06/10/2014
Blogue à part
Une chronique de France Inter s’appelait ainsi il y a quelques années : « blogue à part ». Il s’agissait de braquer le projecteur sur une déferlante sociétale : l’engouement à travers le monde – et en France – pour un outil internet qui permettait à tout un chacun de devenir écrivain, chroniqueur, narrateur, pamphlétaire… en un mot, de raconter et de « se » raconter, à dix, cent ou mille personnes, en général inconnues, qui pouvaient réagir à travers des commentaires.
C’était l’avènement du blogueur.
Le 16 juin 2006, il y a donc huit ans déjà, Favilla, dans les Échos, parlait de 3,2 millions de Français en train de « bloguer », chiffre en progression de 40 % sur un semestre (enquête Médiamétrie).
Le site hébergeur Skyblog affichait lui 5 millions de blogues…
Les chiffres étaient donc « à la louche » mais le phénomène était réel, surtout auprès des jeunes (de l’époque) : 80 % des créateurs de blogues avaient moins de 25 ans.
Favilla voyait là une évolution favorable : on pouvait se réjouir de voir la jeunesse aller de la violence ingurgitée passivement (la télé) à la communication à l’état pur (le blogue, sic !), en passant par les jeux vidéo (la violence avec de l’interactivité, mais avec une machine), puis le téléphone mobile (pas de violence mais l’interactivité avec un humain).
Il attribuait au blogage trois caractéristiques : il n’a pas besoin d’un destinataire clairement défini ; il est le plus souvent centré sur lui-même et incite à l’autoévaluation, voire à l’introspection ; enfin, et c’est ici que le phénomène se rattache à nos préoccupations, il fait appel à l’écrit !
Contrairement au téléphone, il n’y a pas d’effet de voix, d’intonation possible ; il faut user de vocabulaire, même si le français y laisse parfois à désirer.
Que l’on y songe : jusque dans les années 80 (le PC d’IBM est arrivé sur le marché avec François Mitterrand…), tout le monde écrivait, d’autant que le téléphone (fixe) avait longtemps été une denrée rare en France : écrire pour les vœux du Nouvel An bien sûr, pour donner des nouvelles, mais aussi pour réclamer, pour commander et payer un article. C'était l'époque de l'écrit (depuis le XVIIè siècle et avant !).
Le téléphone pour tous, et ensuite le téléphone mobile, d'abord analogique, arrivent : on range les stylos, on oublie la grammaire et l’orthographe, et on se met à parler à tous comme Boris Vian parlait à sa concierge : de tout et de rien, comme ça vient… C'est l'époque de l'oral.
Dans l’entre-temps survient la messagerie électronique, dans le monde de la recherche d’abord, dans l’entreprise ensuite, dans le grand public enfin ; patatras, il va falloir réapprendre à écrire. On ne réapprend pas car on n’a pas le temps, même si on a toute la place qu’on veut dans le courriel (sa longueur n'est pas limitée). Retour de l'écrit, mais un écrit bâclé. Les courriels s'échangent par millions dans les entreprises mais écrits n'importe comment, parfois avec seulement quelques abréviations (asap, ct, à+, etc.).
Le point d’orgue est atteint avec le portable numérique et ses textos : il faut écrire comme dans la messagerie mais on n’a pas la place. En effet, le texto – terme initialement déposé par SFR et maintenant utilisé couramment, et même généralisé au Québec – se dit SMS en anglais, c’est-à-dire short message service ou service de messages succincts. C'est une innovation des Finlandais de Nokia intégrée à la norme européenne GSM. Il est est de longueur limitée. Il vise à communiquer vite. On use et abuse donc des abréviations et des mots écrits "comme on peut". C'est l'époque de l'écrit instantané.
Mais revenons au blogue, qui, normalement, donne du temps et de la place pour écrire bien. Retour de l'écrit réfléchi et posé ?
Son côté « narcissique » est patent : chez Skyblog, on notait en avril 2006, qu’il y avait eu 4,2 millions de visiteurs (pour 5 millions de blogues). Donc moins d’un visiteur par blog et par mois !
1 % des blogues concentrent 80 % des visites…
Favilla conclut donc : « la plupart des blogueurs sont des voix qui crient dans le désert » !
Et moi et moi et moi ?
Et aujourd’hui ?
Je n’ai pas de chiffres récents, je constate seulement deux choses : d’abord on ne parle plus des blogues ni à la radio ni dans la vie courante, ensuite, ne serait-ce que chez mon hébergeur québécois hautETfort, il y a des dizaines et des dizaines de blogues, sur des sujets très variés, et les billets affluent en permanence, chaque jour.
Que racontent-ils ? je ne sais pas non plus, je n’ai pas le temps de lire… je blogue !
