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10/12/2014

Écrivains contemporains et langue française : Jacques Chauviré encore (VIII)

La Saône de J. Chauviré.jpgDonc, Jacques Chauviré, après une période de doute consécutif à la disparition de l’un de ses petits patients, commence à écrire sur le conseil d’Albert Camus, avec qui il correspond. Écrivant la nuit, en marge de son métier, il publie cinq livres, sans grand succès, entre 1958 et 1980, date à laquelle il prend sa retraite et arrête d’écrire. Il se retire dans la maison familiale des bords de Saône.

En septembre 2003, après vingt ans de silence donc, il publie « Élisa », le court récit de l’amour d’un enfant pour la jeune fille qui le garde. Jacques Chauviré, qui a alors 88 ans, a l’impression de rajeunir ; c’est le succès littéraire. Je découvre ce livre fin décembre 2004 et je m’enthousiasme pour ce condensé du « Messager » et de « l’Amour au temps du choléra ». J’écris dans mes notes : « vivement la suite », sans savoir que c’est le dernier ouvrage du Docteur Chauviré, qui disparaît  le 7 avril 2005.

La suite ? C’est dans les « Mouettes sur la Saône » qu’il faut la lire, un chef d’œuvre de sensualité selon Jérôme Garcin (dans son article du Nouvel Observateur de décembre 2003 dont j’ai extrait quelques éléments de ce billet). Ce n’est qu’en juillet 2008 que j’ai dévoré ce gros roman sur l’enfance, la campagne, la maison de vacances l’été, l’ancien temps, la France des années 20 ; poésie, nostalgie, caractères évoqués aux destins originaux… un très grand livre.

Plus tard, j’ai lu également « La Terre et la Guerre », qui n’atteint pas le même pouvoir d’émotion. On retrouve le leit-motiv de l’eau du fleuve et des étangs mais j’ai eu l’impression d’une paraphrase de J. Chauviré par lui-même. Le sujet – une fresque de la Première guerre mondiale, en hommage à son père – était peut-être trop ambitieux ?

 

Voici encore quelques lignes de Jacques Chauviré :

« Je suis maintenant très vieux. Certains s’interrogent. Il y a parfois des conciliabules autour de moi…

Je me souviens. Ma mère, Élisa qui me furent chères et le demeurent ne sont plus, au mieux que des âmes… Alors je suis en deuil et l’enfant-vieillard ou le vieillard-enfant que je suis devenu ne sait plus très bien ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas ».

09/12/2014

Écrivains contemporains et langue française : Jacques Chauviré (VII)

Les Grands de la littérature, je les vois en cercles concentriques ou en pyramide : au centre (ou au sommet), les Intouchables, les Géants : Hugo, Balzac, Proust, Zola sans doute, Flaubert peut-être, que je n’ai pas lu... Dans le deuxième cercle, mais tout près, soit parce qu’ils sont moins universellement reconnus, soit parce que leur production romanesque est d’envergure plus modeste : Giono, Garcia-Marquez, Durrell, Camus, Gary, Albert Cohen…

À la périphérie (ou à la base), les écrivains à la mode, les écrivains pour la plage ou le métro, l’hypermarché Leclerc de la littérature : Musso, Marc Lévy et tous les autres…

Et entre les deux, un peu confidentiels, ceux que j’ai découverts par moi-même, au premier rang desquels Magnan et Chauviré.

La langue et l’inventivité épique du premier ont quasiment toutes les qualités de celles de Giono ; seulement, il y avait Giono… toujours la prime au premier sur le marché, comme dans la mondialisation !

 

Le second a souffert d’entrer fort tard en littérature, à l’issue des quarante ans de sa carrière de médecin généraliste dans une petite ville de Saône et Loire. Mais, en quelques années, encouragé par Camus, et influencé par lui, il a publié quelques romans remarquables, et aussi des nouvelles, inspirés de sa pratique et de sa propre histoire.

 Élisa Jacques Chauviré.jpg

Jacques Chauviré manie à la perfection la concision (les phrases de 15 mots !), la précision, le rythme de l’écriture, au service d’un talent de conteur et d’humaniste. Tout cela culmine en deux sommets de son art : « Les mouettes sur la Saône » (1980), souvenirs d’enfance, et « Élisa » (2003), nostalgie d’un amour d’enfant.

Il a aussi écrit un livre sur la guerre de 14-18, qui a fait mourir son père sur les champs de bataille, « La terre et la guerre » (1964).

 

Modeste, généreux, attentif aux souffrances des hommes et pudique, Jacques Chauviré a écrit lui-même sa biographie dans la postface de deux nouvelles terribles « Fins de journées » (1990). En voici quelques extraits :

 

« Dérives et naufrages sont dans la nature de l’homme. Je ne crois guère à l’innocence. Mais la pitié et le pardon appartiennent à tous »…

« Je suis issu d’un milieu modeste où comptait la notion du bien et du mal »…

« En 1942, je me suis installé à Neuville-sur-Saône comme médecin généraliste. J’y suis resté quarante ans. Les fenêtres de mon bureau donnaient sur la rivière »…

« Après avoir exercé pendant quelques années et après avoir beaucoup lu, il m’a paru nécessaire et naturel de m’interroger sur le sens de mon métier. J’avais, au fil du temps, appris que le médecin perd toujours »…

« Un soir d’été, j’écrivis à Albert Camus qui me répondit. De là naquit une correspondance »…

« Le ton de l’Étranger, la voix qui murmure dans la Chute, l’écriture d’Un cœur simple n’ont cessé de me poursuivre et de me préoccuper. D’autres m’ont aussi accompagné, et d’abord Baudelaire et Racine, puis Saint-Simon, le Rousseau des Confessions et des Rêveries, Proust. Et, proches de nous, Cioran et Le Clézio ».

