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28/10/2019

Irritations linguistiques LVIII

Et ça continue, encore et encore (refrain connu)…

Pendant que « le français fait de la résistance » (voir l’un de mes récents billets), les mots et la syntaxe anglais (j’accorde le genre sur le masculin de « mots » qui joue ici le rôle de neutre) envahissent le français et le transforme en franglais.

La faute aux médias, aux publicitaires, à tous ceux qui considèrent encore que coller au modèle américain et donc à sa langue est une marque de modernité et de dynamisme.

Ainsi Peugeot vient-il de mentionner dans ses réclames télévisées, en plus de son logo motion & emotion, « unboring the future »… Pour une publicité en France, à l’heure du dîner ! Comment se fait-il que les passionnés de sondages et d’enquêtes n’aient pas encore testé la compréhension de ce message par les Français ? Qui donc le comprend ? Une minorité évidemment… mais les publicitaires – et Peugeot – s’en moquent puisqu’il s’agit de faire moderne et de montrer sa place éminente dans la concurrence mondialisée.

Suite aux élections européennes, on apprend que la liste LAREM « Renaissance » s’est fondue dans le groupe Renew du Parlement. Belle dissolution !

Vu dans le RER A (réseau de transport régional francilien) début octobre 2019, cette annonce déterminante pour notre avenir : « drive devient getaround »… La première dénomination pouvait encore parler aux Français à qui on a lavé le cerveau avec les Auchan drive, après l’échec (oublié) des cinémas drive-in. Mais getaround ?

Et que dire de la fascination des médias pour la forme en –ing de l’anglais ; après footing que nous étions les seuls à utiliser est venu jogging. Et aujourd’hui on fabrique nous-mêmes des Hollande bashing et des flight shaming (à savoir « honte à ceux qui continuent à prendre l’avion ») à tour de bras…

Sur Cnews (quel beau nom de baptême !), j’ai entendu parler, le mardi 10 septembre 2019, d’un métier important à l’hôpital : bed manager. Quand on manque de lits pour accueillir les malades dans l’hôpital public, certains manifestent dans la rue ou font grève, et d’autres inventent des noms ronflants (à savoir, fleurant bon le management supposé efficace des Anglo-saxons) ; c’est beaucoup plus confortable, les cache-misère.

En septembre, j’ai aussi lu un article sur les vieux homosexuels ; pour leur venir en aide, on parle maintenant de senior homos pride

Marianne s’interroge dans son numéro du 29 mars 2019 sur la possibilité d’échapper aux GAFAM et cite quelques exemples de « résistants ». Parmi eux, Tariq Krim, promoteur du mouvement slow web. On lit dans l’article que le deuxième âge du web celui qui nous a grisés (!) a été celui de la convivialité : « qui nous a fait découvrir le chat, les tweets, les emojis et les followers ». Rien que des mots anglais dans la phrase ! Pas étonnant car toutes ces inventions et leur mise en œuvre sont le fait des Américains ; on s’est précipité comme un seul homme dans leur utilisation et on les a appelés, en français, par leur nom – anglais. Optimiste le promoteur du web du temps long indique : « Nombreux sont ceux qui, comme moi, souhaitent mettre cette vision en œuvre mais n’arrivent pas à convaincre nos gouvernants, encore subjugués par les apparats de la réussite économique des grands acteurs américains et chinois ». En effet…

Dans le Marianne du 28 juin 2019, Laurent Ottavi revient sur le traité de Versailles (28 juin 1919), critiqué, pour des raisons différentes, par Keynes et Bainville et termine son article par ces mots : « Comme un symbole, l’anglais, en tant que seconde langue officielle du Traité de Versailles, avait mis fin en 1919 à l’usage exclusif du français dans la diplomatie européenne depuis Utrecht (en 1713). Au grand dam de la France, la roue de l’histoire avait tourné ».

07/10/2019

Le français fait de la résistance (II)

Dans son article du Figaro Magazine du 28 juin 2019, Charles Jaigu affirme que l’américanisation du monde (à savoir « trente ans de mondialisation intensive et frénésie d’uniformisation made in USA ») est finie et que « nous entrons dans la mondialisation qualitative qui donnera l’avantage à ceux qui expriment avec sérénité et fermeté l’authenticité de leurs terroirs »… Je voudrais le croire !

Comme d’habitude dans les débats et opinions sur la langue française, chacun en prend et en laisse dans les motifs de combat. Ainsi Charles Jaigu s’insurge-t-il contre le discours de réception du prix Nobel que Jean Tirole a trouvé malin de faire en anglais et se félicite-t-il de la loi Fioraso qui rend possible, en France, l’enseignement en anglais (« à condition que les étudiants non francophones s’engagent à suivre des cours de langue française » – je  ne connaissais pas cette condition –). Il trouve que c’est un bon compromis ; pas moi !