08:00 Publié dans Données chiffrées sur le français | Tags : blogue, statistiques | Lien permanent | Commentaires (0)
05/10/2014
Irritations III
S’il fait des voitures comme il parle français, il aura des problèmes ; s’il parle à ses interlocuteurs professionnels comme il parle au grand public, il en aura aussi ; entendu Carlos Ghosn sur France Inter le 1er octobre 2014, à 8 h 25, dire d’un ton sentencieux : « le crossover est une version moderne du SUV »…
Entendu une mère d’élève déclarer sur France 2 : « pour les gamins, en 6ème, c’est juste une horreur »…
Entendu dans la série Downton Abbey : « merci de nous avoir aidés sur la ferme » (au lieu de « à la ferme »). Ce n’est qu’une traduction bien sûr mais ça renseigne sur la langue que parlent les traducteurs… sauf que, en anglais, ils disent peut-être « on the farm » (y a-t-il un prof. d’anglais dans mes lecteurs ?). Ceci expliquerait alors cela !
Entendu à la télé, je ne sais plus où, je ne sais plus quand : « ça leur permet de pouvoir réparer tel ou tel truc ».
Le 6 octobre 2014, c'est le Président de la République (François Hollande) qui déclare, avec son habituel langage technocratique : "Nous sommes en situation de pouvoir soigner…"… Quelle redondance ! pourquoi pas, tout simplement « ça leur permet de réparer… » et "nous pouvons (ou nous savons( soigner…" ?
Entendu une jeune germanophone proclamer : « manque de chance, j’ai booké mon cours de danse justement ce samedi-là ». Pourquoi pas « j’ai réservé » ou « j’ai programmé » ou « j’ai fixé » ?
le 7 octobre 2014, dans le 7-9 de la matinale de France Inter, une journaliste conclut, à propos de Clémentine Autain : "Elle n'est définitivement pas pro-business", en référence à une déclaration de Manuel Valls à la City de Londres. Snobisme de Parisienne branchée qui feint de ne pas savoir que "définitivement" n'est pas la traduction du definitely anglais (qui veut dire "vraiment" ou "absolument")...
Loin de l’Académie, loin du Journal officiel, loin de Claude Hagège et d’Henriette Walter, les Français parlent une langue un peu bâtarde et approximative, comme elle vient…
C’est « la langue de chez vous », à laquelle je vais consacrer un prochain billet (et non pas le billet suivant, contrairement à la confusion permanente entre les deux adjectifs que font vos animateurs préférés du PAF : « et Machine va nous interpréter la prochaine chanson » au lieu de « la chanson suivante »…), après avoir écouté l’émission "Carnet de campagne" le 22 septembre dernier.
08:00 Publié dans Franglais et incorrections diverses | Tags : langue française, jargon | Lien permanent | Commentaires (0)
04/10/2014
Vous reprendrez bien un peu de Paul Reboux (II)
Paul Reboux a beau sembler rigoriste, il écrit quand même :
« J’ai rappelé ici quelques traits pour vous rendre bienveillants à l’égard de ceux qui parlent un français peut-être douteux.
Mais si les puristes ont raison aujourd’hui, ils ne savent pas ce que les variations du langage feront, demain, des lois qu’ils appliquent solennellement ».
C’est tout à fait le point de vue défendu dans ce blogue : rappeler les règles d’aujourd’hui, tout en gardant à l’esprit leur relativité, dans le temps et dans l’espace ; donc, rester modéré et tolérant, même si on est parfois ironique ou irrité vis-à-vis des écarts de certains.
Page 33, Paul Reboux nous met en garde par rapport à l’argot.
« C’est une langue fort mobile. Elle change d’une année à l’autre. Et l’on semble très vieux jeu si l’on s’en tient à l’argot des gigolettes de 1900, voire des poilus de 1914.
Nommer la tête, la cafetière ; le vin, le pinard, les cheveux, les tiffes ; une demoiselle, une môme : dire boulotter pour manger ; maboul, pour fou… c’est faire figure de Mathusalem !
… Désormais, employez les mots que voici :
la tête, la bouille ; les cheveux, les doulos ou les plumes ; le nez, le tarin ; les dents, les crochets ; le poil de la poitrine, du cresson ; le ventre, le buffet ; les mollets, les jacquots ; les pieds, les pingots ; les doigts de pied, les arpions ; le strabisme, un œil qui fait une passe et un autre qui guette les bourres ; la bouche, la gargue ; avoir faim, avoir les crochets ; un verre, un godet ; la prison, le ballon ; tuer, butter ; courtiser, faire du rentre-dedans ; être fou, travailler de la touffe.
NDLR
Gigolette (peut-être de gigue, grande fille ou femme qui se tient mal) : fille de mauvaise vie dans les bas quartiers [Larousse universel, 1922]
Gigolo : amant de cœur d’une gigolette [Larousse universel, 1922]
Mais en 1991, le sens n’est plus le même. Le Hachette ne mentionne plus « gigolette » et définit comme suit « gigolo » : jeune amant d’une femme plus âgée qui l’entretient
08:02 Publié dans Vocabulaire, néologismes, langues minoritaires | Tags : français, argot | Lien permanent | Commentaires (0)


