Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

17/10/2014

Le piano et les loups d'Hélène

Dans une brocante, j’avais déniché un livre quasiment neuf, avec sur sa jaquette un beau visage (féminin) aux yeux bleus ; son titre, également, m’avait accroché : « Leçons particulières », au sens, j’imagine, de « leçons de piano », puisque l’auteur (l’Assemblée nationale et les bobos écriraient « l’auteure ») en est Hélène Grimaud, ex-enfant prodige du piano et concertiste réputée.

C’est un livre assez récent (2005), dans lequel elle raconte sa sortie d’un « coup de déprime ».

J’ouvre le livre et je commence à lire.

Quelques premières formules sont alléchantes : « Dans le carré de ma fenêtre, le ciel était en fleurs et pétillait d’étoiles ».

En bas de la première page, qui est la page 11 en l’occurrence, je lis : « Je me suis souvenue qu’enfant j’avais tailladé le tronc d’un chêne… ». Pour l’accord du participe passé (souvenue), il a fallu que je vérifie dans le Bescherelle ; Hélène a raison, « se souvenir » étant un verbe « essentiellement pronominal », il se conjugue avec l’auxiliaire être et son participe passé s’accorde avec le sujet [seule exception : s’arroger].

Ensuite elle écrit : « toute interrogation sur la musique avait une réponse : non pas dans le regret du passé, mais dans la création de l’avenir ». Je n’ai rien compris à cette phrase sur le fond mais elle m’a bien plu car Hélène emploie, comme il se doit, les mots « le passé » et « l’avenir », et non pas « le futur » comme tant de journaleux gangrenés par le future anglais.

Dans l’absolu, j’aurais préféré qu’elle n’employât pas de « , » avant « mais », comme il se doit avec la fameuse série « Mais où et donc Or-ni-car »…

 

Ça s’est dégradé quand elle a parlé d’un « agenda » pour évoquer l’enchaînement infernal de ses concerts. Pour moi, un agenda est, en français, un calepin dans lequel on note ses rendez-vous quand on n’y préfère pas un téléphone mobile. L’Agenda 21, c’est du franglais.

 

Page 18, elle oublie la concordance des temps et des modes : « parce que je pressentais que là… je ressaisirai ce sens profond qui m’échappait… ». Il eût fallu écrire : « je ressaisirais »…

 

Et plus loin : « L’Afrique avait dû être dessinée par un séraphin greffier, attentif à noter le story-board de la Genèse ». Story-board sans italiques…

Et le « bocal à hot dogs », « qu’on arrosait de ces grands mugs de café aqueux et tiède », « le serveur… portait deux cheese-cakes… » et encore « Alawa, ma louve absolue », « il a en charge la protection du tigre de Sibérie… ».

 

J’en suis à la page 24 et déjà j’ai du mal…

 

« Je ne vois pas pourquoi j’irai chercher les ennuis » ; j’aurais écrit « j’irais chercher… » (page 132).

« un lac dont la fortune des résidants… » ; j’aurais écrit « des résidents » (page 134).

« pourquoi toute cette haine autour de nous ? cette mauvaiseté ? » ; tiens un nouveau mot… (page 137). Mon Hachette n’en parle pas…

« Ce qui fait signe en direction d’un manque… » ; cette formule me fait trop penser au snob « cela fait sens » décalqué de l’américain, pour qu’il trouve grâce à mes yeux (page 138).

Mais, page 183, elle adopte l’orthographe rectifiée de 1999 : « le modelé de son visage fut dissout dans l’ombre ».

Vous allez me dire : « Elle ne fait qu’écrire la langue de chez nous et, en plus, elle est souvent à Washington et à New-York ».

Certes mais toutes ces années de Conservatoire pour cela ?

 

Et son style, qu’en dire ?

Il n’est pas quelconque ; il est agréable à lire, inventif, varié, bien que souvent abscons et chargé de figures excessives. En voici quelques exemples :

« L’amour est un oubli qui se souvient »… je ne sais pas pourquoi, cela me fait penser à un poème de Léonard Cohen : « A kite is a victim you are sure of ».

« l’oubli une mémoire qui, d’avoir été en rapport avec l’éternité, laisse une trace ». Comprenne qui pourra !

