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12/03/2015

Hommes de bonne volonté mais maladroits !

Vous vous rappelez de la pizzerie…

J’ai trouvé à Rueil un autre homme de bonne volonté quant au français : il a baptisé son entreprise « MT Engénierie ».

 

Génie civil.jpgC’est amusant car il y a là, manifestement, le souhait de franciser l’omniprésent « engineering » mais c’est maladroit parce que notre homme s’est arrêté en route !

D’abord « engineer » a comme correspondant en français « ingénieur » ; ensuite tous ces mots ont pour racine commune le « génie » : génie civil, génie électrique, etc.

Là où « engineering » fait penser à « engine » (engin, machine), « ingénieur » fait penser à « génie » ; non pas le « génie français » mais le corps de métier et aussi l’ensemble des techniques qui permettent de réaliser des bâtiments, des ponts… et aussi des molécules.

 

À part ça, les médias apportent leur lot quotidien d’expressions approximatives et d’incorrections.

C’est un journaliste de BFM TV qui dit avoir accompagné le Premier Ministre « sur un voyage » (au lieu de « en voyage » ou « au cours de ce voyage »).

C’est le Petit Prince de Bercy qui déclare « L’enjeu n’est en aucun cas de fusionner EDF et AREVA » (BFM TV, 9 mars 2015). Désolé Manu… ça n’a rien à voir avec un enjeu ! Comme je l’avais dit il y a longtemps à un de mes chefs, que cela avait fait rire : « un enjeu, c’est ce qui est en jeu ». C’est ce qui va être sacrifié, perdu, oublié, si l’on ne fait pas ceci ou cela.

Les gens confondent allègrement « enjeu » et « objectif », voire « idée ».

Dans sa déclaration, M. Macron voulait dire « L’objectif (ou l’idée ou la solution…) n’est en aucun cas de fusionner… ». L’enjeu, c’est plutôt la survie d’AREVA ou la pérennité du nucléaire français ou l’indépendance énergétique de la France.

11/03/2015

Lire pour aller mieux

Le Marianne du 20 février 2015 revenait sur ce thème déjà abordé ici : la thérapie par la lecture, la « bibliothérapie ». Bien sûr la littérature fait découvrir ce qu’on ne connaît pas, ce qu’on ne connaîtrait pas sans elle, elle nous fait comprendre les autres, elle nous fait réfléchir (voir mon billet sur Antoine Compagnon et sa leçon inaugurale au Collège de France). Voici quelques réflexions là-dessus :

« La littérature donne intimement accès à l’autre, élargit le champ de la connaissance et la profondeur de l’expérience » (Pierre Jourde). « La littérature ajoute du mystère aux êtres qui semblent submergés par la vie quotidienne, aux choses en apparence banales – et cela force à les observer avec une attention soutenue et de façon presque hypnotique » (Patrick Modiano, discours de réception du Nobel de littérature). « On lit par protestation de la vie. La vie est très mal faite » (Charles Dantzig, "Pourquoi lire ?")…

… mais elle a bien d’autres vertus : « Économiser du temps, rendre plus gentil, guérir de la solitude et préparer à surmonter les échecs » (Maria Popova, dans son blogue BrainPickings), « amplifier l’imaginaire moral, assurer une justice poétique, nous entraîner à la recherche du bien » (Martha Nussbaum, « L’art d’être juste »), « apaiser les passions collectives, proposer des solutions imaginaires à des problèmes possibles ».

Et les journalistes, Alexandre Gefen et Laurent Nunez, d’écrire : « Le réel ne serait vivable que grâce à des excursions dans la fiction »…

L’écrivain anglais Alain de Botton – drôle de nom pour un Anglais – suggère de lire les œuvres de fiction comme des manuels pour « surmonter les tensions et les frustrations de la vie quotidienne » (voir son livre « L’Art comme thérapeutique » et son école « The school of life »).

La lecture donc, mais aussi l’écriture, pour se soigner.

Montesquieu disait « Je n’ai jamais eu de chagrin qu’une heure de lecture n’ait dissipé ».

Et Proust (« Sur la lecture ») : « Il est cependant certains cas, certains cas pathologiques pour ainsi dire, de dépression spirituelle, où la lecture peut devenir une sorte de discipline curative et être chargée, par des incitations répétées, de réintroduire perpétuellement un esprit paresseux dans la vie de l’esprit. Les livres jouent alors auprès de lui un rôle analogue à celui des psychothérapeutes auprès de certains neurasthéniques ».

