16/03/2015
Dis pas ci, dis pas ça (XXVIII) : journée de la langue française 2015
« Vous n’êtes pas sans savoir » qu’aujourd’hui, c’est la journée de la langue française dans les médias, et c’est aussi la semaine de la francophonie.
C’est aussi le jour où je termine cette série « Dis pas ci, dis pas ça », consacrée aux recommandations de l’Académie française quant à de multiples bizarreries ou difficultés de notre langue, et commencée dans le ce blogue le 4 décembre 2014.
Ça tombe bien, France Inter est sous la Coupole et tous ses éditorialistes font assaut de bonne volonté pour bien causer dans le poste.
Le dernier article est donc sur l’expression « Vous n’êtes pas sans savoir », qui signifie « Vous n’ignorez pas que… » mais de façon aimable et diplomatique. À ne pas confondre avec la forme erronée « Vous n’êtes pas sans ignorer… » qui consisterait à laisser entendre que l’interlocuteur ne sait pas la chose en question.
L’académicien Dominique Fernandez termine sa postface par ces mots : « Autant il faut chercher à préserver la langue française d’une dérive paresseuse, d’une complaisance à la mode, d’un laxisme, qui de toute façon seront bientôt dépassés par d’autres modes, le propre de l’argot étant de se renouveler sans cesse, autant il serait fâcheux de corseter la langue dans une raideur obsolète, d’en exclure des nouveautés savoureuses qui ne peuvent que l’enrichir.
La langue française restera la plus belle du monde (sic !), à la double condition qu’on n’en fasse pas le réceptacle de toutes les fantaisies périssables, si attrayantes soient-elles, mais aussi qu’on ne l’embaume pas comme une momie ».
À mon avis, il n’y a pas de risque…
PS. Dominique Fernandez est normalien, agrégé d'italien et auteur, entre autres, du journal de voyage "Le transsibérien", ouvrage de commande sans doute, pétri de culture.
07:52 Publié dans Franglais et incorrections diverses | Lien permanent | Commentaires (0)
15/03/2015
Dis pas ci, dis pas ça (XXVII)
Les jeunes de 2015 usent et abusent de « trop » dans le sens de très : « Elle est trop belle » et même « Elle est trop », sous-entendu « C’est pas possible d’être si belle, et encore moins d’être plus belle qu’elle », et, à la limite, « Elle est très belle, très intelligente, très sexy, très-tout, à un point inimaginable ».
L’Académie, très conciliante avec les jeunes, signale qu’il subsiste des emplois vieillis ou littéraires, dans lesquels « trop » est utilisé dans le sens de très : « Vous êtes trop aimable », « Vous êtes trop bon ». Mais pour ajouter immédiatement, en-dehors de ces tours figés et peu nombreux, il faut absolument éviter le « trop » à la place de « très ».
Chaque chose à sa place et les vaches (linguistiques) seront bien gardées.
Les jeunes auraient-ils trop eu de tout dans leur enfance de rejetons de soixante-huitards attardés ?
Mais ne relançons pas la polémique des Enfoirés…
Doit-on dire « Vive les vacances » ou « Vivent les vacances » ?
Il y a conflit entre deux façons de considérer cette expression : soit « Que vivent les vacances ! », soit « Vive les vacances » comme on dirait « Bravo les filles » (je précise pour les féministes de mon lectorat que je n’assimile aucunement « filles » et « vacances », au cas où il y aurait intention de polémiquer…).
L’Académie constate qu’en latin on pouvait rencontrer « vivant » et « vivat » et en conclut que les deux sont acceptables.
Vive la liberté !
Le français vient très majoritairement du latin et du grec mais ne se permet pas pour autant toutes leurs licences, par exemple celle qui consiste à « substantiver » tous ses infinitifs.
On dit « le coucher » mais non « le dormir » (remarquez en passant que l’Académie dit, comme moi, « mais non le dormir » et ne dit pas « mais pas le dormir », ainsi qu’on l’entend couramment). Et les verbes substantivés peuvent parfois avoir un complément à l’infinitif (le savoir-faire, le savoir-vivre).
