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21/01/2024

Sus aux Hussards

C’est d’abord intrigué par son titre que j’ai lu « Salut au Kentucky » de Kléber Haedens. Cet auteur faisait partie d’un groupe d’écrivains des années 50 et 60 à qui l’on avait donné le surnom de hussards. Il se composait de Kléber Haedens donc, de Michel Déon, d’Antoine Blondin et surtout de Roger Nimier qui était censé en être le chef de file.  Par parenthèse, notons que leurs contemporains s’appelaient Michel Butor, Alain Robbe-Grillet et Nathalie Sarraute et avaient voulu, sous l’emblème aussi vague qu’ambitieuse de « Nouveau roman », ajouter à la prestigieuse littérature française, des textes sans histoire ni personnages. Si l’on ne lit plus beaucoup les Hussards aujourd’hui, que dire des gourous du Nouveau Roman ? Tombés dans les oubliettes...

Le premier que j’ai lu, non pour découvrir l’école des Hussards mais parce qu’il avait écrit sur la Grèce en y ayant vécu, et que j’étais fasciné par ce pays et sa culture, le premier que j’ai lu donc, ce fut Michel Déon. J’ai beaucoup aimé son « Balcon de Spetsaï » (1961) et le « Rendez-vous de Patmos » (1971), et moins ses autres livres : « Je ne veux jamais l’oublier » (1950), « Un souvenir » (1990), « Tout l’amour du monde » (1955), « La montée du soir » (1987). Il me reste à lire évidemment le célèbre « Taxi mauve » (1973) et l’histoire du « Jeune homme vert » (1975-1977), sans compter « Les trompeuses espérances » (1956), « Les gens de la nuit » (1958), « Un déjeuner de soleil » (1981). Michel Déon a beaucoup écrit et sans doute un peu trop...

Le livre de Kléber Haedens, « Salut au Kentucky », je l’ai lu parce que, en ayant hérité, j’étais intrigué par le titre (que l’on ne comprend qu’à la toute fin). L’itinéraire de Wilfrid commence dans une ville de province en 1869 ; c’est plaisant et même amusant. Une bonne partie du livre raconte les amours successives et contrariées du héros et aussi une sorte d’ascension sociale ; de ce fait, le style en moins, il nous fait penser à Balzac ; mais « j’y trouve un goût » de Boris Vian, comme dirait l’autre, à cause de la langue directe et pleine d’humour que Kléber Haedens utilise et qui est, semble-t-il, la marque de fabrique des Hussards. À noter que Sacha Guitry et René Benjamin souhaitaient que le Prix Goncourt 1947 fût décerné à ce livre (C’est Jean-Louis CURTIS qui l’a eu, pour Les Forêts de la nuit, publié chez Julliard).

Me prenant au jeu mais n’ayant pas sous la main « Le hussard bleu » (1950), le roman de Roger Nimier le plus connu, j'ai lu « Les enfants tristes ».  Sans pouvoir l’expliquer vraiment, j’ai eu l’impression que ce roman en trois parties était typique des œuvres de l’après-guerre (je pense aux « Nouveaux aristocrates » de Michel de Saint Pierre, par exemple). C’est une description plutôt déprimante de la vie et des relations entre des jeunes gens d’un milieu aisé, pour la plupart dilettantes et anticonformistes... Je n’y ai pas trouvé beaucoup d’intérêt.

Je viens de commencer un troisième livre de l’équipe des Hussards : « Un singe en hiver » (1959) d’Antoine Blondin, connu pour sa passion du Tour de France cycliste. Encore un titre mystérieux que le cinéaste Henri Verneuil a conservé pour son film sorti en 1962 avec Jean Gabin et Jean-Paul Belmondo. J’avoue qu’au bout de 50 pages je n’avais pas encore reconnu le sujet du film, pourtant célèbre... ni bien compris où l’auteur voulait en venir. 50 pages plus loin, je me demandais si je ne lisais pas une sorte d’étude psycho-sociologique passionnante sur l’amitié mais surtout sur les ravages de l’alcoolisme, la difficulté de résister à l’accoutumance, la difficulté de résister à l’envie de replonger. À suivre...

15/12/2023

"Ciné-club" (François Sauvay) : critique IV

Dans « Machines à écrire », François Sauvay imagine, en trois sous-chapitres, trois versions successives d’un même scénario de film, et il y imbrique l’ascension d’une obscure secrétaire et sa façon originale de déclarer sa flamme (et de déposséder ainsi une rivale à la fois de son titre de scénariste-vedette et de son amant). 

