virgules ? Rien.

Il y a, même dans les pages les plus émouvantes, des constructions bizarres : " Je pensais au pouvoir de l'amour infini, à la noyade de la jeune fille et au jeune mari tentant de la délivrer des eaux froides qui empesaient sa robe blanche ou noire de colombe aux ailes mouillées, engluées, pauvres amants que la mort attirait vers elle, au jeune homme qui, voyant périr l'amour de sa vie, plongea , s'accrocha à lui avec l'énergie du désespoir et se laissa glisser dans l'abîme" (page 69). Pourquoi ne sait-on pas si la robe était blanche ou noire, sachant qu'une colombe est plutôt blanche, non ? Et ensuite, le jeune homme, son mari en somme, qui s'accroche, non pas à elle, la jeune femme, mais à lui, l'amour de sa vie… C'est alambiqué, non ?

Encore cette confusion entre imparfait et passé simple : "Le 14 juin Paris tombait et je m'enfermais dans ma chambre…" (page 70). Il ne s'est pas enfermé vingt cinq fois dans cette chambre ! C'est un acte unique (avant Maastricht), donc "je m'enfermai". Idem page 79 "Elle me dévisagea… Le lendemain, je la confiais à la garde d'une famille…". Et encore page 103 "Je les entendais… Je me bouchai les oreilles, j'essayai de dormir… J'étais tel Job sur son galetas…".

À la même page 70, une faute d'accord dont on peut penser qu'elle appartient à l'éditeur plus qu'à l'auteur : "tous ceux qui avaient échappés aux Walkyries ivres de rage et de sang". Et l'éditeur a dû également bégayer quand il a imprimé "… et vous savez ce qui est plus le plus cher aux yeux de notre bien-aimé président du conseil des ministres…" (page 144).

Encore une phrase bancale page 162 : "Il avait constaté aussi la présence de nombreux étrangers, un tiers de juifs pour le moins, dont la circulaire n°14 interdisait la délivrance de visas". J'aurais écrit : "auxquels la circulaire…".

À suivre...