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22/01/2024

Les 10 livres que vous n'avez pas réussi à finir

Le 6 octobre 2017, Hélène Combis sondait les auditeurs de France Culture à propos des livres qu’ils n’avaient pas réussi à finir... Elle a tiré de cette enquête la liste des 10 livres qui avaient remporté la palme, c’est-à-dire qui avaient découragé le plus de personnes ayant répondu (3000 !) et l’a publiée sur le site de la radio (l’article est très intéressant, d’une part parce qu’elle cite les commentaires des répondants et d’autre part parce qu’elle a inséré des vidéos faites par les « défenseurs » et « exégètes » des œuvres incriminées). 

Sans trop de surprise, le « gagnant » est « Ulysse » de James Joyce.

Le suivant est « Les Bienveillantes » de Jonathan Littell, prix Goncourt 2006, qui a donné la nausée à un certain nombre d'entre vous ! Notamment à cause d'une identification au narrateur (un ancien SS), vécue difficilement par les lecteurs.

Ensuite, inconcevable, « À la Recherche du temps perdu » de Marcel Proust, « mondialement connu pour ses phrases interminables ».

Ne lisant pas de science-fiction, je passe sur la trilogie de J. R. R. Tolkien, parue entre 1954 et 1955, « Le Seigneur des anneaux ».

Le cinquième est « Belle du Seigneur » d'Albert Cohen, roman-fleuve de l'écrivain suisse francophone, publié en 1968 ! Joseph Kessel l'avait pourtant qualifié de « chef-d'œuvre absolu » (opinion que je partage quant à moi).

Ensuite « L'Homme sans qualités » de l'écrivain autrichien Robert Musil, paru en 1932, le roman inachevé qui compte mille huit cents pages (une paille...). Je ne l’ai pas lu.

Puis, « Le Rouge et le Noir » de Stendhal. Pour l'écrivain britannique William Somerset Maugham, il fait pourtant partie des dix plus grands romans jamais écrits. Je l’ai lu au lycée et mon souvenir en est trop lointain pour commenter mais ce souvenir est loin d’être mauvais.

« Madame Bovary » de Gustave Flaubert arrive en huitième position. Flaubert a tendu le bâton pour se faire battre : en écrivant ce roman publié en 1862, son but assumé était bel et bien de « faire un livre sur rien ». Le plus beau est qu’un lecteur qui n’a pas pu le finir déclare qu’il a adoré Salammbô !

« Cent ans de solitude » de Gabriel Garcia Marquez. « Trop de personnages, et une traduction jugée "laborieuse" pour certains. La grande œuvre de Gabriel Garcia Marquez (Nobel de littérature en 1982), parue en 1967, a dérouté un bon nombre d'entre vous ! Après tout, peut-être que l'on peut se contenter de la première phrase du roman, connue comme l'un des incipits les plus célèbres de la littérature : Bien des années plus tard, face au peloton d'exécution, le colonel Aureliano Buendía devait se rappeler ce lointain après-midi au cours duquel son père l'emmena faire connaissance avec la glace ».

Et enfin, « Voyage au bout de la nuit » de Louis-Ferdinand Céline. En avril 1932, Céline promettait pourtant à Gaston Gallimard que son roman était « du pain pour un siècle entier de littérature » !

Faisons nos comptes.

Sur les dix livres abhorrés par ce gros échantillon de lecteurs, il y en a :

  • trois que je n’ai pas lus (Ulysse, Le Seigneur des anneaux et L’homme sans qualité),
  • cinq que je considère comme des chefs d’œuvre (La Recherche du temps perdu, Belle du Seigneur, Cent ans de solitude), ou de grands livres (Les Bienveillantes, Le Rouge et le Noir),
  • et deux pour lesquels je partage l’avis des sondés (Mme Bovary, Voyage au bout de la nuit).

Notons que les auteurs (Flaubert et Céline) de ces deux derniers livres sont généralement considérés comme des maîtres-prosateurs et des innovateurs hors pair... 

Il peut être amusant de se reporter au billet que j’avais écrit sur le même sujet il y a un an, avant de prendre connaissance de cette enquête déjà un peu ancienne. En voici un extrait :

« Chronologiquement j’ai d’abord buté sur « Mme Bovary » de Gustave Flaubert ; je ne suis pas sûr de l’avoir terminé. Ensuite, échec retentissant : « Femmes » de Philippe Sollers, abandonné au bout d’une cinquantaine de pages, faute de ponctuation. Puis « Voyage au bout de la nuit » de Louis-Ferdinand Céline, que j’ai eu un mal fou à terminer. Et aussi « La route des Flandres » de Claude Simon, par défaut systémique de ponctuation. Dans mes notes, je retrouve « Terre des oublis » de D. Thi Huong, qui m’attend depuis 2008 ;  et encore le Flaubert de Salambô… J’avais arrêté la lecture de « Un mal sans remède » de Antonio Caballero. Pour d’autres raisons, ça bloque aussi dans « La Gana » de Fred Deux. Aujourd’hui, c’est « Le carnet noir » de Lawrence Durrell sur lequel je me décourage au bout de trente pages absconses ! ».

