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28/11/2014

Le français, la nation et l'identité

Il y a de nombreux débats que l’on peut entretenir autour du français ; par exemple ceux-ci : le franglais est-il dangereux ? le français est-il la France ? ou l’inverse ? faut-il l’accrocher au grec et au latin pour le défendre contre l’anglais ? l’extension du français, grâce à la démographie africaine, rompt-il définitivement ses liens avec la nation (française), avec ses langues-mères (grec et latin) ? le français, langue d’une nation férue de culture et d’histoire, et aussi langue internationale, est-elle « unique » ? l’anglais, par exemple, ne peut-il pas prétendre aux mêmes caractéristiques et se croire, lui aussi, unique ?

Philippe de Saint-Robert, ancien délégué à la langue française, si je ne me trompe pas, qui rendait compte du livre de Jacqueline de Romilly dans le Figaro, le 3 mai 2007 (voir mon billet du 27 novembre 2014), en a profité pour rappeler que « ce qui définit le mieux l’identité de la France, c’est la langue ». « Dissocier l’être de l’expression relève d’une débilité philosophique ».

Et pour lui, l’évolution de la langue n’a rien de naturel ; au contraire « ses évolutions sont instrumentalisées par des états de tension, par des rapports de force ». Et il ajoute : « Peut-être veut-on nous couper des textes antérieurs de notre littérature en torturant la langue contemporaine afin de mieux manipuler notre pensée, en réduisant son expression à la vulgarité du temps ? ». On n’est plus très loin de la Lingua Quintae Respublicae (voir mon billet à ce sujet).

Francis Ponge, de son côté, dans son « Pour un Malherbe », écrivait : « Nous pratiquons la langue française. Celle-ci n’est pas seulement pour nous notre instrument naturel de communication ; c’est aussi notre moyen de vivre (…). Notre façon d’être est de pratiquer la langue française ».

Dans un autre registre, et sans méconnaître la connotation politique et partisane du propos, on a Nicolas Sarkozy, ancien Président de la République (2007-2012) qui proclame : « Ici, on est en France ; on parle français ! » (discours de Nîmes, 27 novembre 2014).

27/11/2014

Écrivains contemporains et langue française (V) : Jacqueline de Romilly

L’académicienne Jacqueline de Romilly, (1913-2010), première normalienne à l’École de la rue d’Ulm et helléniste de renom, lauréate du Concours général la première année où les filles pouvaient concourir, agrégée de lettres, docteur ès lettres, première femme professeur au Collège de France, première femme membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, a publié en 2007 « Dans le jardin des mots » (Éditions de Falloix).

En voici quelques extraits.

« Ainsi l’habitude veut que l’on lie les mots entre eux par la prononciation (…). Des fautes de liaison peuvent donc être graves (…). Peut-on imaginer de dire mes_amis sans faire de liaison ? peut-on parler d’un_homme sans la faire ? (…). Je comparerais volontiers ceux qui massacrent les liaisons et les mettent au petit bonheur, à ceux qui sont atteints d’ataxie locomotrice. Oui, c’est là une maladie… ».

« Trouver le mot juste n’est point un snobisme mais le goût de la précision ».

« Les bizarreries apparentes de notre langue s’expliquent, comme celles qui concernent les racines mêmes des mots, par l’histoire de la langue ».

« Les lectures, les connaissances pêchées ici ou là, tout contribue à cet enrichissement des mots. Même nos souvenirs personnels, même ceux de conversations, de mots entendus, de paysages aimés. Il faut d'abord employer les mots correctement, ensuite les reconnaître dans leur histoire même, et enfin, s'entraîner à percevoir, à l'usage, toutes les résonances poétiques que peut leur apporter ce retentissement secret ».

J. de Romilly incarnait une conception exigeante et humaniste de la culture. Elle a laissé une œuvre considérable sur Athènes d’où « tout est sorti brusquement » : la philosophie, l’histoire, la tragédie, la comédie, les sophistes. « Je regrette que l’on n’œuvre pas suffisamment pour ce qui développe la formation de l’esprit par la culture, par les textes et l’intimité avec les grands auteurs, perdant ainsi un contact précieux avec ce que les autres ont pensé avant nous ». « Pourquoi tirerait-on davantage d’une rencontre avec n’importe qui, que d’un tête-à-tête avec Andromaque ou Hector ? ».