« l’art dit ce que les mots, qui ne savent pas tout ce qui est, qui ne savent pas étreindre parfaitement ce que les êtres éprouvent au plus intime de leur cœur, ne peuvent pas toujours exprimer ».

Elle force un peu parfois sur les figures de style : « comme si d’être une femme m’obligeait à répudier les notes pour les noces, et d’être musicienne la plume pour le piano ».

« Dans le Nord extrême, sous le soleil, les vents poudrent l’air d’effervescence lumineuse et ardente. Au sud, par sirocco, il tend sur les têtes un grand dais de gaze blanche et continue, ondulant d’un horizon à l’autre. À l’est il est bleu à gueules d’argent et verdit l’azur de sève et de soie. À l’ouest, sur les côtes, par grandes bourrasques, il ratisse les nues comme le jardinier les feuilles d’automne, etc. ». Vous avez reconnu Hambourg, sans doute.

 

Enfin, le fond : quel livre Hélène Grimaud a-t-elle voulu écrire ?

C’est manifestement, suite à une crise, un ras-le-bol, une dépression, une réflexion sur les grands thèmes de la vie ; c’est une quête de sens, qu’elle a organisé comme un voyage (en Italie), avec des rencontres plus ou moins allégoriques : le Professeur (qui lui donne une boîte à musique à remettre à un jeune homme à Hambourg), Béatrice (c’est Dante ou Pétrarque, je ne sais plus ?) et l’Inconnu et le Collectionneur. Il y a du Paulo Coelho chez Hélène, ce n’est pas ma tasse de thé…

Cela se veut philosophique, initiatique, métaphorique… j’y perds quant à moi mes derniers mots de latin. C’est l’histoire d’une renaissance.

 

Arrivé sans peine ni ennui à la dernière page de ces Leçons particulières, pas particulièrement originales mais bien construites et bien écrites, et qui se terminent bien, je me dis que l’auteur est sympathique et sa philosophie positive, généreuse, œcuménique. Ce n'est déjà pas si mal.

16/10/2014

À la recherche du français perdu...

Dans son livre de 1999, voici ce qu’écrivait Jean Dutourd, que je vous ai présenté succinctement dans le billet du 11 octobre 2014 :

… une rubrique de bon langage comme celles qui fleurissaient dans la presse au temps où les Français étaient persuadés que la littérature était l’expression même de leur génie et qu’il n’était pas ridicule de descendre aux plus infimes minuties grammaticales.

… notre langue était l’instrument le plus approprié pour aller jusqu’au plus caché de l’être, le bistouri permettant de tout disséquer dans l’esprit.

… La première des deux guerres réelles de notre temps est celle opposant la science, la technique, l’industrie à la philosophie et aux lettres ; la seconde, qui en découle, et n’est pas moins furieuse, a lieu entre les langues saxonnes et les langues latines.

… Le purisme (NDLR : à propos du bon français, dans sa rubrique du Figaro) est très amusant… mais c’est un amusement du temps de paix et de bonne compagnie. Le pratiquer, en 1998, est une activité dérisoire, telle que de s’appliquer à arracher les mauvaises herbes dans un jardin pilonné par les bombes. Si les bombes cessent un jour de tomber, on pourra recommencer à sarcler.

… Et je me suis aperçu aussi qu’en traitant du langage, je touchais aux mœurs, à la politique, aux vices des Français de maintenant, que je pénétrais même quelques secrets de la bêtise du XXè siècle…

Le langage conditionne tout, il est la charpente et le ciment des civilisations… Submerger la langue sous un afflux de mots étrangers et de néologismes hâtifs fabriqués par des techniciens ou des marchands finit par détruire non seulement la langue elle-même mais encore le passé, l’histoire, les coutumes, les traditions, les métiers, les vieilles recettes et surtout cette chose si charmante qu’est le génie national, par la vertu duquel les hommes sont différents les uns des autres et le monde agréable par sa variété.

Il s’agit de rendre les hommes identiques d’un continent à l’autre. Travail de longue haleine, qui commence par imposer un patois commun, le reste découlant de cette première violence. Mais est-ce une violence seulement ? Les pays sont consentants. Rien ne leur semble plus élégant que de se transformer en colonies et de parler petit-nègre.

