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15/03/2015

Dis pas ci, dis pas ça (XXVII)

Monica Belluci.jpgLes jeunes de 2015 usent et abusent de « trop » dans le sens de très : « Elle est trop belle » et même « Elle est trop », sous-entendu « C’est pas possible d’être si belle, et encore moins d’être plus belle qu’elle », et, à la limite, « Elle est très belle, très intelligente, très sexy, très-tout, à un point inimaginable ».

L’Académie, très conciliante avec les jeunes, signale qu’il subsiste des emplois vieillis ou littéraires, dans lesquels « trop » est utilisé dans le sens de très : « Vous êtes trop aimable », « Vous êtes trop bon ». Mais pour ajouter immédiatement, en-dehors de ces tours figés et peu nombreux, il faut absolument éviter le « trop » à la place de « très ».

Chaque chose à sa place et les vaches (linguistiques) seront bien gardées.

Les jeunes auraient-ils trop eu de tout dans leur enfance de rejetons de soixante-huitards attardés ?

Mais ne relançons pas la polémique des Enfoirés…

 

Doit-on dire « Vive les vacances » ou « Vivent les vacances » ?

Il y a conflit entre deux façons de considérer cette expression : soit « Que vivent les vacances ! », soit « Vive les vacances » comme on dirait « Bravo les filles » (je précise pour les féministes de mon lectorat que je n’assimile aucunement « filles » et « vacances », au cas où il y aurait intention de polémiquer…).

L’Académie constate qu’en latin on pouvait rencontrer « vivant » et « vivat » et en conclut que les deux sont acceptables.

Vive la liberté !

 

Le français vient très majoritairement du latin et du grec mais ne se permet pas pour autant toutes leurs licences, par exemple celle qui consiste à « substantiver » tous ses infinitifs.

On dit « le coucher » mais non « le dormir » (remarquez en passant que l’Académie dit, comme moi, « mais non le dormir » et ne dit pas « mais pas le dormir », ainsi qu’on l’entend couramment). Et les verbes substantivés peuvent parfois avoir un complément à l’infinitif (le savoir-faire, le savoir-vivre).

Mais l’Académie proscrit l’association d’un verbe et d’un adjectif, comme dans « le bien mourir », « le vivre ensemble ».

Honte sur l’auteur de ces lignes ! J’ai baptisé ce blogue « le bien écrire »…

14/03/2015

L'erreur d'intitulé

De même que la première phrase d’un roman, le titre d’un livre est déterminant, pour évoquer son thème, son ton, sa tessiture d’une part et pour donner envie de le lire d’autre part.

Régis Debray.jpgRégis Debray vient de publier « L’erreur de calcul » (Les éditions du cerf, 2014), un petit bouquin de 55 pages rageuses et incisives.

Il est très colère, Régis, et quand il est colère, il a la plume assassine. C’est donc au vitriol qu’il brosse le tableau de notre société (occidentale et surtout française) gangrénée par le tout-économique, le tout-financier, le tout-statistique, en deux mots le tout-chiffres et le tout-fric.

C’est « l’erreur de calcul qui nous bouche la vue et s’en prend à nos vies », rien de moins.

Mais pour moi, il y a avant tout une erreur de titre ! Outre qu’il est abscons et décrit finalement assez mal le contenu de son pamphlet, il n’est guère mobilisateur et va orienter les moteurs de recherche vers les manuels d’économie ou de mathématique.

Régis Debray aurait pu tenter d’égaler le coup de Stéphane Hessel avec son incroyable « Indignez-vous », qui a passionné, réveillé et mobilisé dans de nombreux pays.

 

À part ça, la rage et l’efficacité de l’analyse sont là et bien là ; Régis Debray dénonce la disparition des valeurs ou plutôt leur remplacement, jusque dans le vocabulaire : « Chacun s’exprime à l’économie : il gère ses enfants, investit un lieu, s’approprie une idée, affronte un challenge, souffre d’un déficit d’image mais jouit d’un capital de relations, qu’il booste pour rester bankable et garder la cote, en jouant gagnant-gagnant… Il s’émeut d’un paysage qui vaut de l’or… ».

« L’économie est une vulgate, où l’endoctrinement s’appelle explication, laquelle n’est pas une heure d’instruction religieuse par semaine mais une catéchèse quotidienne et cathodique ».