L’historien grec antique Thucydide était l’un des « hommes de sa vie ». elle a beaucoup travaillé aussi sur Homère, Eschyle et Euripide.

Voici le titre de sa thèse de doctorat, sur Thucydide : Ο Θουκυδίδης και ο αθηναϊκός ιμπεριαλισμός : Η σκέψη του ιστορικού και η γένεση του έργου / Jacqueline de Romilly · μετάφραση Λύντια Στεφάνου · επιμέλεια Κώστας Τσιταράκης. - 4η έκδ. - Αθήνα : Παπαδήμας

Pour elle, le grec ancien devrait être accessible à tous. Et elle a souffert énormément depuis quelques dizaines d’années de voir l’étude de cette langue décliner (Hélène Carrère d’Encausse).

Comment débute une telle carrière ?

En 1934, elle a 21 ans, sa mère, la romancière Jeanne Malvoisin, lui offre une édition bilingue – grec et latin – de Thucydide, en sept volumes, en lui disant : « Ce serait bien que tu fasses un peu de grec pendant les vacances ». Avis aux amateurs de jeux vidéo et aux accros des séries américaines…

Jacqueline de Romilly a consacré un livre à sa mère, en 1977 : « Jeanne ».

 

Source : le Figaro, 19 décembre 2010.

26/11/2014

Ah, les chers anges...

Hier soir, je participais en tant qu’invité à la réunion plénière d’un club d’investisseurs providentiels…

Vous voyez de quoi il s’agit ? Non ?

En fait, c’est moi qui les appelle par leur nom français ; eux, ils se disent business angels, ça fait plus sérieux sans doute. Dans le monde de brutes sans foi ni loi qui est celui des affaires, il y aurait donc, d’après les Américains, de petits anges aux poches profondes… Les Français, du moins leurs lexicographes, voient plutôt l’intervention de la Providence, c’est affaire de hiérarchie céleste.

Il y a donc des gens qui sont prêts à financer, de leurs deniers durement gagnés, des projets innovants portés par des entrepreneurs plus ou moins jeunes, qui n’ont, en vérité, qu’un seul point commun, leur façon de s’exprimer.

Hier, on nous parlait de bouteilles d’eau quasiment médicinale, apte à diminuer l’acidité de notre appareil digestif, et d’une machine capable de faire un mojito, ou un autre cocktail, en trente secondes…

Et c’est là que j’ai souffert : comment croyez-vous que ces personnes pleines de fougue et de conviction ont présenté leur projet ?

Mais à grand renfort de management day to day, de pitch, de like sur internet, de start-up bien sûr, de crowdfunding, de focus sur le business, de community manager, de mapping de l’innovation, de first to market advantage, de leasing, de marketing, de reporting, de lease back, de deal, tout cela n’étant pas toujours un simple problème de cash

Ainsi va la vie des affaires en France, avec la gestion à assurer au jour le jour, avec des coups de cœur sur internet, des gazelles et des jeunes pousses, du financement participatif, une focalisation sur le chiffre d’affaires, des animateurs de communautés virtuelles, une cartographie de l’innovation, l’avantage d’être le premier sur le marché, du crédit-bail, de la mercatique et de la reddition de comptes, de retour de location, d’accord et de négociation, le tout sans forcément de gros sous…

 

Au même moment, je recevais sur mon téléphone le programme musical d’un piano-bar des environs… bourré de coquilles, de fautes d’orthographe et de phrases bancales, sans compter pas mal de majuscules intempestives « à l’anglaise ». Mon sang ne fait qu’un tour : je proteste auprès de l’émetteur.

L’émetteur était une émettrice, Veronika B. qui m’explique que, n’étant pas française, elle ne sait pas faire autrement que compiler tels quels les textes que lui envoient ses collègues (ce qui donne une idée de la langue écrite de chez nous, en l’occurrence chez les musiciens). Et de me proposer de corriger l’annonce.

J’ai dit que j’étais désolé et que bien sûr, j’allais corriger son texte, ce qui sera ma contribution au programme musical du mois.

 

Je m’y colle tout de suite, dès que j’aurai publié ce billet.