22/12/2014
Dis pas ci, dis pas ça (VII)
Merci aux 70 personnes qui, récemment, ont ouvert ce blogue la même journée, et aux 40 qui en moyenne sur le mois, ont fait de même.
Ce billet va être le 170ème en presque six mois ; j’ai pris quelques jours de « vacances » fin août, le reste du temps, je passe de une à deux heures chaque jour à compiler des infos et à rédiger, le plus souvent en musique ; en ce moment, c’est « Bump City » de Tower of Power, groupe d’Oakland des années 70 (1970…), qui joue toujours. Ils changent pour que le groupe ne change pas.
Le lendemain, je jette un coup d’œil au billet de la veille sur mon téléphone, pour en vérifier la forme ; assez souvent, je corrige une coquille ou une formule bancale.
À propos, il y a une formule qui m’agace et dont je n’ai pas encore parlé ici ; j’ai appris à l'école que l’article « des » se transformait en « de » devant un adjectif placé avant le substantif, je suppose que c’est pour l’euphonie. Ainsi faut-il dire « Nous avons de gros problèmes », et non pas « Nous avons des gros problèmes » comme on l’entend de plus en plus souvent (par exemple, dans la bouche de ce président de syndicat de médecins bien peu convaincant et au corporatisme exacerbé, le 21 décembre 2014, sur BFM TV). En revanche, on dirait "Nous avons des problèmes gros comme une maison"...
Bon, c’est pas tout ça, il faut attaquer la lettre E du bréviaire de l’Académie.
Et à la lettre E, on trouve beaucoup de tics de langage répandus dans les entreprises, où ils se propagent comme le virus de la grippe ou de la gastroentérite.
« En fait » signifie « réellement », « vraiment » et ne doit pas être employé à la place de « mais » (« Il était là hier mais il est déjà reparti » et non pas « Il était là hier mais en fait il était déjà reparti » ; il y a ici en fait une faute et une redondance !).
« En interne et en externe » sont des ellipses abusives. L’Académie a repéré comme nous des formules alambiquées : « L’entreprise doit valoriser sa communication externe en interne » et note avec malice que ce serait peut-être plus aisé si elle utilisait une langue plus juste…
On peut souvent remplacer « en interne » par « dans l’entreprise » ou par « au sein de l’entreprise ». Et pour éviter « des bagarres en interne », on dispose de « luttes intestines », expression bien plus digeste. En bref, comme il a déjà été dit dans ce blogue, évitons le langage stéréotypé, répétitif, restreint, et utilisons toutes les ressources de la langue ; fleurissons, enrichissons, diversifions notre façon de parler ; plus nous chercherons de mots précis et pertinents, plus il nous en viendra de nouveaux à l’esprit, et plus nous intéresserons, plus nous éveillerons l’attention.
« En tant que (cela est) de besoin » est archaïque et parfaitement correct. Il signifie « dans la mesure où l’on en a besoin ». « Autant que de » est à bannir.
« En termes de » (marine, médecine, jurisprudence…) signifie « dans le langage de ». Ne pas l’employer dans le sens de « en matière de » car c’est un anglicisme. Utiliser « quant à » ou « en ce qui concerne ».
Enfin un germanisme dans un océan d’anglicismes !
C’est le « zusammen mit » très courant en allemand, qu’il faut bien se garder d’imiter par « ensemble avec » en français.
Encore une dérive que le moindre francophone, comme le rédacteur de ce blogue, peut parfaitement déceler tout seul et tenter de corriger… Malheureusement, cela n’est pas le cas ; les francophones absorbent, répètent et perpétuent n’importe quelle variante entendue. « Rentrer » qui veut dire « entrer de nouveau » est trop souvent employé à la place d’entrer : par exemple « Cela ne rentre pas dans ses attributions » est aberrant. En revanche, il est logique de dire « Il rentre de sa promenade ».
