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21/12/2014

Dis pas ci, dis pas ça (VI)

En vue des repas de fêtes, je vous propose de retourner vers le bréviaire de l’Académie pour quelques billets ; cela vous permettra de briller au cas très probable où quelqu’un emploierait une expression impropre ou commettrait un barbarisme. Attention, ce sera peut-être pour vous l’occasion de vous faire envoyer paître et traiter d’empêcheur de parler en rond…

Bon, allons-y.

 

« De par » est une locution bizarre ; je me suis toujours insurgé contre la graphie erronée « de part », très fréquente, alors que c’est justement l’origine de formules comme « de par le Roi » ou « de par la Loi », qui signifient « de la part de », « au nom de ». Il y a une autre origine : « de par le monde ». En tous cas, il faut éviter de l’utiliser dans le sens de « étant donné » ou « du fait de ». Et ne jamais mettre de « t ».

 

Pas besoin d’employer le franglais deadline, on dispose de « dernier délai » et de « date-butoir », et même de « dernier carat » si on tient à montrer un peu de fantaisie.

 

Rappel : « Débuter » et « démarrer » sont des verbes intransitifs ! Ils n’admettent pas de complément d’objet direct. En revanche, on peut « commencer la journée », « engager une procédure », « ouvrir la séance ».

 

Je ne vous ferai pas l’injure d’insister sur le fait que « définitivement » n’a pas (plus) le même sens que l’anglais definitely. Malheureusement, la moindre pimprenelle, qui vient confier à la télévision, devant les cinq millions de spectateurs du Beau Gosse, qu’elle s’est « mise en danger » dans son dernier film, répond « Définitivement », à la question « C’est donc un tournant de votre carrière ? », au lieu de « oui » ou « absolument »… Conclusion : les belles filles qui font du cinéma apprennent le franglais et non pas l’anglais. C’est dommage : ne doit-on pas préférer l’original à la copie ?

 

Les informaticiens seront sans doute contrariés de ce qu’ils mettent au point ou créent des programmes mais sûrement pas qu’ils les développent (cf. le « développement » de logiciel). Car « développer » veut dire « donner de l’ampleur à quelque chose ». En fait, les programmeurs s’en fichent, ils parlent « développeur», pas français.

 

Ça m’a fait plaisir que l’Académie règle son compte à « différentiel » ! Dans les années 80 (1980…), j’avais été irrité par la manie du plus jeune Premier Ministre de la France de parler de « différentiel d’inflation » (avec l’Allemagne). Le peu que j’avais fait de mécanique à l’École m’avait appris qu’un différentiel est un dispositif qui sert à faire une différence. Il est donc idiot, snob ou inutile (au choix) de confondre l’outil et le résultat.

 

Plus subtil : l’emploi du franglais dispatcher pour dire « répartir ». C’est impropre car, dans l’anglais to dispatch, il n’y a pas l’idée de répartir mais l’idée d’expédier dans l’urgence. On voit bien que, de nos jours, pour parler correctement français et ne pas céder au globish, il faut connaître très bien l’anglais, et même avoir un intérêt fort pour les langues en général et la précision en particulier. Autant dire que c’est mal parti : les enfants connaîtront peut-être mieux l’anglais dans 15 ans grâce à leur instituteur, mais comme leurs heures de français ont été fortement réduites…

 

« En », « y », « dont », qui ont la fonction de remplacer quelque chose dans la phrase (principale ou relative), sont souvent employés n’importe comment, en tous cas avec redondance, ce que le français classique n’admet pas, contrairement à l’américain.

On dira « l’homme dont on envie les qualités », « c’est cela dont il s’agit », « tu y trouveras »… et non pas « l’homme dont on envie ses qualités », « c’est de cela dont il s’agit », « tu y trouveras dedans », « … où ils n’ont rien à y faire » (président d’un syndicat de médecins, BFM TV, 21 décembre 2014, vers 22 heures 30)

C’était le D…

20/12/2014

Écrivains contemporains et langue française : Élise Fischer (XI)

J’avais préparé mon voyage à Nancy en lisant un petit livre d’Élise Fischer (il y a bien « sch » dans son patronyme et non pas « sh », on est dans l’Est !) intitulé « Le roman de la place Stanislas » (2007), que j’avais trouvé fort opportunément dans une brocante.

Je l’ai relu en revenant ; c’était encore mieux.

La place Stanislas, magnifique avec ses grilles dorées, est la grande fierté des Nancéens ; elle est maintenant entièrement piétonne, devant l’hôtel de ville et le musée des Beaux-Arts. C’est vers elle que convergent les défilés de la Saint Nicolas et c’est là que s’admirent les feux d’artifice. Seul débat des passionnés : doit-elle être versée au crédit de Stanislas, dernier duc de Lorraine mais non héritier d’une dynastie lorraine ou bien de Léopold, son prédécesseur, le duc légitime ?

Elise Fischer.jpgÉlise Fischer, née d’un père lorrain et d’une mère alsacienne, fait partie des passionnés et de ceux qui en pincent pour Léopold ; influencée par sa mère, elle n’est pas loin de considérer que la présence de Stanislas sur le trône ducal est une imposture. Un roi de pacotille.

