13/03/2015
Dis pas ci, dis pas ça (XXVI)
Je reprends ma chronique des recommandations de l’Académie française car nous n’en étions, somme toute, qu’à la lettre T.
C’est que l’on rencontre, non pas « Time will tell », formidable morceau en public de l’excellent groupe Tower of power, que j’écoute en vous écrivant (tout cela pour dire que quand les Américains font quelque chose de grand, c’est vraiment grand), mais le fameux « tout / toute », dont j’ai déjà parlé. Ça vaut le coup d’y revenir car on oublie vite ces choses-là.
On écrit « Elle est tout étonnée mais hier déjà, elle était toute surprise ». Pourquoi donc ? Mais parce que « étonnée » commence par une voyelle et « surprise » par une consonne, ces deux adjectifs étant au féminin. La difficulté vient du fait qu’à l’oral, à cause de la liaison, on ne perçoit guère la différence. Les Académiciens, qui sont bien plus savants que moi, expliquent que cette bizarrerie (un adverbe qui varie quand il est suivi d’un mot féminin commençant par une consonne) est typique de la résistance de l’usage en français. En l’occurrence, en vieux français, les mots étaient traités selon leur nature : « tout » est ici employé adverbialement mais sa nature est d’être « adjectif indéfini » ; il s’accorde donc avec l’adjectif qu’il modifie. À l’époque classique, la tendance est à l’invariabilité mais l’usage persiste. La première édition du Dictionnaire de l’Académie en 1694 prend acte de ce conflit : « tout » serait invariable au masculin et variable au féminin (le « e » du féminin se fait entendre). Précisons aux nombreuses féministes de mon lectorat qu’il n’est pas question de dire : le « euh » du féminin se fait entendre mais le « e » du féminin se fait entendre. Nuance…
En 1704, l’Académie établit la règle actuelle. On écrira donc :
§ « Elles furent tout étonnées » (dont le sens est différent de « Elles furent toutes étonnées » !)
§ « Cette jeune femme est toute belle, comme d’habitude, maquillée ou non »
§ « Ces étoffes sont toutes sales » (ici, pas de nuance possible pour indiquer que pas une étoffe n’est propre…).
Pour se souvenir de cette règle subtile, il faut se dire que « tout » est invariable, sauf quand il s’agit de préserver le même son [tut] (en phonétique), donc devant les consonnes des mots féminins ; et alors, on ajoute un « e » et on marque le pluriel si besoin, dans la foulée.
Rappelons-nous : « Elle est toute belle »
Ouf !
« Traiter », dans le sens d’insulter, doit être suivi d’un nom de personne, avec un nom attribut : « Il a traité son voisin de débile » (et non pas « Il a traité son voisin » comme disent certains jeunes).
A contrario, « Insulter » ne doit pas être suivi d’un attribut de son complément d’objet direct : « Il a insulté son voisin ».
Ça n’a rien à voir mais je vous conseille aussi « Ground » du groupe français « Électro de luxe ».
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12/03/2015
Hommes de bonne volonté mais maladroits !
Vous vous rappelez de la pizzerie…
J’ai trouvé à Rueil un autre homme de bonne volonté quant au français : il a baptisé son entreprise « MT Engénierie ».
C’est amusant car il y a là, manifestement, le souhait de franciser l’omniprésent « engineering » mais c’est maladroit parce que notre homme s’est arrêté en route !
D’abord « engineer » a comme correspondant en français « ingénieur » ; ensuite tous ces mots ont pour racine commune le « génie » : génie civil, génie électrique, etc.
Là où « engineering » fait penser à « engine » (engin, machine), « ingénieur » fait penser à « génie » ; non pas le « génie français » mais le corps de métier et aussi l’ensemble des techniques qui permettent de réaliser des bâtiments, des ponts… et aussi des molécules.
À part ça, les médias apportent leur lot quotidien d’expressions approximatives et d’incorrections.
C’est un journaliste de BFM TV qui dit avoir accompagné le Premier Ministre « sur un voyage » (au lieu de « en voyage » ou « au cours de ce voyage »).