21/01/2024

Sus aux Hussards

C’est d’abord intrigué par son titre que j’ai lu « Salut au Kentucky » de Kléber Haedens. Cet auteur faisait partie d’un groupe d’écrivains des années 50 et 60 à qui l’on avait donné le surnom de hussards. Il se composait de Kléber Haedens donc, de Michel Déon, d’Antoine Blondin et surtout de Roger Nimier qui était censé en être le chef de file.  Par parenthèse, notons que leurs contemporains s’appelaient Michel Butor, Alain Robbe-Grillet et Nathalie Sarraute et avaient voulu, sous l’emblème aussi vague qu’ambitieuse de « Nouveau roman », ajouter à la prestigieuse littérature française, des textes sans histoire ni personnages. Si l’on ne lit plus beaucoup les Hussards aujourd’hui, que dire des gourous du Nouveau Roman ? Tombés dans les oubliettes...

Le premier que j’ai lu, non pour découvrir l’école des Hussards mais parce qu’il avait écrit sur la Grèce en y ayant vécu, et que j’étais fasciné par ce pays et sa culture, le premier que j’ai lu donc, ce fut Michel Déon. J’ai beaucoup aimé son « Balcon de Spetsaï » (1961) et le « Rendez-vous de Patmos » (1971), et moins ses autres livres : « Je ne veux jamais l’oublier » (1950), « Un souvenir » (1990), « Tout l’amour du monde » (1955), « La montée du soir » (1987). Il me reste à lire évidemment le célèbre « Taxi mauve » (1973) et l’histoire du « Jeune homme vert » (1975-1977), sans compter « Les trompeuses espérances » (1956), « Les gens de la nuit » (1958), « Un déjeuner de soleil » (1981). Michel Déon a beaucoup écrit et sans doute un peu trop...

Le livre de Kléber Haedens, « Salut au Kentucky », je l’ai lu parce que, en ayant hérité, j’étais intrigué par le titre (que l’on ne comprend qu’à la toute fin). L’itinéraire de Wilfrid commence dans une ville de province en 1869 ; c’est plaisant et même amusant. Une bonne partie du livre raconte les amours successives et contrariées du héros et aussi une sorte d’ascension sociale ; de ce fait, le style en moins, il nous fait penser à Balzac ; mais « j’y trouve un goût » de Boris Vian, comme dirait l’autre, à cause de la langue directe et pleine d’humour que Kléber Haedens utilise et qui est, semble-t-il, la marque de fabrique des Hussards. À noter que Sacha Guitry et René Benjamin souhaitaient que le Prix Goncourt 1947 fût décerné à ce livre (C’est Jean-Louis CURTIS qui l’a eu, pour Les Forêts de la nuit, publié chez Julliard).

Me prenant au jeu mais n’ayant pas sous la main « Le hussard bleu » (1950), le roman de Roger Nimier le plus connu, j'ai lu « Les enfants tristes ».  Sans pouvoir l’expliquer vraiment, j’ai eu l’impression que ce roman en trois parties était typique des œuvres de l’après-guerre (je pense aux « Nouveaux aristocrates » de Michel de Saint Pierre, par exemple). C’est une description plutôt déprimante de la vie et des relations entre des jeunes gens d’un milieu aisé, pour la plupart dilettantes et anticonformistes... Je n’y ai pas trouvé beaucoup d’intérêt.

Je viens de commencer un troisième livre de l’équipe des Hussards : « Un singe en hiver » (1959) d’Antoine Blondin, connu pour sa passion du Tour de France cycliste. Encore un titre mystérieux que le cinéaste Henri Verneuil a conservé pour son film sorti en 1962 avec Jean Gabin et Jean-Paul Belmondo. J’avoue qu’au bout de 50 pages je n’avais pas encore reconnu le sujet du film, pourtant célèbre... ni bien compris où l’auteur voulait en venir. 50 pages plus loin, je me demandais si je ne lisais pas une sorte d’étude psycho-sociologique passionnante sur l’amitié mais surtout sur les ravages de l’alcoolisme, la difficulté de résister à l’accoutumance, la difficulté de résister à l’envie de replonger. À suivre...