« Il est vrai que mes livres n’ont pas de héros et que leurs personnages sont gens du quotidien. Ce sont eux que j’ai rencontrés. Ils m’ont paru dignes d’intérêt parce que simples, pudiques et souvent fidèles ».

08/12/2014

Dis pas ci, dis pas ça (V)

Dans son petit livre de mise au point, l’Académie, pour recommander ou bannir, se fonde sur quelques principes qui sont aussi les miens depuis longtemps : rester simple dans son expression, être logique et cohérent, utiliser les mots qui existent au lieu d’attraper tous les néologismes qui passent, tirer profit de la variété et de la précision de notre langue, au besoin « recycler » des mots passés de mode… mais elle rappelle aussi assez souvent l’origine et la « trajectoire » des mots, c’est-à-dire l’étymologie, ainsi que les exceptions et quelques paradoxes de l’usage  qui, parfois, laissent perplexes (ainsi, « clôturer » ne doit être employé qu’au sens propre, dans le monde physique : « clôturer un champ », alors qu’on tolère le substantif « clôture » au figuré : « clôture de la Bourse »).

 

Je vous propose aujourd’hui de balayer le chapitre de la lettre C. Il contient des articles dont le contenu m’a fait plaisir (courriel et mél., contrôle…).Céimène.jpg

 

Commençons par lever l’incertitude que nous avons tous sur les verbes qui autorisent la construction personnelle ou impersonnelle. On peut dire et écrire : « Nous verrons ce qui se passera » aussi bien que « Nous verrons ce qu’il se passera, l’Académie considérant que la nuance est souvent indiscernable et constatant que les meilleurs écrivains emploient l’une ou l’autre des formulations. Libertad !

 

L’arbitrage entre « C’est » ou « Ce sont » est plus compliqué. On retiendra que « le pluriel est de meilleure langue », sauf dans quelques cas comme « C’est vous tous qui avez décidé ».

 

Avec « Ci-inclus » et « Ci-joint », on franchit un autre seuil de difficulté. Il y a trois cas de figure :

§  la locution a la fonction d’épithète et est placée « avant » ; on accorde ; « La pièce ci-jointe » ;

§  la locution est nettement adverbiale, en particulier en étant placée « après » ; on n’accorde pas ; « Ci-joint la copie des pièces » ;

§  dans les autres cas, ça dépend et donc ça varie… Bonjour l’hésitation.

 

Bien sûr, à la lettre C, il y a aussi des termes franglais… Je n’insiste pas sur « confusant » (de l’anglais confusing), qui n’a aucune raison de remplacer troublant, perturbant, déconcertant, prêtant à confusion, etc.

 

Et maintenant, le fameux « Contrôle » et son double, l’anglais Control. Son histoire est intéressante et éclairante. Au départ, il y a le « rôle », qui est une liste inscrite sur un rouleau de papier ; puis, le « contre-rôle », qui servait à vérifier l’exactitude de ce qui était inscrit sur le rôle et qui a donné « Contrôle ». Il ne faut employer « Contrôle » que dans ce sens de vérifier, et non pas dans le sens anglais de maîtriser, conduire, commander. Tout le sel de cet article, et le rédacteur de l’Académie ne le sait sans doute pas, est que, dans les entreprises, le « Contrôle interne » s’est répandu et que ses experts passent leur temps à répéter que ce n’est pas de la vérification pointilleuse mais une assurance de la maîtrise des activités. Alors qu’on fait appel généralement à la logique et à l’étymologie pour inciter les gens à « bien parler», il faut donc dans ce cas précis les enjoindre à lire un mot « Contrôle » en lui attribuant le sens de « maîtrise », alors qu’il signifie bien « vérification ». C’est la schizophrénie de l’entreprise et, certains diront, la Lingua quintae respublicae…

 

L’Académie dit bien « courriel » pour les messages électroniques (e-mail) et « mél. » uniquement pour les adresses, dans le même emploi que « tél. ». S’il n’y avait que ce critère, sur ces seuls deux mots, je pourrais donc postuler à l’Académie avec une chance de succès…

 

Mon dernier paragraphe est pour M. : une rumeur (un canular) a couru il y a quelques mois dans les réseaux sociaux, selon laquelle l’Académie accepterait « ils croivent » à côté de « ils croient ». Il n’en est rien : bien que cette forme soit fréquente dans certaines régions, depuis fort longtemps, et pas uniquement dans les banlieues…, elle est incorrecte. Malgré des ressemblances, « croire » ne se conjugue pas comme « boire » ou « savoir » !