23/02/2015
Le prix des "fôtes" (I)
Consécration ? Exigence d’humilité ? Consternation ?
Je ne savais pas trop quoi penser, le 19 février 2015, devant « Envoyé spécial », l’émission de France 2 consacrée ce soir-là à l’orthographe ; plus précisément, aux dégâts individuels et collectifs de la méconnaissance ou de l’allergie à l’orthographe : n’était-ce pas le triomphe et la mise sur la place publique de mon obsession depuis des décennies, à savoir respecter l’orthographe, promouvoir une langue correcte, simple et pertinente, en un mot défendre le français ?
Mais, par ailleurs, ce n’est pas moi que France 2 a choisi d’interroger et l’émission montre bien que les places sont prises, sur le marché des « censeurs » et des « docteurs » en orthographe…
Je vous ai déjà parlé du site « bescherelletamère » (c’était à propos des huit fautes trouvées dans le livre de Valérie Trierweiler) ; eh bien, nous pouvons mettre dorénavant un visage et un nom derrière ce site ; c’est Sylvain Szewczyk, il a vingt-deux ans, c’est un chasseur de coquilles et de fautes d’orthographe, encore un peu potache (voir la mise en page et les légendes de son site). Il a eu la même idée que moi : photographier les fautes qui s’étalent sur les affiches et dans les magasins. La source du mal selon lui : « Les gens ne relisent pas ». Il paraît que l’éditeur du fameux Bescherelle l’alimente en manuels qu’il dédicace à ses « victimes »… Bienvenue au club, Sylvain !
Autre vedette : un ancien lauréat de la Dictée de Pivot, champion de France d’orthographe ; son dada ? corriger les dictionnaires ! Et il en trouve des coquilles et des définitions cocasses… Il fallait oser s’attaquer aux œuvres d’Alain Rey et consorts !
Et ce jeune homme d’animer des stages en entreprise pour remettre des salariés sur le droit chemin, à l’aide d’un logiciel (ORTHOtélé). Six mois de formation pour dix salariés coûtent 11000 € à l’entreprise. Il met en garde contre les correcteurs orthographiques utilisés les yeux fermés (Il prétend que le sien corrige la phrase « On est boucher de père en fils », de la façon suivante « On est bouché de père en fils »…).
78 % des Français disent faire des fautes ; outre la souffrance liée au fait de « ne pas savoir », cela ajoute des difficultés, s’il en était besoin, dans la recherche d’un emploi.
L’école semble s’être fait une raison des fautes à la pelle dans les devoirs, a abandonné la dictée, jugée « traumatisante » et a renoncé à compter un point par faute, de peur de mettre zéro tout le temps.
En 1987, les élèves de CM2 faisaient en moyenne 10,7 fautes (par devoir ? par mois ?) ; vingt ans plus tard, ils en commettaient 14,7 !
07:37 Publié dans Actualité et langue française | Lien permanent | Commentaires (0)
22/02/2015
Incongruités
Les gens ne savent plus choisir les prépositions et ne savent plus construire un comparatif. Exemple :
La publicité – le matraquage – pour les cures thermales, sur France Inter, 18 février 2015, 13 heures : « C’est deux fois plus efficace… par rapport au traitement par les médicaments », au lieu de « plus efficace que le traitement… ».
Il paraît que la justice s’apprête à statuer sur le souhait de certains parents d’appeler leur fille « Fraise » ou « Nutella »… Consternant au premier abord mais au moins ces noms ressemblent à du français, ce qui n’est pas le cas de dizaines de prénoms que l’on entend aujourd’hui dans la rue et dans les médias !