Son livre est une commande d’éditeur ; elle y brode l’histoire de Lorraine avec son histoire personnelle ; avec l’histoire de France aussi, parce que, depuis le XIIIe siècle, la France est un modèle et une grande pourvoyeuse de ducs (René d’Anjou…) et d’épouses (Élisabeth-Charlotte, l’épouse de Léopold est la nièce de Louis XIV, fille de la Palatine et de Monsieur ; a contrario, Marie-Antoinette, épouse de Louis XVI, est la fille de François Ier d’Autriche-Hongrie et ancien duc de Lorraine).

C’est bien troussé et souvent touchant ; Élise Fischer réussit à mettre en scène « sa » Lorraine, ses personnages illustres et les lieux de Nancy qu’elle aime : le musée lorrain, le parc de la Pépinière, la cathédrale, l’église Saint Epvre.

Elle a écrit de nombreux autres livres, dont la Lorraine est le cœur ou le prétexte ; « Les alliances de cristal » autour de Prouvé, Majorelle, Vallin, Corbin, Guingot, Gruber, Friant, Daum, Gallé, les maîtres de l’Art nouveau ; « Mystérieuse Manon » autour de Léopold… sont habilement évoqués dans le Roman de la place Stanislas.

Un écrivain régional ou régionaliste, discret mais de qualité.

« J’ai besoin de croire que l’esprit des lieux n’était pas prisonnier des vieilles pierres. Qu’il s’était posé, déposé et flottait ici et là. Avec sagesse, il aura attendu la fin des travaux pour revenir. Il n’est pas possible que tant d’histoire se perde. Stanislas, cette fois, veille… Et Léopold aussi. Mais pas seulement. À nous aussi, il appartient d’œuvrer. D’ouvrir le tiroir des curiosités, trop souvent ensommeillées dans nos petites têtes. À nous de veiller et de réveiller les endormis de l’histoire. Callot me l’a soufflé. Quand passe le vent dans les feuilles, tout peut arriver… ».

19/12/2014

Écrivains contemporains et langue française : Éric Orsenna, addendum (X)

Je ne veux pas quitter Éric Orsenna sans mentionner un autre point, lié à l’omniprésence et à la précipitation : les vedettes médiatiques font vendre et sont pour cela courtisées, entre autres par les éditeurs pour des préfaces, des commentaires ou des postfaces. Il y a certainement la tentation pour ces vedettes d’accepter et de s’acquitter le plus vite possible de la tâche, avec le risque qu’elle soit bâclée.

J’en veux pour preuve le magnifique ouvrage sur Kerdalo, le jardin continu (Éd. Eugen Ulmer, 2007), qu’ont signé Eric Orsenna (en gros caractères) et Isabelle et Timothy Vaughan (en plus petits), ainsi que Yann Monel.

Kerdalo.jpgBon, rétablissons les contributions de chacun : les Vaughan ont repris et développé le jardin breton des Côtes d’Armor conçu par Peter Wolkonsky, le père d’Isabelle. Y. Monel a réalisé les photographies, une merveille. Quant à notre homme du Quai Conti, il a écrit un texte de présentation et les commentaires des photos. Pour l’éditeur, c’est sans doute un livre de l’Académicien avant tout.

Son texte est très bon : il raconte l’histoire du jardin, en commençant par celle de son amoureux, Peter Wolkonsky, né à Saint Pétersbourg au début du XXe siècle, qui l’achète à des propriétaires angevins dont il est dit que « Plus leur plaît le Val de Loire que la sévère Armorique ». La magie peut agir, la langue accompagne les brumes bretonnes et souligne le dessein du créateur. Le savoir-faire et le goût du jardinier sont à l’unisson de l’art moderne du jardin : évoquer, symboliser, mettre en valeur ou se fondre dans le paysage… comme chez Pascal Clément, comme au festival des jardins d’Amboise. Le site internet est somptueux : http://www.lesjardinsdekerdalo.com

 

Et on aimerait, on est en droit d’exiger, que la forme soit à la hauteur du fond. Mais dès la première page, ça sent le laisser-aller : une vieille photo montre Peter et sa « soeur » (même mon iMac a du mal à l’accepter écrit comme cela…). On passe sur le « 4 » en chiffres dans la légende d’une photo, alors qu’il devrait être écrit en lettres (comme tous les chiffres !). Las ! page 23, on lit « Et pourquoi tout conserver se demande Isabelle et Tim ? ».

Je ne veux pas vous embêter avec cette lecture pointilleuse et maniaque du livre, d’autant que je vous ai déjà fait le coup avec l’histoire de la Lorraine…

Un dernier exemple : page 63 « Au premier plan dominent les scabieuses, bleu mauve font écho au bleu du géranium… ».

Voilà donc ce qu’un éditeur vend 30 euros, sous la signature d’un Immortel, qui n’a manifestement pas relu ce qui était imprimé en son nom. Misères de l’édition, de la précipitation et de l’omniprésence.

Allez ! depuis le temps que je tergiverse… j’écris à Éric Orsenna.

09:40 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0)