Mais l’Académie proscrit l’association d’un verbe et d’un adjectif, comme dans « le bien mourir », « le vivre ensemble ».
Honte sur l’auteur de ces lignes ! J’ai baptisé ce blogue « le bien écrire »…
12:31 Publié dans Franglais et incorrections diverses | Lien permanent | Commentaires (0)
14/03/2015
L'erreur d'intitulé
De même que la première phrase d’un roman, le titre d’un livre est déterminant, pour évoquer son thème, son ton, sa tessiture d’une part et pour donner envie de le lire d’autre part.
Régis Debray vient de publier « L’erreur de calcul » (Les éditions du cerf, 2014), un petit bouquin de 55 pages rageuses et incisives.
Il est très colère, Régis, et quand il est colère, il a la plume assassine. C’est donc au vitriol qu’il brosse le tableau de notre société (occidentale et surtout française) gangrénée par le tout-économique, le tout-financier, le tout-statistique, en deux mots le tout-chiffres et le tout-fric.
C’est « l’erreur de calcul qui nous bouche la vue et s’en prend à nos vies », rien de moins.
Mais pour moi, il y a avant tout une erreur de titre ! Outre qu’il est abscons et décrit finalement assez mal le contenu de son pamphlet, il n’est guère mobilisateur et va orienter les moteurs de recherche vers les manuels d’économie ou de mathématique.
Régis Debray aurait pu tenter d’égaler le coup de Stéphane Hessel avec son incroyable « Indignez-vous », qui a passionné, réveillé et mobilisé dans de nombreux pays.
À part ça, la rage et l’efficacité de l’analyse sont là et bien là ; Régis Debray dénonce la disparition des valeurs ou plutôt leur remplacement, jusque dans le vocabulaire : « Chacun s’exprime à l’économie : il gère ses enfants, investit un lieu, s’approprie une idée, affronte un challenge, souffre d’un déficit d’image mais jouit d’un capital de relations, qu’il booste pour rester bankable et garder la cote, en jouant gagnant-gagnant… Il s’émeut d’un paysage qui vaut de l’or… ».
« L’économie est une vulgate, où l’endoctrinement s’appelle explication, laquelle n’est pas une heure d’instruction religieuse par semaine mais une catéchèse quotidienne et cathodique ».
Plusieurs fois dans le livre, Régis Debray distingue trois phases marquées par un repère et un personnage emblématique : la religion (Saint Louis), la patrie et la République (Clémenceau) et aujourd’hui l’économie (Monsieur Hollande, comme il dit), avec ses « modèles d’identification » : le Chevalier, le Soldat-Laboureur, le Manageur, et ses contre-exemples : le fanatique, le chauvin, l’affairiste. Et flotte comme un regret, l’ombre du grand homme (De Gaulle).
La Défense (du pays), la Culture et l’École ont pour lui été sacrifiées sur l’autel de la modernité économique.
« On comprend dès lors le mimétisme nord-américain et que la nouvelle Europe soit un dominion, fondue dans l’Otanie, avec son commandant en chef à la Maison blanche ».
« … que les classes dirigeantes mondiales aient un seule lingua franca, celle de l’économie et des finances. L’élite romaine parlait grec, ‘et c’est la Rome impériale qui a hellénisé l’Occident.
L’élite américaine est monolingue, et le globish est notre espéranto ».
On se régale car Régis Debray a le sens de la formule. Par exemple : « L’illusoire tourne en douce à l’obscène ». Peut-être trop… du coup, le texte a un débit de mitraillette, ça flingue à tout va.
Au total, on est revigoré. Dieu soit loué, il y a encore des gens qui râlent et qui protestent, sans retour-ner leur veste (citation !).
Allez, je termine par le grand Charles : « Vieille France, accablée d’histoire, allant et venant sans relâche de la grandeur au déclin mais redressée de siècle en siècle par le génie du renouveau ».
09:48 Publié dans Actualité et langue française | Lien permanent | Commentaires (0)