C’est le Petit Prince de Bercy qui déclare « L’enjeu n’est en aucun cas de fusionner EDF et AREVA » (BFM TV, 9 mars 2015). Désolé Manu… ça n’a rien à voir avec un enjeu ! Comme je l’avais dit il y a longtemps à un de mes chefs, que cela avait fait rire : « un enjeu, c’est ce qui est en jeu ». C’est ce qui va être sacrifié, perdu, oublié, si l’on ne fait pas ceci ou cela.
Les gens confondent allègrement « enjeu » et « objectif », voire « idée ».
Dans sa déclaration, M. Macron voulait dire « L’objectif (ou l’idée ou la solution…) n’est en aucun cas de fusionner… ». L’enjeu, c’est plutôt la survie d’AREVA ou la pérennité du nucléaire français ou l’indépendance énergétique de la France.
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11/03/2015
Lire pour aller mieux
Le Marianne du 20 février 2015 revenait sur ce thème déjà abordé ici : la thérapie par la lecture, la « bibliothérapie ». Bien sûr la littérature fait découvrir ce qu’on ne connaît pas, ce qu’on ne connaîtrait pas sans elle, elle nous fait comprendre les autres, elle nous fait réfléchir (voir mon billet sur Antoine Compagnon et sa leçon inaugurale au Collège de France). Voici quelques réflexions là-dessus :
« La littérature donne intimement accès à l’autre, élargit le champ de la connaissance et la profondeur de l’expérience » (Pierre Jourde). « La littérature ajoute du mystère aux êtres qui semblent submergés par la vie quotidienne, aux choses en apparence banales – et cela force à les observer avec une attention soutenue et de façon presque hypnotique » (Patrick Modiano, discours de réception du Nobel de littérature). « On lit par protestation de la vie. La vie est très mal faite » (Charles Dantzig, "Pourquoi lire ?")…
… mais elle a bien d’autres vertus : « Économiser du temps, rendre plus gentil, guérir de la solitude et préparer à surmonter les échecs » (Maria Popova, dans son blogue BrainPickings), « amplifier l’imaginaire moral, assurer une justice poétique, nous entraîner à la recherche du bien » (Martha Nussbaum, « L’art d’être juste »), « apaiser les passions collectives, proposer des solutions imaginaires à des problèmes possibles ».
Et les journalistes, Alexandre Gefen et Laurent Nunez, d’écrire : « Le réel ne serait vivable que grâce à des excursions dans la fiction »…
L’écrivain anglais Alain de Botton – drôle de nom pour un Anglais – suggère de lire les œuvres de fiction comme des manuels pour « surmonter les tensions et les frustrations de la vie quotidienne » (voir son livre « L’Art comme thérapeutique » et son école « The school of life »).
La lecture donc, mais aussi l’écriture, pour se soigner.
Montesquieu disait « Je n’ai jamais eu de chagrin qu’une heure de lecture n’ait dissipé ».
Et Proust (« Sur la lecture ») : « Il est cependant certains cas, certains cas pathologiques pour ainsi dire, de dépression spirituelle, où la lecture peut devenir une sorte de discipline curative et être chargée, par des incitations répétées, de réintroduire perpétuellement un esprit paresseux dans la vie de l’esprit. Les livres jouent alors auprès de lui un rôle analogue à celui des psychothérapeutes auprès de certains neurasthéniques ».
La bibliothérapie est « l’utilisation d’un ensemble de lectures sélectionnées en tant qu’outil thérapeutique en médecine et en psychiatrie. Et moyen pour résoudre des problème personnels par l’intermédiaire d’une lecture dirigée ». Son livre de référence est « Bibliothérapie, lire pour guérir » publié par Marc-Alain Ouaknin en 1994, vingt ans déjà. C’est l’acte de lire qui importe, et non pas les péripéties romanesques que nous lisons ni les personnages auxquels nous pourrions nous attacher. C’est une incitation à l’action. La lecture taquine et inquiète l’esprit du lecteur…
On est loin des définitions de Flaubert dans son « Dictionnaire des idées reçues » :
« Littérature : occupation des oisifs » et « Livre : quel qu’il soit, toujours trop long ».
L’écrivain Philippe Forest écrit lui : « Assigner à la littérature une fonction thérapeutique revient à lui confier la mission de justifier le monde et d’aider les hommes à se résigner à son scandale, à se faire une raison de son iniquité ». Pour certains en effet, l’écriture est avant tout un art du langage désintéressé du réel ; ils ne croient guère aux vertus cathartiques de la littérature.
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