Au cinéma, les « seconds rôles » sont importants et certains acteurs s’y sont rendus incontournables, par exemple Robert Dalban et son inénarrable « Yes, Sir » dans « Les tontons flingueurs ». Ciné-club nous raconte la longue carrière de l’acteur Victor Green, toute circonscrite à sa façon de prononcer « Ces messieurs »... Tout un art !

Outre le sujet général, évidemment, à savoir les vicissitudes de l’écriture et du tournage des films, deux éléments contribuent à tisser un fil rouge tout au long de ce livre : d’abord certains personnages sont présents du début à la fin (mais pas toujours au premier plan), tandis que d’autres réapparaissent ici et là. Ainsi Verona Stanger donne-t-elle la réplique à Rex Lamont dans la nouvelle « Ni le jour ni l’heure ». On croise aussi plusieurs fois Dorothy Tucker et, bien sûr, le Père de Lenoncourt. Ensuite certaines histoires jettent des clins d’œil aux précédentes. Ainsi, dans « La fausse idole », le narrateur et son amie Midget discutent-ils pendant la projection du film « La part du capitaine », sujet du chapitre précédent. Plus amusant encore est le cas de M. Smith, qui, prénommé Farès, officie comme medium sous le nom de Farouk dans « Ni le jour ni l’heure » mais qui est aussi le nom d’emprunt – ou plus exactement de camouflage – qu’utilisent les amants Margaret et Eddie (le narrateur) dans « Machines à écrire ». 

François Sauvay utilise plusieurs techniques pour ces nouvelles : le témoignage d’un participant, l’interview de deux experts par un journaliste, l’enquête sur un film disparu, des histoires imbriquées (un film dans le film), des retours en arrière bien sûr, un journal retrouvé, des embryons de scénario, des enregistrements magnétiques, un article de revue spécialisée, etc.

Il y a un point que je n’ai pas étudié (comment l’aurais-je pu ?), c’est le choix des patronymes, surtout des personnages secondaires ; par exemple, Simone France, qui assure le rôle de Natacha dans « Le casque colonial » (page 60) ou bien Sophie Falaise, qui traduit l’extrait du journal de Jay Monroe (page 90). Constatant d’une part l’esprit facétieux de l’auteur et, d’autre part, sa connaissance du cinéma (qu’il enseigne), on peut se demander s’il n’a pas glissé ici ou là des références, des citations ou des récurrences signifiantes (les initiales SF... ?).

Au total, dans cette chronique inventée des débuts du cinéma, les actrices sont belles, envoûtantes, souvent sexy ; les metteurs en scène sont passionnés et inventifs ; même les plus falots produisent parfois des chefs d’œuvre ; et, de toutes façons, ils ne résistent pas au charme des susdites ; les producteurs sont près de leurs sous mais pas tant que cela... On nous dira peut-être que la saga est trop belle pour être vraie... Sans doute, puisqu’elle est fausse ! 

La fin du livre, d’une facture bien différente de celle de tous les autres chapitres, est grandiose. C’est une réflexion sur le succès, souvent aléatoire, dans cet art bien particulier qu’est le cinéma, et sur l’impact de l’échec, dont certains acteurs tirent néanmoins parti pour « rebondir » comme on dit aujourd’hui (c’est le cas de Giulia Gibson dans ce dernier chapitre). Il y a surtout, en marge de la quête de l’histoire d’une ancienne star, une aventure sentimentale, celle du journaliste qui, obsédé par Giulia, n’a d’yeux que pour Adriana (ai-je mal lu ? la Belle s’appelle Castellano page 274 et Mancini page 288...) et se rend compte in fine que le bonheur pourrait s’appeler Francesca... Et là je pense au célèbre: « Her name was Magill and she called herself Lil. But everyone knew her as Nancy ».

Au bout de ces quatre chapitres de « critique », que dire en fin de compte du livre « Ciné-club » de François Sauvay ? Eh bien, que c’est un livre original, qui fourmille d’idées et avec lequel on passe de très bons moments ; c’est une sorte d’histoire du cinéma plus vraie que nature ; l’auteur a su, d’un chapitre à l’autre, varier les angles de prise de vue, les péripéties et les destins individuels. Autant dire que je recommande ce livre et qu’il ne me semble pas impossible de prendre encore du plaisir à le relire. 

PS. Je n’en dirai pas autant de l’imprimerie Laballery de Clamecy : j’ai dû rendre à ma libraire l’exemplaire que je venais d’acheter car plusieurs pages étaient noircies par des traînées d’encre. Elle l’a renvoyé et m’en a donné un autre... en meilleur état mais le haut des pages 149, 152 et 155 est grisé. Cela n’empêche pas la lecture cependant.