31/12/2023

"Les irascibles" (Cédric Bru) : critique II

Ce mouvement artistique révolutionnaire fait partie aujourd’hui, pour l’homme de la rue (disons, nous tous), de « l’art contemporain », fourre-tout agrégeant l’expressionnisme abstrait, donc, le cubisme, le fauvisme, le pop art... jusqu’aux créations de Jeff Koon et autres.

Ma rencontre personnelle avec l’expressionnisme abstrait fut involontaire, réjouissant et sans suite : accompagnant une sortie scolaire de lycée motivée par une exposition, je crois, au Grand Palais, je découvris Rothko et ses tableaux minimalistes, uniformes et monochromes. J’en garde l’impression d’une supercherie, d’une vaste blague et aussi d’une interrogation profonde : comment peut-on dépenser de telles sommes pour acquérir ce genre de coloriage d’enfant ?

Ce que l’on va reprocher, en effet, dès le début, à ces artistes, qui ont abandonné le figuratif et le surréalisme, c’est leur travail incompréhensible et leurs tableaux qui ne « représentent » rien. Jusqu’aux noms de baptême : « Number 8, 1949 » ou « Mural » ou « Number 30, 1950 » (connu sous l’autre nom de « Autumn Rhythm »)... Mais eux, ils disaient : « La vraie question n’est pas d’expliquer les tableaux mais de savoir si les idées qu’ils véhiculent ont une signification » (lettre au New York Times, 1943) (page 58). Ils recherchaient « une interaction entre l’artiste, son matériau et la surface plane de son support ». « Désormais ce qui naissait sur la toile n’était plus une image mais un événement » (page 59). « ... La peinture abstraite était abstraite et elle vous confrontait avec vous-même ». « Pour Jackson Pollock, la peinture est un voyage intime dont seule peut-être la psychanalyse est apte à rendre compte. Précisément, le tableau sur lequel il travaille s’inspirera des théories de Carl Jung dont il s’est toujours senti proche. Mais il aspire aussi à convoquer l’esprit chamanique » (page 80). « Associer symboles et hallucinations constituera la voie ultime, l’écho parfait de son divorce intérieur qui ne tranche pas entre la représentation et l’expérience intime » (page 81).

M’étant arrêté, comme beaucoup de gens, en fait de peinture, aux impressionnistes (nuançons : si le musée Picasso d’Antibes m’a laissé de marbre, et même m’a rapidement lassé, je me souviens avoir pris un certain plaisir à contempler les toiles expressionnistes de l'Alte Nationalgalerie de l’Île aux musées à Berlin), je ne chercherai pas ici à argumenter ni même à commenter le « fait artistique » représenté par l’avènement de la nouvelle peinture à New York, juste avant la Seconde Guerre mondiale. Mais cela ne diminue en rien l’intérêt du livre de C. Bru, intérêt tant documentaire qu’historique. Revenons-y donc...

D’ailleurs il n’y a pas que la peinture dans son livre car trois thèmes « sociologiques » le parcourent (est-ce une concession à l’air du temps, celui de 2023 ?) : le chauvinisme (pour ne pas dire le nationalisme) de ces artistes et de leurs soutiens, qui veulent à toutes forces « oublier l’Europe » ; l’effacement des femmes (pour ne pas dire le poids du patriarcat), qui sont cantonnés au rôle d’égérie, de compagne ou de secrétaire de ces peintres déchaînés à réussir (c’est le cas de Lee Krasner, qui est une artiste authentique et qui a mis entre parenthèses sa propre carrière ; ce n’est pas vrai pour Betty Parsons, qui fait la pluie et le beau temps dans sa galerie) ; et enfin la passion sans réciprocité de Sam pour Frank, qui n’apporte rien au récit (mais qui garde la trace de l’homosexualité réelle et assumée du jeune poète).

Cédric Bru développe longuement le « cas Krasner » tout au long du livre ; il qualifie sa conduite de « sapiosexuelle » (dont Wikipedia nous dit ceci : « c’est une préférence sexuelle. Une personne sapiosexuelle est une personne qui est attirée par quelqu'un en fonction de son intelligence et non pas de son apparence physique. L’origine provient d’un mouvement entamé depuis les années 1990, autour de la théorie queer. Le terme a été inventé par un blogueur en 1998 ». Comme on le voit, notre auteur est pris ici en flagrant délit d’anachronisme...) (page 146). Déjà, page 94, il avait qualifié de misogyne l’assertion « Derrière chaque grand homme se cache une femme ».