19/12/2014
Écrivains contemporains et langue française : Éric Orsenna, addendum (X)
Je ne veux pas quitter Éric Orsenna sans mentionner un autre point, lié à l’omniprésence et à la précipitation : les vedettes médiatiques font vendre et sont pour cela courtisées, entre autres par les éditeurs pour des préfaces, des commentaires ou des postfaces. Il y a certainement la tentation pour ces vedettes d’accepter et de s’acquitter le plus vite possible de la tâche, avec le risque qu’elle soit bâclée.
J’en veux pour preuve le magnifique ouvrage sur Kerdalo, le jardin continu (Éd. Eugen Ulmer, 2007), qu’ont signé Eric Orsenna (en gros caractères) et Isabelle et Timothy Vaughan (en plus petits), ainsi que Yann Monel.
Bon, rétablissons les contributions de chacun : les Vaughan ont repris et développé le jardin breton des Côtes d’Armor conçu par Peter Wolkonsky, le père d’Isabelle. Y. Monel a réalisé les photographies, une merveille. Quant à notre homme du Quai Conti, il a écrit un texte de présentation et les commentaires des photos. Pour l’éditeur, c’est sans doute un livre de l’Académicien avant tout.
Son texte est très bon : il raconte l’histoire du jardin, en commençant par celle de son amoureux, Peter Wolkonsky, né à Saint Pétersbourg au début du XXe siècle, qui l’achète à des propriétaires angevins dont il est dit que « Plus leur plaît le Val de Loire que la sévère Armorique ». La magie peut agir, la langue accompagne les brumes bretonnes et souligne le dessein du créateur. Le savoir-faire et le goût du jardinier sont à l’unisson de l’art moderne du jardin : évoquer, symboliser, mettre en valeur ou se fondre dans le paysage… comme chez Pascal Clément, comme au festival des jardins d’Amboise. Le site internet est somptueux : http://www.lesjardinsdekerdalo.com
Et on aimerait, on est en droit d’exiger, que la forme soit à la hauteur du fond. Mais dès la première page, ça sent le laisser-aller : une vieille photo montre Peter et sa « soeur » (même mon iMac a du mal à l’accepter écrit comme cela…). On passe sur le « 4 » en chiffres dans la légende d’une photo, alors qu’il devrait être écrit en lettres (comme tous les chiffres !). Las ! page 23, on lit « Et pourquoi tout conserver se demande Isabelle et Tim ? ».
Je ne veux pas vous embêter avec cette lecture pointilleuse et maniaque du livre, d’autant que je vous ai déjà fait le coup avec l’histoire de la Lorraine…
Un dernier exemple : page 63 « Au premier plan dominent les scabieuses, bleu mauve font écho au bleu du géranium… ».
Voilà donc ce qu’un éditeur vend 30 euros, sous la signature d’un Immortel, qui n’a manifestement pas relu ce qui était imprimé en son nom. Misères de l’édition, de la précipitation et de l’omniprésence.
Allez ! depuis le temps que je tergiverse… j’écris à Éric Orsenna.
09:40 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0)
18/12/2014
Écrivains contemporains et langue française : Éric Orsenna (IX)
Il y a des Académiciens dont on se demande ce qu’ils font : pas Jean d’Ormesson (qui vibrionne sur les plateaux de télévision et se délecte d’entendre les animateurs passe-plats ressasser qu’il serait l’écrivain préféré des Français…), pas Max Gallo ni Dominique Bona qui enchaînent qui des livres d’histoire, qui des biographies, pas Dominique Fernandez ni Jean-François Rufin qui publient de temps à autre un petit livre original… Michel Serres publie beaucoup.
Mais l’Ex ? que fait-il ?
Et Jean-Loup Dabadie, élu alors que Charles Trénet avait été retoqué à l’époque, et qui a écrit tant de belles paroles de chansons et de scénarios bien troussés, avant d’en être ?
Michel Déon se promène certainement en Irlande ; quant à Michael Edwards, élu sans doute pour montrer que l’Académie est ouverte au monde de l’understatement, il a publié en 2014 « Le génie de la poésie anglaise » ; faut le faire tout de même, quand on est hébergé chez Richelieu !
Et tous ces inconnus du grand public ? François Cheng, Jean Clair, Florence Delay ?
Bien sûr, il y a la Commission du dictionnaire…
Bien sûr, il y a les discours de réception des petits nouveaux : je discours en arrivant et tu me réponds… ça fait du boulot !
On ne peut pas reprocher à Éric Orsenna de dormir sur ses lauriers !
Il est apparu en plein jour grâce au Prix Goncourt pour l’Exposition coloniale en 1988 et comme plume éphémère de François Mitterrand, Président de la République.
Son CV est étonnant par sa diversité de compétences affichées et de postes honorifiques, signe d’un génie du réseautage : entre hypokhâgne à Versailles et l’IEP, Wikipedia ne dit rien mais on le retrouve enseignant-chercheur en finance internationale… et la biographie cite en vrac l’ENS, la London School of Economics, l’École nationale du paysage, puis Canal+ et j’en passe. Il est nommé (mais comment donc ?) au Conseil d’État, ce qui lui assure position de repli et retraite… Un catalogue de la nomenklatura parisienne.