13/12/2023

"Ciné-club" (François Sauvay) : critique III

Ami lecteur, tu aimerais sans doute que je t’indique les histoires que j’ai préférées dans « Ciné-club » ? 

Franchement, on a un peu de mal à se mettre dans le livre parce que la première histoire parle de prestidigitation, de Meliès, du théâtre Robert Houdin, des studios Electrix à Marly le Roi (sic), d’un film en DVD, vrai ou faux... On ne voit pas où tout cela mène. Mais, a posteriori, n’est-ce pas une métaphore de ce qu’est le cinéma, qui nous fait croire à des réalités, alors qu’il ne montre que des images et ne nous raconte que des histoires inventées. Et après tout, commencer par l’illusion, et en France, berceau du cinéma, n’est-ce pas simple justice ? 

Dès l’entrée en scène de Verona Stanger, actrice à succès de Olympic Movies, ça y est, on est de l’autre côté (de l’Atlantique) et même en Californie. On ne sait pas qui raconte son histoire... Le lien, ténu, avec le prologue français, tient à ce « petit journaliste français » qui vient enquêter sur « La fidèle image », le grand succès cinématographique de Verona. Et déjà, il y a ce jeu de miroirs et de retours en arrière, qui retiendra notre attention jusqu’au bout. Qui est la vedette de ce chapitre ? Verona ou bien celui qu’elle a embauché comme homme à tout faire, une fois retirée des plateaux, et qui, lui-même, en vint à publier une « vie imaginaire » de Verona ? Ne disons rien de la chute de la nouvelle, digne de Stanilas-André Steeman ou de Maurice Leblanc (ah ! Raoul d’Andrésy...). 

Le chapitre « Le fils unique » voit entrer en scène le père de Renoncourt, conseiller de la production, qui chasse les bondieuseries et ne jure que par les Évangiles synoptiques (à savoir ceux de Matthieu, Marc et Luc, aux nombreuses similitudes, et que l’on peut donc considérer « ensemble », de façon synoptique). C’est là l’histoire d’un film considéré comme excellent qui ne sortit jamais sur les écrans et dont les copies furent détruites dans un incendie... 

« Le chemin du thé » introduit à la fois la revue « Ciné-club » et le cinéma japonais, à travers le journal de l’assistant du réalisateur Fukima. Peu intéressant, sauf pour les passionnés de cinéma... donc très crédible : un vrai faux-journal ! J’ai bien aimé la poésie toute japonaise de la fin (bon, je ne connais pas la poésie japonaise mais c’est comme cela que je la vois quand je pense aux cerisiers et au Fuji-Yama...) : « Bientôt la nouvelle année, et avec elle de nouvelles promesses. Des flocons de neige épars volettent dans l’air. Je me suis assis sur les marches du sanctuaire, avec mon carnet et mon crayon. Tout à l’heure, nous filmerons des pans de montagne blanche, des cerisiers nus, la silhouette de dentelle givrée des temples. Je respire l’air glacé comme un antidote. Je me demande si je poursuivrai ce journal ». 

Le « Casque colonial » est l’une des nouvelles les plus longues. Elle permet à notre auteur d’imaginer un scénario de film aux rebondissements innombrables et aux scènes pittoresques (en Afrique, où la belle Natacha, qui rejoint son mari, croise sur le bateau le jeune et séduisant Sainty). Ce scénario en fait est celui du film « Le Casque colonial », exhumé par hasard et attribué au réalisateur disparu Stanley Foster. L’intrigue amoureuse repose très classiquement sur des billets doux (et plus que ça !) perdus et retrouvés mais qui n’arrivent pas à destination au bon moment. En passant, décernons la mention « très passable » à la phrase « Pourquoi Foster aurait-il été tourné un film en Afrique ? », alors que l’on préfèrerait lire « Pourquoi Foster serait-il allé tourner un film en Afrique » (deux fautes : un passif hors de propos et un participe passé itou). Cela étant, quelle virtuosité dans le pastiche et quelle imagination ! 

La nouvelle « Judas », qui traite du film « L’encre et la poudre » porte au paroxysme le jeu des miroirs, des retours en arrière, des enchevêtrements entre réalité et cinéma (sachant que la réalité en question est elle-même inventée par notre auteur !), au point que l’on doit parfois revenir en arrière pour s’y retrouver dans la chronologie et les patronymes ! Quant au metteur en scène, il se découvre subitement dans l’un des personnages imaginés par son scénariste, et pas le plus aimable.