Récemment l’Université Paris-Est, via son Service des relations internationales et des enseignements (sic !), se flattait d’avoir obtenu « un financement du Ministère de l’Enseignement supérieur pour inciter les enseignants à enseigner leur(s) cours en anglais, avec pour objectif d’accueillir davantage d’étudiants internationaux (NDLR. Pour ne pas stigmatiser, on n’écrit pas étrangers…) dans le cadre de la stratégie nationale Bienvenue en France ». Oui, vous avez bien lu ! Le Ministère va dépenser notre argent – alors qu’il en manque tellement partout – pour faire réaliser des cours en langue états-unienne, comme si les étudiants d’ailleurs venaient chez nous pour entendre parler globish… Mais non ! Ils viennent pour Victor Hugo, pour Rimbaud, pour La Fontaine et Molière, pour l’art nouveau, pour la Tour Eiffel, pour l’art de vivre, pour la gastronomie, pour les paysages et pour apprendre la seule langue avec l’anglais qui est parlée sur les cinq continents ; pas pour une pâle imitation des Anglo-saxons !

Revenons à l’article de Charles Jaigu. Il rappelle que l’axe de défense de la francophonie est celui de la biodiversité appliquée aux cultures : préserver les écosystèmes culturels.

Il écrit ensuite « Le cas de l’écriture inclusive est une illustration de l’idéologie normative plaquée sur une langue vivante (…) Une chose est la féminisation des noms de certaines fonctions pour celles et ceux (sic !) qui le souhaitent et le peuvent, une autre est le projet de s’en prendre aux structures du langage, et de le rendre plus compliqué encore à enseigner ».

Quels sont les pistes de résistance ? La francisation (anticipée) des mots anglais, les subventions aux revues scientifiques en français, l’encouragement à la francophonie, les ateliers d’écriture, le nouveau dictionnaire collaboratif en ligne de la francophonie, fort de 400000 mots…

Et souvenons-nous que nous ne pourrons compter que sur nous-mêmes, la preuve, cette réaction du New Republic en 2014 : « Let’s stop pretending that French is an important language » !

03/10/2019

De, des et d' (II)

Rappelez-vous, amis lecteurs. C’était le 16 avril 2019.

Ce jour-là, j’écrivais dans mon billet :

Il convient de dire et d’écrire : « Notre jardin présente à cette époque…

    • des fleurs magnifiques (pas de problème) ;
    • de magnifiques fleurs (problème : la plupart des gens remplacent « de » par « des ») ;
    • d’étonnantes fleurs jaunes sur les kerria japonica ».

Pour moi, cette règle d’emploi de « des » et de « de » était évidente et fondée, me semble-t-il, sur les positions respectives de l’adjectif et du substantif. Mais il est vrai que je n’avais guère d’argument pour convaincre les uns et les autres (très nombreux) de ne pas écrire ni dire « des magnifiques fleurs »…

Or je viens d’en trouver un dans l’article de Bertrand Rothé, « Municipalisme : la révolte des communes » publié dans Marianne le 6 septembre 2019. Il cite Jonathan Durand Folco: « Il existe dans le système capitaliste des espaces où on peut vivre des nouvelles façons d’organiser le travail, la consommation, les échanges… ». Cette phrase appelle plusieurs commentaires :

  • d’abord, pour l’euphonie, il aurait été préférable d’écrire « des espaces où l’on peut » ;
  • mais surtout la syntaxe (pour moi incorrecte) « vivre des nouvelles façons » est un magnifique exemple de l’ambigüité, voire du contresens, qu’induit l’emploi de « des » au lieu de « de ».

Telle qu’elle est écrite, la phrase laisse penser que l’auteur cité veut dire que l’on peut « vivre des nouvelles possibilités offertes par le capitalisme », comme l’on dirait qu’on peut « vivre de trois fois rien » ou de « son travail ». Mais, très probablement, ce n’est pas cela !

Il a voulu dire que le capitalisme permettait de nouvelles façons de vivre. Et alors il commet deux fautes : il aurait dû écrire « vivre de nouvelles façons d’organiser, etc. » et éviter d’employer le verbe « vivre » à la forme transitive, même si c’est maintenant une mode répandue. Le Larousse de 1923 mentionne « vivre avec », « vivre de », « vivre sous »… mais pas « vivre quelque chose ». « Il a mal vécu son divorce » est impropre en 1923 (car très rare) et autorisé par le Hachette de 1991 (et fréquent !).

Il y aurait un autre chapitre à ouvrir sur l’emploi erroné des prépositions : « J’arrive sur Paris » (comme si tout le monde utilisait les avions du GLAM…), etc. Sans se laisser entraîner toutefois à philosopher sur le passage en cours du « droit de l’enfant » au « droit à l’enfant ».