Son prénom et son nom sont amusants : ce que j’écris Éric s’écrit en fait Erik, alors que ses origines sont cubaine et luxembourgeoise. Quant à son patronyme, c’est un nom d’emprunt (à Julien Gracq), qui cache Arnoult, qui va si bien avec Éric.
Quoiqu’il en soit, il butine d’un organisme à l’autre et écrit sur les sujets les plus divers, mais défend avec fougue, il faut le dire, la langue française (voir mon billet Émerveillement). On connaît la série « La grammaire est une chanson douce » (2001), « Les chevaliers du subjonctif » (2003), « La Révolte des accents » (2007), « La Fabrique des mots » (2013), suite et fin de sa saga sur la grammaire, qui est somme toute une belle idée.
Mais il y a son filon « économico-écolo » : Portrait du Gulf Stream. Éloge des courants : promenade, Voyage aux pays du coton. Petit précis de mondialisation, Salut au Grand Sud, avec Isabelle Autissier, L’Avenir de l’eau, Sur la route du papier.
Et il y a eu aussi, depuis 1974 : Rêves de sucre, Besoin d’Afrique, Grand Amour, Mésaventures du paradis : mélodie cubaine, Rochefort et la Corderie royale, Deux étés, Longtemps, Madame Bâ et sa suite Mali, ô Mali, Dernières nouvelles des oiseaux, Le Facteur et le Cachalot, Les Rois Mages, La Chanson de Charles Quint, Courrèges, Et si on dansait ?,L'Entreprise des Indes, Princesse Histamine…
(Source Wikipedia et Académie française).
J’ai lu "Histoire du monde en neuf guitares" qui met en scène les idoles de toute une génération (la sienne) : Hendrix, Clapton… et de la précédente (Django). C’était une bonne idée, pas vraiment développée. Une bonne idée, c’est tout.
Son « Portrait d’un homme heureux : André Le Nôtre » m’a beaucoup plu. Le sujet est passionnant (l’épopée de Versailles sous Louis XIV et de la pléiade de génies dont il avait su s’entourer). Le style d’Éric Orsenna me fait penser à celui de Pascal Quignard, très sobre. Un très bon moment (merci à SES de me l’avoir fait découvrir). Cela étant, l’exercice était un peu facile car le livre est très court, répétitif et sans réel approfondissement.
Le « Voyage au pays du coton » est un livre bizarre, disons original : c’est un tour du monde, sous forme d’anecdotes et d’aphorismes, souvent intéressants. Je trouve qu’il est resté à la surface des choses et, quant aux aspects économiques, c’est lapidaire et simpliste. Son style est sobre, voire sans relief. Ça ne m’a pas déplu néanmoins.
Juger un écrivain aussi prolixe sur trois livres, serait injuste et malhonnête. Et il me reste à lire l’Exposition coloniale. Mais je serais prof., je noterais dans la marge de ses copies : « Éric Orsenna, faites-en moins, moins souvent mais approfondissez ! ». Serait-il le Jean d’O. de la mondialisation, coqueluche sans particule du peuple avide de connaissances encyclopédiques ?
11:43 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0)
17/12/2014
Les haruspices du possible
Quand j'ai lu ce mot dans le Marianne du 12 décembre 2014, sous la plume d'Alexis Lacroix, j'ai dû ouvrir mon dictionnaire !
"Haruspice" (ou "Aruspice") est le nom des prêtres qui, dans la Rome antique, tiraient leurs prédictions de l'observation des entrailles des animaux offerts en sacrifice.
En l'occurrence, le chroniqueur l'emploie improprement dans la phrase suivante : "Le lien.. leur permet de déchiffrer les haruspices du possible" (on ne peut pas déchiffrer un prêtre…).
Cela étant, la chronique nous concerne car elle pointe "le renoncement et le repliement", "l'économisme et le narcissisme provincial" de nos hommes politiques quant au rayonnement de la langue française. Ils ont oublié Malraux, Senghor et aussi Abdou Diouf, secrétaire général sortant de la francophonie, inlassable adversaire de l'extension du globish, et qui publie ses Mémoires. Elle rappelle que l'Afrique et le monde afro-caribéen sont l'avenir de la création et de la réflexion en français.
Face à cette démission des élites parisiennes, un ultime rempart : les écrivains, dont "les œuvres donnent une seconde vie à cet humanisme, cet universalisme dans lequel le philosophe Léon Brunschvicg avait vu le génie même du français".
Ce n'est pas tout : ce numéro de Marianne titre "L'école en échec scolaire". Le paragraphe sur la lecture est édifiant.
"L'effondrement de la lecture est d'abord la conséquence logique de l'effondrement de l'enseignement de la lecture. Il y a quarante ans, l'élève de CP bénéficiait de 15 heures de français, contre 9 en 2006. En moyenne, un bachelier d'aujourd'hui aura reçu dans son parcours scolaire 800 heures de français en moins que ses parents".
"40 % des écoliers entrent en sixième avec de profondes lacunes en lecture, écriture et calcul".
Le ministère recommande de "ne pas faire lire à haute voix les élèves en classe pour ne pas les humilier".
Sans commentaire.
08:36 Publié dans Actualité et langue française | Lien permanent | Commentaires (0)


