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21/09/2023

"Attaquer la terre et le soleil" (Mathieu Belize) : critique

Quelle déception !

J’avais beaucoup aimé « Notre terre » de Mathieu Belezi (voir mon billet du 31 août 2015), qui racontait la fin de la guerre d’Algérie, vue des deux côtés.

J’avais appris depuis que M. Belezi n’était pas historien et n’avait pas vécu en Algérie mais qu’il avait consacré trois romans à ce thème, pour la raison, semble-t-il, que la littérature ne s’y était pas beaucoup intéressée (?).

J’avais lu aussi le roman de Leïla Slimani, « Le pays des autres », paru en 2020, en partie autobiographique sans doute, qui se passe lui au Maroc à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Je l’avais trouvé moins bon…

C’est dire si je me suis plongé avec impatience dans « Attaquer la terre et le soleil », tout auréolé du Prix du Livre Inter, que NR venait de m’offrir. Un rapide coup d’œil sur l’enregistrement de l’entretien à France Inter, de l’auteur et de quelques membres du jury (présidé sauf erreur par David Foenkinos, Prix Renaudot), ne m'avait pas enthousiasmé ; j’avais eu l’impression que le jury avait surtout récompensé une œuvre « dans l’air du temps » (à savoir, rappeler le mauvais rôle de colonisateur de la France en Afrique …), sachant par ailleurs que les premiers commentaires des débatteurs étaient que « le livre n’avait aucun défaut » et qu’ils avaient été emballés par la forme et le ton du texte. Bon, rien de très motivant, d’autant que la brièveté du roman (153 pages seulement chez Le tripode, avec beaucoup de blancs sur chaque page…) m’avait déjà refroidi.

Le titre d’abord. On peut penser que M. Belezi veut décrire la conquête de l’Algérie, en 1830, comme une lutte pour y introduire l’agriculture sous un soleil de plomb, ce qui va rendre l’aventure extrêmement pénible pour les premiers colons. Le roman est composé de courts chapitres donnant à voir, alternativement, la vie d’une femme et de sa famille arrivées de métropole, et celle d’un militaire dont le chef répète à tout propos : « Vous n’êtes pas des anges ». Quand le narrateur reprend la parole, M. Belezi utilise les italiques.

La forme est déconcertante car la ponctuation est absente, ainsi que les majuscules en début de phrase. C’est sans doute cela qui a tant plu aux jeunes lectrices du jury… Heureusement, les paragraphes successifs sont « indentés », ce qui aère le texte. On a échappé aux tics insupportables d’un Claude Simon (« La route des Flandres », « Histoire »).

Sur le fond, il faut bien reconnaître que les autochtones, bien qu’envahis, ne sont pas présentés comme des enfants de chœur. Comme dans « C’était notre terre », Mathieu Belezi ne recule devant aucune des horreurs de la guérilla (femmes éventrées, etc.). L’armée française n’est pas en reste : représailles, villages rayés de la carte, ripailles, jeunes femmes gardées pour la troupe… Pour être réaliste, oui, c’est réaliste !

Le choléra frappe aussi, avec son cortège d’hommes et d’enfants emportés au cimetière, et des femmes qui pleurent et implorent le Ciel.

Petit à petit, les colons se voient attribuer des parcelles et s’établissent, il y a des mariages, sans que cela n’interrompe ni les assassinats ni les représailles. Et certains ne résistent pas à la peur permanente, aux drames et à la difficulté de vivre… ils renoncent à leur concession et reprennent le bateau pour la métropole.

On ne peut contester à Mathieu Belezi sa maîtrise pour rendre l’horreur et le déchaînement de violence qui ont accompagné cette conquête. Et il est sans doute indispensable d’en rendre compte parce que ce n’était pas écrit dans nos manuels scolaires. Mais d’où vient cette impression que l’on n’apprend pas grand-chose et que le roman aurait pu être situé n’importe où. Peut-être a-t-il manqué à l’auteur une documentation plus fournie ou une intime connaissance des lieux, tels que pourrait les rendre, par exemple, un Boualem Sansal ? Ou alors il a voulu écrire une métaphore de toute conquête ? (Pas celle des États-Unis parce que les Américains se sont empressés de nous endoctriner avec leurs « westerns » !).

Au total, je suis resté sur ma faim et n’aurai pas envie de relire ce roman-reportage.