 

La bibliothérapie est « l’utilisation d’un ensemble de lectures sélectionnées en tant qu’outil thérapeutique en médecine et en psychiatrie. Et moyen pour résoudre des problème personnels par l’intermédiaire d’une lecture dirigée ». Son livre de référence est « Bibliothérapie, lire pour guérir » publié par Marc-Alain Ouaknin en 1994, vingt ans déjà. C’est l’acte de lire qui importe, et non pas les péripéties romanesques que nous lisons ni les personnages auxquels nous pourrions nous attacher. C’est une incitation à l’action. La lecture taquine et inquiète l’esprit du lecteur…

 

On est loin des définitions de Flaubert dans son « Dictionnaire des idées reçues » :

« Littérature : occupation des oisifs » et « Livre : quel qu’il soit, toujours trop long ».

L’écrivain Philippe Forest écrit lui : « Assigner à la littérature une fonction thérapeutique revient  à lui confier la mission de justifier le monde et d’aider les hommes à se résigner à son scandale, à se faire une raison de son iniquité ». Pour certains en effet, l’écriture est avant tout un art du langage désintéressé du réel ; ils ne croient guère aux vertus cathartiques de la littérature.

10/03/2015

Et ça se dit comment en anglais ?

Dans le Marianne du 27 février 2015, Alexis Lacroix écrit : « Ce n’est pas par hasard si Umberto Eco a immortalisé Barruel dans un récent roman ». C’est amusant car il fait la confusion entre deux formulations très proches : « ce n’est pas un hasard si » et « ce n’est pas par hasard qu’il a fait ceci ou cela ». Cela me ramène à GD, dont je vous ai promis les expressions les plus originales mais j’attends toujours qu’elle reprenne contact avec moi…

 

Dans un Événement du Jeudi de 1996, un Alsacien dialectophone et linguiste – ainsi se définit-il lui-même – s’insurgeait du fait que la revue considérait comme de l’alsacien le mot « molé » dans la phrase « tchava molé quimpette »… et écrivait Neuhof avec deux « f ». Je ne suis qu’un voisin vosgien, donc mon dialecte d’enfance est lorrain – donc roman – et  non pas germanique, mais la phrase en question ne me paraît pas très alsacienne en effet et je sais que Neuhof veut dire « nouvelle cour » et que « Hof » ne prend qu’un seul « f » en allemand. So what, comme disait Miles Davis…

 

Raphaël Confiant, écrivain martiniquais et penseur de la créolité, répondait en novembre 2012 au Journal des activités sociales de l’énergie : « Je ne crois pas que le créole soit une langue particulièrement imagée. Toutes les langues le sont. L’idée que le français que j’utilise est imagé est une idée fausse qui vient de Paris, du centre. En tant que linguiste, je peux vous dire qu’il n’y a pas une langue plus imagée qu’une autre. Simplement, en France, on a créé artificiellement, à partir du XVIIè siècle, avec l’Académie française, une langue coupée du français populaire, lequel est quant à lui très imagé. Cette langue française écrite est effectivement peu imagée, mais ce n’est pas le français réel. Le français, tel qu’il est réellement parlé à Marseille, dans les quartiers, dans les campagnes, est aussi imagé que le créole ».

 

Bon, est-on plus avancé après avoir lu ça ? En fait la seule diversité qui ait bonne presse aujourd’hui serait la diversité « moderne » ; au nom de cela, voudrait-on que la France, nation plus que millénaire – il n’y en a pas tant que cela sur cette planète – renonce à sa propre diversité, pour se fondre dans le paysage et laisser d’autres groupes montrer leur différence ? Haro sur l’Académie, haro sur la Révolution, haro sur les Lumières, haro sur la République, haro sur la liberté d’expression ?

No passaran !

 

J’ai suffisamment pesté contre la mode et le laisser-aller des franglicismes et suffisamment attribué l’origine de leur diffusion au not invented here, c’est-à-dire au fait que les concepts, les nouvelles idées, les nouvelles technologies, les nouvelles pratiques, venaient d’outre-Atlantique, pour ne pas vous parler a contrario des mots nouveaux qui, bizarrement, sont français. Je suis frappé par exemple par les ZAD – zones à défendre – auxquelles il ne manque qu’un À, les Bonnets rouges, les Pigeons… pas la plus petite trace de franglais dans tout cela !

 

Vous autres, mauvaises langues ou mauvais joueurs, me direz que protester, contester et manifester sont des manies aussi vieilles que les Gaulois… Peut-être mais il n’en reste pas moins clair que les luttes du début du XXIè siècle (en France) se disent en français !