08/02/2015
Amnésie
Il y a plus grave que le snobisme, la paresse ou l’envie de paraître dans l’extension du domaine du franglais. Il y a l’ignorance (je n’ose imaginer : du mépris…) de ce qui a existé auparavant.
J’y pensais en écoutant une émission radiophonique sur les promesses du numérique.
La journaliste a commencé par les data miners, censés exercer un nouveau métier ; mais quel nouveau métier ? depuis l’arrivée de l’informatique, dans les années 60, cela s’appelle l’analyse des données. L’école française s’y est illustrée avec Benzécri, entre autres.
Les méthodes et techniques ont progressé sans doute mais c’est bien toujours d’analyse des données qu’il s’agit.
Bis repetita avec les gros volumes de données, que la journaliste appelle le big data, comme elle parlerait d’un big Mac…
Nouveaux métiers ? Bof… On ne s’étonne pas que la plomberie et la boucherie n’aient plus la cote chez les parents.
Vu comme cela, le langage procèderait donc comme une remise à zéro régulière des « connaissances », oubliant ce qui a été, ce qui a fait, le quotidien et la performance de milliers de gens dans le passé, de façon à « vendre » comme du neuf ce qui n’est souvent qu’un prolongement, un développement de l’ancien.
En science, il y a bien sûr des ruptures, des découvertes qui tranchent par rapport à ce qui existait ; mais elles sont rares. La recherche se fait après avoir absorbé les apports des précurseurs.
Dans l’art, on sait bien que tous les novateurs ont fait leurs classes en « bûchant » sur leurs prédécesseurs.
Avant la Recherche, Marcel Proust a écrit plusieurs pastiches, dans lesquels il s’exerce, avec brio, à écrire à la manière de ses aînés. Il pensait qu’on ne peut se former qu’en imitant d’abord des maîtres. Pas de tabula rasa donc. Et cela m’étonnerait que Picasso ou Monet aient prétendu faire autre chose que Ingrès ou Le Brun… Autrement oui mais non pas autre chose.
Eh bien, dans la langue courante, il semble que cela soit différent ; on éprouve le besoin de nommer sans cesse de façon différente des choses déjà connues.
C’est bien ce constat qui a présidé à l’écriture du Petit Dico franglais-français d’Alfred Gilder : redire comment on appelait et comment on peut toujours appeler des choses ou des concepts que l’on veut nous faire croire neufs.
À la place de teen-ager, A. Gilder suggère jeunette, midinette, choupinette, nymphette, cadette ou benjamine, poulette, pucelle, jouvencelle, adolescente ou ado, tendron, , décagénaire ou quinzagénaire selon les cas, et réciproquement, jeunot, damoiseau, puceau, jouvenceau, éphèbe, cadet ou benjamin, novice, blanc-bec, béjaune.
Pour éviter l’horrible weight watchers, il propose au choix : scrute-balance, garde-la-ligne, affineur de silhouette, coupe-faim, maigromanie, etc.
Sa créativité semble infinie ; ainsi, pour off the record, trouve-t-il : hors micro, hors antenne, en aparté, officieusement, en privé, hors compte rendu, huis clos, de vous à moi, et j’en passe.
Il est pas riche le français ?
Il n’y a qu’à se baisser pour ramasser des mots à la pelle.
Et le problème, c’est qu’à force de ne plus se pencher, l’amnésie nous guette.
07:30 Publié dans Actualité et langue française | Lien permanent | Commentaires (0)
07/02/2015
La langue avant tout et pour tous
Dans le Marianne du 30 janvier 2015, Jacques Julliard a écrit, au beau milieu de son éditorial, ces quelques lignes que je reproduis telles quelles :
« La défense prioritaire, inconditionnelle, sans esprit de recul, de la langue française contre les parlers de banlieue et les parlers voyous, mais aussi contre les parlers techno, les parlers commerciaux, les parlers bancaires, contre l’anglais d’aéroport et les sabirs eurocratiques, est partie intégrante de notre combat pour la civilisation ».
Pourquoi donc ?
Mais parce que c’est une condition sine qua non d’un espace commun, de valeurs communes, de la possibilité de partager et d’échanger entre ceux qui habitent au même endroit de la planète et sont embarqués nolens volens dans le même bateau…
Parce que c’est le moyen de découvrir, de lire, de commenter Hugo, Chateaubriand, Proust, et tant d’autres, et de vibrer à leurs mots…
Parce que c'est avec cette langue belle que l’on apprécie Trénet, Brassens, Brel, Ferré, Barbara et Souchon…
Parce que c’est indispensable pour s’orienter dans la ville, pour comprendre les documents administratifs, pour se défendre, et même pour attaquer – mais en justice, pacifiquement –.
Alors que tout le monde soit bilingue, pourquoi pas ? Que les uns ou les autres aient une seconde langue, régionale, locale ou professionnelle, pourquoi pas ?
Mais avant tout chose, avant de trancher sur la couleur des notes et sur l'opportunité des uniformes de Zorro pour les petites filles, avant les débats sans fin, avant les revendications, avant le pédagogisme, voici les priorités : apprendre, pratiquer, aimer et défendre le français !
Et si ce français comporte peu de fautes d’orthographe et de grammaire et qu’il ressemble à celui de Camus et de Giono, alors tant mieux.
07:30 Publié dans Actualité et langue française | Lien permanent | Commentaires (0)
06/02/2015
L'art de la préposition (I)
L'art de la préposition se perd...
C'est surtout que les confusions sont permanentes. Je ne reviens pas sur l'omniprésent "Samedi, je viens sur Paris". Car le langage courant multiplie à plaisir l'emploi des mauvaises prépositions. Par exemple, entendu ce matin à la radio : "Votre étude va aboutir sur la révision de…", au lieu de "va aboutir à la révision de…". Je pense que c'est à cause de la confusion avec "déboucher sur".
On a eu une collègue, GD, qui s'était spécialisée, involontairement, dans ces confusions… Mais chez elle, cela concernait surtout les proverbes et expressions toutes faites. C'en était cocasse. ICB avait rempli un cahier de ces perles, qu'elle m'a confié en débarquant du projet. Je vais vous en faire profiter un de ces matins. GD, si jamais tu me lis, ne m'en veux pas ! C'est seulement pour rire un peu (et non pas "juste pour rire"). Et de toutes façons, peu de gens, à part ICB et moi, savent qui tu es et a contrario savent quelle "perle" tu étais...
Lu dans le Journal de Michel Crépu, dont j'aurai l'occasion de reparler : "Comme si le roman venait exploser le cadre philosophico-religieux, où Dostoïevski s'obstine à faire tenir sa conception de la Russie". Comme je le répète à mes étudiants : "exploser" est un verbe dangereux mais transitif. Mais il y a pire, venant d'un Directeur de la Revue des Deux Mondes : cette façon de remplacer la construction "dans lequel" par le banal "où".
Cela devient une manie : Pierre Rabhi, sur France Inter le 28 janvier 2015, avec Patrick Cohen : "un livre sur comment on peut faire évoluer l'agriculture…". Il lui suffisait de dire : "un livre sur la façon (ou sur une des façons) de faire évoluer l'agriculture".
Allez, ne nous morfondons pas ! Donnons la parole à cet agrobiologiste d'origine algérienne :
07:39 Publié dans Franglais et incorrections diverses | Lien permanent | Commentaires (1)