PS. Le jour de la publication de ce billet (21 septembre 2023), je vérifie dans le calendrier que le prénom de celui que l’on fête s’écrit bien avec deux t. Facétie, ignorance ou négligence de l’État-civil, notre « Mathieu » ne comporte qu’un seul t. Dans le domaine des prénoms aujourd’hui, on ne peut plus s’étonner de rien ni rien déplorer. Cela étant, nom et prénom de l’auteur sont empruntés…

03/10/2022

"Cluny, de l'abbaye à l'ordre clunisien" (O. Hurel, D. Riche) : critique I

J’étais cistercien, depuis longtemps ; je suis devenu clunisien. Expliquons un peu…

J’ai d’abord découvert l’abbaye du Thoronet, lors d’un séjour en Provence. Il n’en reste que des ruines mais assez bien conservées et mises en valeur, grâce, entre autres, à Prosper Mérimée, auteur de nouvelles (dont la célébrissime Carmen mise en musique par Bizet) et surtout, pour ce qui nous occupe, inspecteur général des monuments historiques : il sauva l’édifice de la disparition en 1841. Je me suis passionné pour cet édifice en lisant le fabuleux roman de Fernand Pouillon, « Les pierres sauvages », paru en 1959 (voir ma critique du 14 mars 2016), et d’autant plus que j’y ai trouvé maintes références à la gestion de projet, que j’enseignais alors. Je l’ai fait découvrir à mes étudiants à l’occasion d’un sujet d’examen (!).

Le Thoronet est l’un des trois monastères provençaux d’obédience cistercienne, c’est-à-dire dans l’orbite de l’abbaye de Cîteaux, fondée en 1098 en réaction au faste de l’abbaye de Cluny (voir mon billet d'août 2017). Tiens, tiens, Cluny ! Mais pour l’heure les cisterciens seuls m’intéressaient : j’ai visité Cîteaux en Bourgogne et j’ai acheté un grand et beau livre : « Les abbayes cisterciennes » de Jean-François Leroux-Dhuys et Henri Gaud (Éditions Place des Victoires, 1998), dans lequel j’ai retrouvé Le Thoronet et aussi Orval, en Belgique. Les cisterciens voulaient revenir à la règle de saint Benoît (on parle de bénédictins), en réaction au luxe et aux dérives auxquels les moines de Cluny s’étaient laissé aller, comme nous allons le voir.

J’ai donc visité Cluny à l’été 2022, parce que ce lieu célèbre était sur ma route et je me suis familiarisé avec cette histoire millénaire, avec les constructions successives Cluny I, II et III (les outils numériques en donnent une image saisissante « comme si l’on y était »), avec l’irrésistible ascension favorisée par la Papauté et avec le lent effacement jusqu’au XVIIIème siècle. C’est cela que racontent les 295 pages du livre de Odon Hurel et Denyse Riche, « Cluny, de l'abbaye à l'ordre clunisien - Xème-XVIIIème siècle » en 2010 chez Armand Colin, à l’occasion des 1100 ans de l’abbaye.

Abbaye de Cluny.jpeg

Sur un tel sujet – et n’est-ce pas le devoir de tout ouvrage historique ? – il importe de préciser sa motivation et sa justification (« pourquoi un nième livre sur Cluny ? ») : ici, il s’agit de se pencher, justement, sur les temps moins glorieux de l’ordre clunisien, après les fastes des deux premiers siècles, ce thème ayant longtemps été négligé par les historiens.

08/11/2021

"Miroir de nos peines" (Pierre Lemaître)

J’ai lu « Miroir de nos peines » en une semaine, début mai 2021. Je l’avais trouvé dans le rayon « librairie » d’une grande surface du Cantal, à côté du « Sagesse » de Michel Onfray… et bien qu’il soit le troisième et dernier tome de la trilogie « Les enfants du désastre » de Pierre Lemaître, j’ai commencé par lui, et non pas par le Goncourt 2018 « Au revoir là-haut », que j’ai acheté plus tard.

C’est un roman de facture classique, sans fulgurances mais sans longueurs, construit sous forme de chapitres consacrés chacun à un personnage ou à une famille pendant l’exode du printemps 1940 (« l’art du découpage » dit la critique de « Le Monde »), chapitres qui conduisent à un épilogue où l’on apprend ce que deviennent « ces personnages dotés d’un charisme fou » (dixit « le Monde »).

Ne croyez pas « le Monde » ni même « Le Figaro magazine » (« Haletant et brillant »). Rabattez-vous sur « Lire » : « Très bien documenté et habile ». Voilà, c’est ça : documenté et habile, mais pas de la littérature !

On pense à l’injustement porté aux nues « Suite française » d'Irène Némirovsky (Éditions Denoël, 2004), qui lui valut l'attribution à titre posthume du prix Renaudot.

À ne lire que pour passer le temps, « sans se prendre la tête » comme disent les jeunes.