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24/12/2014

Émerveillements III

Il y a bien sûr, de temps en temps, une bonne nouvelle sur le front de la langue française, et même plusieurs.

Premier exemple, lu sur le site « Épargnants » d’une grande banque : « Nouvelle dénomination pour les e-services : Relevés et Documents en ligne ». C’est pas beau, la francophonie en France ?

Deuxième exemple, dans le Marianne du 12 décembre 2014 : à Meaux (Seine et Marne), au centre de loisirs Alain-Fournier, un professeur, après ses heures au lycée Jean Vilar, fait réciter des poèmes à des mômes de banlieue. Il a cofondé l’association Mêtis avec d’anciens élèves pour promouvoir le latin et le grec comme vecteurs d’égalité des chances… Oui, vous avez bien lu : le latin et le grec !

Son programme, c’est l’excellence. Avec un maître-mot : apprendre par cœur. « S’ils arrivent en 6ème avec 20 ou 30 textes sus par cœur, c’est déjà une grande force ».

Je suis bien d’accord : dans tous les domaines (en particulier la musique), on a intérêt à se forcer à apprendre par cœur ; non seulement cela stimule la mémoire (voir les acteurs de théâtre en général et Fabrice Lucchini en particulier avec ses Fables de La Fontaine…) mais aussi cela imprime des « structures de langage » dans la tête ; bien plus, cela donne de la liberté, pour interpréter, anticiper, s’adapter. Des milliers de Français se souviennent des comptines de leur enfance, de « Mignonne, allons voir si la rose… », de « Demain, dès l’aube… » et fredonnent, dans les spectacles, les paroles de leurs chanteurs préférés ! En ce qui me concerne, des dizaines d’années après, je me rappelle « Mister Foster was left in the decanting room. The Director opened a door. They were in a large bright room… » et, plus vieux encore : « Lucius Catilina, nobili genere natu, fuit magna vi et animi et corpore sed ingenio malo pravoque… ».

Philippe Meirieu, spécialiste de sciences de l’éducation, déclare dans le même hebdomadaire : « Mais il reste beaucoup à faire pour redonner aux écoliers, du temps pour apprendre et, en particulier, pour accéder à la maîtrise de la langue écrite qui reste, à mes yeux, la clé de tous les savoirs et l’outil majeur de la structuration de l’intelligence ».

Sur le même thème, je voudrais citer la chronique Tableau noir de Jean-Paul Brighelli dans le Point du 18 décembre 2014  :

"… Quelles sont les difficultés ? Elles tiennent prioritairement à l'accès à la langue. Vous pouvez monter tous les projets les plus séduisants, si vos élèves ne comprennent pas ce que vous dites, ni ce qu'ils lisent – quand ils lisent – , c'est cuit dès le départ. Il faut impérativement en revenir à la proposition faite jadis par François Bayrou, et consacrer 50 % du temps scolaire en primaire à l'apprentissage du français. La base du socle, elle est là, et pas ailleurs. Or, les heures de français ont diminué en trente ans comme peau de chagrin. Parce que le seul souci des ministres successifs, de droite et de gauche, a été de faire des économies de postes. Ils trouvaient que l'éducation coûte cher, ils ont essayé l'ignorance. On voit aujourd'hui ce que cela donne.

Demander davantage aux enfants défavorisés

… Même si la République est en danger plus que jamais, il n'est plus temps de rêver à ces grands internats d'État où l'on avait en 1793 le projet de mettre tous les enfants indifféremment dès l'âge de trois ans. En revanche, il faut dire les choses : si l'on veut permettre aux enfants défavorisés d'aller au bout de leurs capacités (qui sont les mêmes, je peux l'assurer, que celles des enfants favorisés), il faut augmenter leur charge de travail. L'insertion sociale – sans parler de leur réussite – tient à la capacité à combler l'écart de départ, cet écart produit par l'accès à la langue et à la culture. Oui, il faut demander davantage à ces mômes - qui sont tout à fait capables de fournir un effort supplémentaire. Les filles particulièrement, qui savent intuitivement que l'école est la meilleure façon d'échapper aux déterminismes familiaux et communautaires."

Et alors, contrairement à moi, ils seront peut-être capable de comprendre la prose d’un philosophe comme Robert Damien, dont voici quelques extraits particulièrement lumineux :

« Ce qui implique des ruptures : le maître change chez celui qu’on appelle justement l’élève une opinion en savoir informé, instruit de ses limites ».