Plus subtil et manié à longueur d’article par les journalistes : « éponyme » ne peut s’appliquer qu’à une personne. « Phèdre est une héroïne éponyme de Racine », « Lucien Leuwen est le héros éponyme d’un roman inachevé de Stendhal », et non l’inverse (pas de pièce éponyme !).
Évidemment on dira « Une espèce de camion » comme « Une sorte de tyran ».
« Moteur » n’est pas un adjectif ! On peut être le moteur d’un projet mais pas « être moteur dans le projet ». À la place, on dira « jouer un rôle déterminant », « être à l’origine de ».
Il y a une tendance effrénée à utiliser les verbes intransitifs de façon transitive, par facilité peut-être, pour faire américain plus probablement. Ainsi « exploser ». On fait exploser une grenade, « on n’explose pas un adversaire ni un record ».
10:41 Publié dans Franglais et incorrections diverses | Lien permanent | Commentaires (0)
21/12/2014
Dis pas ci, dis pas ça (VI)
En vue des repas de fêtes, je vous propose de retourner vers le bréviaire de l’Académie pour quelques billets ; cela vous permettra de briller au cas très probable où quelqu’un emploierait une expression impropre ou commettrait un barbarisme. Attention, ce sera peut-être pour vous l’occasion de vous faire envoyer paître et traiter d’empêcheur de parler en rond…
Bon, allons-y.
« De par » est une locution bizarre ; je me suis toujours insurgé contre la graphie erronée « de part », très fréquente, alors que c’est justement l’origine de formules comme « de par le Roi » ou « de par la Loi », qui signifient « de la part de », « au nom de ». Il y a une autre origine : « de par le monde ». En tous cas, il faut éviter de l’utiliser dans le sens de « étant donné » ou « du fait de ». Et ne jamais mettre de « t ».
Pas besoin d’employer le franglais deadline, on dispose de « dernier délai » et de « date-butoir », et même de « dernier carat » si on tient à montrer un peu de fantaisie.
Rappel : « Débuter » et « démarrer » sont des verbes intransitifs ! Ils n’admettent pas de complément d’objet direct. En revanche, on peut « commencer la journée », « engager une procédure », « ouvrir la séance ».
Je ne vous ferai pas l’injure d’insister sur le fait que « définitivement » n’a pas (plus) le même sens que l’anglais definitely. Malheureusement, la moindre pimprenelle, qui vient confier à la télévision, devant les cinq millions de spectateurs du Beau Gosse, qu’elle s’est « mise en danger » dans son dernier film, répond « Définitivement », à la question « C’est donc un tournant de votre carrière ? », au lieu de « oui » ou « absolument »… Conclusion : les belles filles qui font du cinéma apprennent le franglais et non pas l’anglais. C’est dommage : ne doit-on pas préférer l’original à la copie ?
Les informaticiens seront sans doute contrariés de ce qu’ils mettent au point ou créent des programmes mais sûrement pas qu’ils les développent (cf. le « développement » de logiciel). Car « développer » veut dire « donner de l’ampleur à quelque chose ». En fait, les programmeurs s’en fichent, ils parlent « développeur», pas français.
Ça m’a fait plaisir que l’Académie règle son compte à « différentiel » ! Dans les années 80 (1980…), j’avais été irrité par la manie du plus jeune Premier Ministre de la France de parler de « différentiel d’inflation » (avec l’Allemagne). Le peu que j’avais fait de mécanique à l’École m’avait appris qu’un différentiel est un dispositif qui sert à faire une différence. Il est donc idiot, snob ou inutile (au choix) de confondre l’outil et le résultat.
Plus subtil : l’emploi du franglais dispatcher pour dire « répartir ». C’est impropre car, dans l’anglais to dispatch, il n’y a pas l’idée de répartir mais l’idée d’expédier dans l’urgence. On voit bien que, de nos jours, pour parler correctement français et ne pas céder au globish, il faut connaître très bien l’anglais, et même avoir un intérêt fort pour les langues en général et la précision en particulier. Autant dire que c’est mal parti : les enfants connaîtront peut-être mieux l’anglais dans 15 ans grâce à leur instituteur, mais comme leurs heures de français ont été fortement réduites…
« En », « y », « dont », qui ont la fonction de remplacer quelque chose dans la phrase (principale ou relative), sont souvent employés n’importe comment, en tous cas avec redondance, ce que le français classique n’admet pas, contrairement à l’américain.