 

Plusieurs fois dans le livre, Régis Debray distingue trois phases marquées par un repère et un personnage emblématique : la religion (Saint Louis), la patrie et la République (Clémenceau) et aujourd’hui l’économie (Monsieur Hollande, comme il dit), avec ses « modèles d’identification » : le Chevalier, le Soldat-Laboureur, le Manageur, et ses contre-exemples : le fanatique, le chauvin, l’affairiste. Et flotte comme un regret, l’ombre du grand homme (De Gaulle).

 

La Défense (du pays), la Culture et l’École ont pour lui été sacrifiées sur l’autel de la modernité économique.

 

« On comprend dès lors le mimétisme nord-américain et que la nouvelle Europe soit un dominion, fondue dans l’Otanie, avec son commandant en chef à la Maison blanche ».

 

« … que les classes dirigeantes mondiales aient un seule lingua franca, celle de l’économie et des finances. L’élite romaine parlait grec, ‘et c’est la Rome impériale qui a hellénisé l’Occident.

L’élite américaine est monolingue, et le globish est notre espéranto ».

 

 

On se régale car Régis Debray a le sens de la formule. Par exemple : « L’illusoire tourne en douce à l’obscène ». Peut-être trop… du coup, le texte a un débit de mitraillette, ça flingue à tout va.

 

Au total, on est revigoré. Dieu soit loué, il y a encore des gens qui râlent et qui protestent, sans retour-ner leur veste (citation !).

 

Allez, je termine par le grand Charles : « Vieille France, accablée d’histoire, allant et venant sans relâche de la grandeur au déclin mais redressée de siècle en siècle par le génie du renouveau ».

13/03/2015

Dis pas ci, dis pas ça (XXVI)

Je reprends ma chronique des recommandations de l’Académie française car nous n’en étions, somme toute, qu’à la lettre T.

C’est que l’on rencontre, non pas « Time will tell », formidable morceau en public de l’excellent groupe Tower of power, que j’écoute en vous écrivant (tout cela pour dire que quand les Américains font quelque chose de grand, c’est vraiment grand), mais le fameux « tout / toute », dont j’ai déjà parlé. Ça vaut le coup d’y revenir car on oublie vite ces choses-là.

 

On écrit « Elle est tout étonnée mais hier déjà, elle était toute surprise ». Pourquoi donc ? Mais parce que « étonnée » commence par une voyelle et « surprise » par une consonne, ces deux adjectifs étant au féminin. La difficulté vient du fait qu’à l’oral, à cause de la liaison, on ne perçoit guère la différence. Les Académiciens, qui sont bien plus savants que moi, expliquent que cette bizarrerie (un adverbe qui varie quand il est suivi d’un mot féminin commençant par une consonne) est typique de la résistance de l’usage en français. En l’occurrence, en vieux français, les mots étaient traités selon leur nature : « tout » est ici employé adverbialement mais sa nature est d’être « adjectif indéfini » ; il s’accorde donc avec l’adjectif qu’il modifie. À l’époque classique, la tendance est à l’invariabilité mais l’usage persiste. La première édition du Dictionnaire de l’Académie en 1694 prend acte de ce conflit : « tout » serait invariable au masculin et variable au féminin (le « e » du féminin se fait entendre). Précisons aux nombreuses féministes de mon lectorat qu’il n’est pas question de dire : le « euh » du féminin se fait entendre mais le « e » du féminin se fait entendre. Nuance…

En 1704, l’Académie établit la règle actuelle. On écrira donc :

§  « Elles furent tout étonnées » (dont le sens est différent de « Elles furent toutes étonnées » !)

§  « Cette jeune femme est toute belle, comme d’habitude, maquillée ou non »

§  « Ces étoffes sont toutes sales » (ici, pas de nuance possible pour indiquer que pas une étoffe n’est propre…).

Pour se souvenir de cette règle subtile, il faut se dire que « tout » est invariable, sauf quand il s’agit de préserver le même son [tut] (en phonétique), donc devant les consonnes des mots féminins ; et alors, on ajoute un « e » et on marque le pluriel si besoin, dans la foulée.

Rappelons-nous : « Elle est toute belle »

Ouf !

« Traiter », dans le sens d’insulter, doit être suivi d’un nom de personne, avec un nom attribut : « Il a traité son voisin de débile » (et non pas « Il a traité son voisin » comme disent certains jeunes).

A contrario, « Insulter » ne doit pas être suivi d’un attribut de son complément d’objet direct : « Il a insulté son voisin ».

Ça n’a rien à voir mais je vous conseille aussi « Ground » du groupe français « Électro de luxe ».