Cette phrase est un très bon exemple à utiliser dans une formation à l’expression écrite, au chapitre « Ponctuation et lisibilité » ! En effet, d’abord il y a un manque criant de virgule(s), qui permettraient à l’œil de « se poser », ensuite il y a une construction bizarre quant à l’ordre des compléments du verbe « change ». Découpons cette phrase trop longue et trop littéraire : « chez celui qu’on appelle justement l’élève, le maître change une opinion en savoir informé ; ce savoir (ou l’élève lui-même ?) est instruit de ses limites ». C’est pas mieux comme cela ? Il reste néanmoins un défaut à la nouvelle formulation : est-ce vraiment utile d’ajouter une autre idée à l’idée principale, à savoir que l’interlocuteur du maître est appelé élève à juste titre ?

« Quand le corps personnel de la carcasse prend le dessus sur le corps symbolique de la fonction, l’autorité fuit dans la caricature du guignol ». Ça doit être profond mais je ne vois pas…

Pour la route, encore une dont le fond me plaît bien : « Comment par exemple penser à un État stratège, en Europe, alors que nous vivons sous hégémonie culturelle américaine ? Il faut réinventer un État stratège sous le régime des souverainetés plurielles ».

Allez, méditez et passez un bon réveillon et un joyeux Noël !

23/12/2014

Dis pas ci, dis pas ça (VIII)

La lettre F du bréviaire commence par un tic franglais typique : imiter les formules américaines. En l’occurrence, le fameux « ça fait sens », qui n’a aucune justification puisqu’en français, nous avons « ça a du sens ». Pas besoin non plus de « ça fait problème », il nous suffit de dire « ça pose un problème » ou « ça va poser un problème », « ça crée un problème », « ça constitue un problème ».

F comme « femmes »… L’Académie consacre un long paragraphe à l’opportunité et la faisabilité de féminiser les titres et les métiers. C’est amusant quant à l’histoire des idées et de la langue : grosso modo, les Pouvoirs publics, gouvernements de gauche en tête, sont pour et l’Académie est contre, avec un argument habile à défaut d’être complètement convaincant (« C’est le féminin qui est le genre de la discrimination » !). Il faudrait mettre cela sous les beaux yeux de Najat…

Plus exactement, l’Académie est pour une féminisation prudente et limitée, respectant les règles de la langue. Donc, banco pour institutrice, laborantine, écuyère et chercheuse ; haro sur chercheure, professeure ou auteure car le féminin des mots en –eur est –euse ou –trice. Et, concernant les titres, grades et fonctions, elle est carrément opposée à leur féminisation et prêche pour le « genre non marqué ». L’incohérence linguistique menace !

 

Mes lecteurs se doutent bien que « finaliser », employé comme l’anglais to finalize (achever, conclure, terminer), est banni. Mais ils ignorent peut-être que, dans les sciences humaines, il est autorisé, dans le sens de « assigner un but à quelque chose ».

Pour contrecarrer l’expansion de l’affreux mot flyer, l’Académie raconte un fait d’histoire émouvant : au XIXe siècle, les Grecs, en lutte pour leur indépendance, avaient appelé d’une expression française, « feuilles volantes », les tracts que les intellectuels français Hugo, Chateaubriand, Lamartine et l’imprimeur Firmin Didot leur avaient permis d’imprimer pour appeler au soulèvement. On peut aussi utiliser « prospectus » mais ce serait dommage de ne pas renvoyer l’ascenseur à nos amis grecs, inventeurs de la démocratie.

Pour terminer ce chapitre, j’avoue que j’ai été étonné qu’il n’aborde pas le cas du substantif « futur », calque de l’anglais future… Quelqu’un m’a dit un jour qu’il ne voyait pas le problème, puisque « le futur » pouvait correspondre à « futur » comme « le passé » correspond à « passé ». Mouais… sauf qu’en français, on dit l’avenir !

22/12/2014

Dis pas ci, dis pas ça (VII)

Merci aux 70 personnes qui, récemment, ont ouvert ce blogue la même journée, et aux 40 qui en moyenne sur le mois, ont fait de même.