… (Une langue ne peut que s’enrichir des apports extérieurs, certes) mais à condition que ces apports soient peu nombreux, afin que la langue ainsi nourrie les digère à loisir, non pas si on les déverse par tombereaux…

…(Les lexicographes) maintenant mettent un point d’honneur à n’être que les journalistes du langage ; c’est à qui attrapera le premier la moindre scie américaine ou argotique fraichement éclose dans la publicité ou les plus anodins échanges de propos… sous couleur qu’il est essentiel de suivre pas à pas « l’évolution de la langue ».

La langue française est belle parce qu’elle est vieille… Chaque mot a été roulé par les âges…

… quand apparaît un vocable inédit, au sens indécis, à consonance étrangère ou scientifique, il a vite fait de se substituer aux termes anciens qui étaient non seulement esthétiques mais encore adéquats ; il les mange comme un loup ou un bacille.

Remplacer un mot français par une des ordures linguistiques actuelles, cela revient à commettre un acte de vandalisme comme de casser le bras d’une statue ou de barbouiller de peinture la noble porte cochère d’un hôtel du XVIIè siècle.

 

La langue française est en état de siège. Il ne tient qu’à nous que ce soit le siège de Paris, dont nous ressuscitâmes très vite, et non celui de Troie au terme duquel la ville fut rasée définitivement.

 

Tout est dit, et avec force !

On ne découvre jamais rien, hélas, et ce blogue ne fait que reprendre des constats et des protestations déjà publiées, et par un Académicien s’il vous plaît, en 1999…

Résumons ; quelles sont donc les grandes lignes de l’analyse que nous partageons avec Jean Dutourd ?

1.   Le franglais et le galimatias ont pour cause principale le snobisme ;

2.   Cette rage de parler franglais est corrélée avec l’autodénigrement et le renoncement propres aux Français d’aujourd’hui ;

3.   La langue, c’est le génie d’un peuple ;

4.   Il y a un complot qui vise à l’uniformisation via un patois universel ;

5.   Une langue ne s’enrichit des apports extérieurs que s’ils restent peu nombreux (et aujourd’hui, il y en a beaucoup trop) ;

6.   Les dictionnaires « pompent » sans discernement le moindre mot nouveau, étranger ou argotique ;

7.   Les mots du français ont été façonnés par le temps qui a passé ;

8.   On les remplace sans raison valable, par des mots nouveaux, qui phagocytent les anciens ; c’est un massacre ;

9.   L’heure est grave mais il ne tient qu’à nous de réagir et d’éviter la disparition de notre langue.

15/10/2014

Irritations IV et satisfaction I

Commençons par les irritants, et d’abord, Premier oblige, par le Premier Ministre (de la France) qui n’a pas pu s’empêcher de faire moderne en déclarant sur Twitter que le prix de la Banque de Suède attribué à Jean Tirole était une revanche sur le french bashing… Honte à lui ! Prétendra-t-il encore enseigner le bon français aux petits Français ?

Il faut dire que c’est un prêté pour un rendu concernant le lauréat, qui n’avait pas trouvé mieux, rentrant des États-Unis , d’appeler Toulouse School of Economics, l’école qu’il avait créée (probablement en échange de son retour…). Nougaro avait dû s’étrangler là où il est (avec trois accents bien placés, voir mon billet prochain à ce sujet).

 

Satisfaction maintenant d’entendre l’ancien Premier Ministre, Alain Juppé, sur France Inter (le 7-9 du 14 octobre 2014) susurrer, sans en avoir l’air, à propos des sondages très favorables qui le placent en tête : « ça faseille »… J’ai dû ouvrir mon dictionnaire car, bien que comprenant son sens, je n’arrivais pas à visualiser le verbe en question.

Faseiller ou faseyer, c’est du vocabulaire maritime qui signifie battre ou claquer, pour une voile qui reçoit mal le vent.

Bravo, Alain, c’est la grande classe ! On te connaissait cycliste, on te découvre marin ; on te connaissait inspecteur des finances, on te découvre littéraire !

Enfin, pas vraiment car, rappelons-nous, Alain Juppé est celui qui avait remis à l’honneur le merveilleux mot « calamiteux » (à propos du bilan de ses prédécesseurs). C’est donc un récidiviste du bon mot qui fait mouche.