On dira « l’homme dont on envie les qualités », « c’est cela dont il s’agit », « tu y trouveras »… et non pas « l’homme dont on envie ses qualités », « c’est de cela dont il s’agit », « tu y trouveras dedans », « … où ils n’ont rien à y faire » (président d’un syndicat de médecins, BFM TV, 21 décembre 2014, vers 22 heures 30)
C’était le D…
11:21 Publié dans Franglais et incorrections diverses | Lien permanent | Commentaires (2)
20/12/2014
Écrivains contemporains et langue française : Élise Fischer (XI)
J’avais préparé mon voyage à Nancy en lisant un petit livre d’Élise Fischer (il y a bien « sch » dans son patronyme et non pas « sh », on est dans l’Est !) intitulé « Le roman de la place Stanislas » (2007), que j’avais trouvé fort opportunément dans une brocante.
Je l’ai relu en revenant ; c’était encore mieux.
La place Stanislas, magnifique avec ses grilles dorées, est la grande fierté des Nancéens ; elle est maintenant entièrement piétonne, devant l’hôtel de ville et le musée des Beaux-Arts. C’est vers elle que convergent les défilés de la Saint Nicolas et c’est là que s’admirent les feux d’artifice. Seul débat des passionnés : doit-elle être versée au crédit de Stanislas, dernier duc de Lorraine mais non héritier d’une dynastie lorraine ou bien de Léopold, son prédécesseur, le duc légitime ?
Élise Fischer, née d’un père lorrain et d’une mère alsacienne, fait partie des passionnés et de ceux qui en pincent pour Léopold ; influencée par sa mère, elle n’est pas loin de considérer que la présence de Stanislas sur le trône ducal est une imposture. Un roi de pacotille.
Son livre est une commande d’éditeur ; elle y brode l’histoire de Lorraine avec son histoire personnelle ; avec l’histoire de France aussi, parce que, depuis le XIIIe siècle, la France est un modèle et une grande pourvoyeuse de ducs (René d’Anjou…) et d’épouses (Élisabeth-Charlotte, l’épouse de Léopold est la nièce de Louis XIV, fille de la Palatine et de Monsieur ; a contrario, Marie-Antoinette, épouse de Louis XVI, est la fille de François Ier d’Autriche-Hongrie et ancien duc de Lorraine).
C’est bien troussé et souvent touchant ; Élise Fischer réussit à mettre en scène « sa » Lorraine, ses personnages illustres et les lieux de Nancy qu’elle aime : le musée lorrain, le parc de la Pépinière, la cathédrale, l’église Saint Epvre.
Elle a écrit de nombreux autres livres, dont la Lorraine est le cœur ou le prétexte ; « Les alliances de cristal » autour de Prouvé, Majorelle, Vallin, Corbin, Guingot, Gruber, Friant, Daum, Gallé, les maîtres de l’Art nouveau ; « Mystérieuse Manon » autour de Léopold… sont habilement évoqués dans le Roman de la place Stanislas.
Un écrivain régional ou régionaliste, discret mais de qualité.
« J’ai besoin de croire que l’esprit des lieux n’était pas prisonnier des vieilles pierres. Qu’il s’était posé, déposé et flottait ici et là. Avec sagesse, il aura attendu la fin des travaux pour revenir. Il n’est pas possible que tant d’histoire se perde. Stanislas, cette fois, veille… Et Léopold aussi. Mais pas seulement. À nous aussi, il appartient d’œuvrer. D’ouvrir le tiroir des curiosités, trop souvent ensommeillées dans nos petites têtes. À nous de veiller et de réveiller les endormis de l’histoire. Callot me l’a soufflé. Quand passe le vent dans les feuilles, tout peut arriver… ».
16:17 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0)