Un groupe de « personnalités » et d’organismes (FCPE, etc.) a publié dans le Libération du 16 février 2015, un appel « Refondons l’école », qui a mon sens n’apporte rien que des vœux pieux et des déclarations – naïves et démagogiques – de bonnes intentions. Mais ces gens bien sous tous rapports veulent « l’implication effective des élèves à des activités qui font sens pour eux… ». Double faute, Monsieur l’Arbitre ! D’abord, « l’implication à » relève d’une syntaxe inconnue ; ensuite « faire sens » est du franglais de bas étage : en français, on dit « qui a (aurait) du sens pour eux » ; ce n’est pas plus long, pourquoi s’en priver ?
C’est comme le sempiternel « il est en charge de… », au lieu de « il est chargé (responsable) de… » ou bien « il a la charge de… ».
Vu au rayon surgelés d'un supermarché : "sachet microondable" !
07:30 Publié dans Actualité et langue française, Franglais et incorrections diverses | Lien permanent | Commentaires (1)
21/02/2015
Lectures (I)
C’est sous ce titre plein de promesses – « Lectures » – que Michel Crépu, directeur de la Revue des deux mondes, a publié en 2009 son Journal littéraire des années 2002-2009. Il y consigne de menus événements de sa vie – « Tuileries, ciel bleu pâle sur la Seine grise », rencontrer tel écrivain, voyager ici ou là dans le monde – mais surtout il commente ses lectures, et elles se succèdent à un rythme effréné. Et il ne lit pas n’importe quoi : Plotin, Chateaubriand, Proust, Chalamov, Soljenitsine, Beckett…
Au premier abord, dans les premières pages, c’est décousu et désinvolte : il se contente souvent de phrases courtes, sans verbe, sans aucun liant. Parfois on ne comprend rien à ce qu’on lit, soit parce que c’est trop elliptique, sans développement, soit parce que le sujet philosophique traité nous échappe. Ce gars-là écrit abscons ; voici par exemple la péroraison de son avant-propos, sous le tire « Nautilus » : « À l’interchangeable du langage marchandise, on oppose ici l’expérience singulière d’un acte. À l’actualité brouillonne et forcenée, l’inactualité du signe, son feu précis ». Ça commence bien…
Chemin faisant, des fenêtres s’ouvrent sur l’actualité, brièvement évoquée : l’élection présidentielle…
Et pourtant, on lit sans difficulté les 444 pages de cet épais volume, d’autant que la phrase se fait plus ample quand on avance et qu’il attaque le commentaire des « gros morceaux » que sont les Bienveillantes (J. Littell) ou l’Archipel du Goulag (A. Soljenitsine). Il picore une phrase par ci par là ou alors il saute du coq à l’âne parce que tel passage le fait penser à un autre livre.
Parlant d’un livre sur Proust qui vient de sortir, il regrette que l’on n’ait pas d’enregistrement de sa voix, de même que l’on n’a pas de photo de Chateaubriand (heureusement, on a Pamela Anderson sous toutes les coutures, pour l’éternité numérique…).
Je m’aperçois que je suis en train d’écrire la critique d’un livre de critiques littéraires ! Déjà que c’est difficile de dire ce que l’on pense d’un livre, si l’on ne veut pas raconter ni l’histoire ni le dénouement, et si l’on veut donner un avis « objectif », argumenté. Mais là, un avis sur des avis… Il reste que c’est fascinant de lire ce que pense un autre lecteur des livres qu’on a lus, et quel lecteur ! Donc je continue.
Il relit Sodome et Gomorrhe et, tout de suite, il est capable de disserter sur le comportement du baron de Charlus et de la princesse Sherbatoff. Puis il écrit : « Plus tard, le soir tombe sur la mer. Devant le Grand Hôtel, le drapeau claque et un orgue de Barbarie joue des valses viennoises. Apaisement. Dans la vie courante, il y a des poignées de secondes comme ça. Seul dans sa chambre, le narrateur réalise alors que sa grand-mère n’est plus. Le temps a changé de braquet : tout à coup, c’est le grand mystère de la mort ». Il a dit beaucoup de choses sur le livre sans vraiment le déflorer ; il est proustien.
07:30 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0)