Ce billet va être le 170ème en presque six mois ; j’ai pris quelques jours de « vacances » fin août, le reste du temps, je passe de une à deux heures chaque jour à compiler des infos et à rédiger, le plus souvent en musique ; en ce moment, c’est « Bump City » de Tower of Power, groupe d’Oakland des années 70 (1970…), qui joue toujours. Ils changent pour que le groupe ne change pas.

Le lendemain, je jette un coup d’œil au billet de la veille sur mon téléphone, pour en vérifier la forme ; assez souvent, je corrige une coquille ou une formule bancale.

À propos, il y a une formule qui m’agace et dont je n’ai pas encore parlé ici ; j’ai appris à l'école que l’article « des » se transformait en « de » devant un adjectif placé avant le substantif, je suppose que c’est pour l’euphonie. Ainsi faut-il dire « Nous avons de gros problèmes », et non pas « Nous avons des gros problèmes » comme on l’entend de plus en plus souvent (par exemple, dans la bouche de ce président de syndicat de médecins bien peu convaincant et au corporatisme exacerbé, le 21 décembre 2014, sur BFM TV). En revanche, on dirait "Nous avons des problèmes gros comme une maison"...

Bon, c’est pas tout ça, il faut attaquer la lettre E du bréviaire de l’Académie.

Et à la lettre E, on trouve beaucoup de tics de langage répandus dans les entreprises, où ils se propagent comme le virus de la grippe ou de la gastroentérite.

 

« En fait » signifie « réellement », « vraiment » et ne doit pas être employé à la place de « mais » (« Il était là hier mais il est déjà reparti » et non pas « Il était là hier mais en fait il était déjà reparti » ; il y a ici en fait une faute et une redondance !).

 

« En interne et en externe » sont des ellipses abusives. L’Académie a repéré comme nous des formules alambiquées : « L’entreprise doit valoriser sa communication externe en interne » et note avec malice que ce serait peut-être plus aisé si elle utilisait une langue plus juste…

On peut souvent remplacer « en interne » par « dans l’entreprise » ou par « au sein de l’entreprise ». Et pour éviter « des bagarres en interne », on dispose de « luttes intestines », expression bien plus digeste. En bref, comme il a déjà été dit dans ce blogue, évitons le langage stéréotypé, répétitif, restreint, et utilisons toutes les ressources de la langue ; fleurissons, enrichissons, diversifions notre façon de parler ; plus nous chercherons de mots précis et pertinents, plus il nous en viendra de nouveaux à l’esprit, et plus nous intéresserons, plus nous éveillerons l’attention.

 

« En tant que (cela est) de besoin » est archaïque et parfaitement correct. Il signifie « dans la mesure où l’on en a besoin ». « Autant que de » est à bannir.

 

« En termes de » (marine, médecine, jurisprudence…) signifie « dans le langage de ». Ne pas l’employer dans le sens de « en matière de » car c’est un anglicisme. Utiliser « quant à » ou « en ce qui concerne ».

 

Enfin un germanisme dans un océan d’anglicismes !

C’est le « zusammen mit » très courant en allemand, qu’il faut bien se garder d’imiter par « ensemble avec » en français.

 

Encore une dérive que le moindre francophone, comme le rédacteur de ce blogue, peut parfaitement déceler tout seul et tenter de corriger… Malheureusement, cela n’est pas le cas ; les francophones absorbent, répètent et perpétuent n’importe quelle variante entendue. « Rentrer » qui veut dire « entrer de nouveau » est trop souvent employé à la place d’entrer : par exemple « Cela ne rentre pas dans ses attributions » est aberrant. En revanche, il est logique de dire « Il rentre de sa promenade ».

 

Plus subtil et manié à longueur d’article par les journalistes : « éponyme » ne peut s’appliquer qu’à une personne. « Phèdre est une héroïne éponyme de Racine », « Lucien Leuwen est le héros éponyme d’un roman inachevé de Stendhal », et non l’inverse (pas de pièce éponyme !).

 

Évidemment on dira « Une espèce de camion » comme « Une sorte de tyran ».

 

« Moteur » n’est pas un adjectif ! On peut être le moteur d’un projet mais pas « être moteur dans le projet ». À la place, on dira « jouer un rôle déterminant », « être à l’origine de ».

 

Il y a une tendance effrénée à utiliser les verbes intransitifs de façon transitive, par facilité peut-être, pour faire américain plus probablement. Ainsi « exploser ». On fait exploser une grenade, « on n’explose pas un adversaire ni un record ».