07/03/2019
Nouvelles du front (linguistique) IX
« Pouvoir » et « permettre » jouent des mécaniques pour savoir lequel dominera l’autre. Je ne parle pas ici du « pouvoir » macronien ni encore moins de la génération « j’ai le droit » !
Je fais simplement référence à cette façon pléonasmatique qui se répand comme une traînée de poudre chez les politiques et les journalistes (et aussi chez les gens que ces derniers interrogent) et qui consiste à empiler les verbes « pouvoir » et « permettre ». On entend ainsi à longueur de journée : « Avoir les moyens de pouvoir assurer… », « Afin de pouvoir permettre… », « Pour permettre de pouvoir décoller sans problème » (un pompier sur BFM-TV), « La capacité de pouvoir » (un biologiste sur France Inter, le 21 janvier 2019), « Ça me permettrait de pouvoir demander… », « Être en mesure de pouvoir demander… », « de pouvoir faire en sorte de… » (Benoît Hamon sur France Inter, le 17 janvier 2019), « C’est impossible de pouvoir arrêter… ». Langue tarabiscotée, phrases à rallonge, mots empilés sans raison… On ne nous épargne rien !
Autre tic verbal dévastateur : « ce qui » et « ce qu’il », à cause de l’euphonie sans doute, sont sans cesse employés l’un pour l’autre. J’ai déjà mentionné ce travers dans « Le bien écrire ». Le 8 février 2019, j’ai entendu sur BFM-TV : « Ce qui est important de retenir… », confusion complète entre « Ce qu’il est important de retenir » et « Ce qui est important à noter » !
L’emploi hasardeux des prépositions continue de faire des ravages : « pallier à » (que les jeunes s’obstinent à écrire « palier à »), « impacter sur » (encore notre biologiste sur France Inter), etc.
Les « miss Météo » et « monsieur Météo » usent et abusent de Proust (sans le savoir ni le vouloir) en nous menaçant d’orages (ou d’éclaircies) « du côté de Versailles » « du côté du Massif central »… Connaissent-ils si mal notre géographie ? On comprend qu’il soit difficile de garantir un orage à Versailles même mais il serait simple de dire « autour de Versailles » ou bien « dans la région de Versailles » ou encore « dans le Nord des Yvelines » !
Et pour terminer, un dernier tic des politiques français : la formule « pardon de vous le dire » employée à tous bouts de champ dans les interventions (par exemple, Benoît Hamon le 17 janvier 2019 sur France Inter).
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14/02/2019
Les mots français à la mode VII
La première fois que j’ai lu « vegan », je n’ai pas compris… Mais féru de devinettes, rébus et autres énigmes (ne serait-ce qu’à travers les romans de Maurice Leblanc, « Arsène Lupin contre Herlock Sholmes », « in robore fortuna », « La barre y va »…), j’ai vite décodé le truc, construit sur le même mode que smog (smoke + fog), blog (web + log) et surtout brunch (breakfast + lunch). C’est la manie anglo-saxonne de compacter deux mots, contrairement à l’habitude française de couper la fin des mots : « prof » pour professeur, « l’Éduc » pour l’Éducation nationale, « Sciences nat » pour sciences naturelles, « anat » pour anatomie, « bobo » pour bourgeois-bohème. Patrick Bruel qui sait tout sur tout parle même dans une émission de télé (pour télévision !), de « droit constit », pour montrer qu’il connaît. Donc vegan, c’est la contraction de vegetarian, contraction particulièrement ratée parce que les sons eux-mêmes sont altérés : le « dje » de vegetarian devient « gue » dans son abréviation. Bref, cette mode alimentaire, très « tendance » chez les urbains, a répandu son qualificatif, qu’elle est allée chercher, bien sûr, « aux States ».
En parlant de concaténation (comme disent les informaticiens) et de States justement, il me revient à l’esprit qu’un magicien du verbe (français) comme Claude Nougaro, avait intitulé Nougayork son album américain, celui du renouveau après que sa maison de disques l’eut quasiment mis dehors. Et qu’est-ce donc que Nougayork sinon la contraction de Nougaro et New-York ?
Il y a aussi futsal, censé nommer le football en salle. Curieux…
C’est l’occasion ici de parler du mot blog, dont certains s’étonnent que j’utilise la forme francisée « blogue ». Voyons ce qu’en dit Wikipedia :
« Blog est issu de l'aphérèse d'un mot composé, né de la contraction de Web log ; en anglais, log peut signifier registre ou journal. Ce terme est employé pour la première fois par Jorn Barger, en 1997. La francophonie tente de trouver des équivalences ou des alternatives à cet anglicisme, bien que le franglais soit fréquent sur la Toile, notamment parmi ses techniciens, qui rendent souvent compte de la nouveauté par le biais d'anglicismes et de néologismes (NDLR : c’est le moins que l’on puisse dire).
Un blogueur ou une blogueuse (en anglais : blogger) est l'individu qui a l'habitude de bloguer : il écrit et publie les billets.
L'utilisation de la graphie identique à la forme anglaise blog, est la plus répandue, si bien qu'elle figure dans les éditions 2006 des dictionnaires « Le Petit Larousse » et « Le Robert ».
L'Office québécois de la langue française (OQLF) soutient la forme graphique francisée "blogue" ou le néologisme "cybercarnet". La lexicalisation en blogue permet, selon l'OQLF, d'adapter l'anglicisme aux structures morphologiques et orthographiques du français puisque le suffixe -og n'est pas opérant en français (il faudrait prononcer [blo], un g final n'étant jamais prononcé). Cette lexicalisation permet aussi de créer les dérivations « bloguer, blogueur, bloguesque », etc., d'éviter la confusion « bloggeur » – « blogger », et semble être adoptée progressivement par toutes les communautés. Toutefois, les formes dérivées sont également largement utilisées par ceux qui conservent la graphie « blog ». Le synonyme « cybercarnet » offre les mêmes possibilités de dérivation tels cybercarneteur, cybercarnetage, cybercarnétosphère, etc.
En France, en septembre 2014, la Commission générale de terminologie et de néologie adopte le terme "blogue" comme au Québec. De 2005 à 2014, elle avait choisi le mot bloc-notes, ce qui rendait son utilisation obligatoire pour les administrations et services de l'État français. Ce mot entrait en conflit avec la traduction des mots notepad et notebook déjà utilisés par ailleurs en informatique. De plus, il n'autorisait pas de dérivés évidents comme « blogosphère ».
Par ailleurs, d'autres traductions ont émergé çà et là au sein de communautés de blogueurs, sans connaître pour l'instant un grand succès :
- Journal Web, webjournal ou joueb, qui ne distinguent pas le journaliste du blogueur, à tort selon la majorité des blogueurs.
- Journal extime n'est pas issu du Web, mais emprunté à l'écrivain Michel Tournier. Il désigne étymologiquement un journal intime public. Ce terme désigne en fait plutôt un usage possible pour un blog (présenter sa propre vie), le blog étant un média possible pour cet usage. Il existe des blogs à usages très différents (par exemple d'analyse de l'actualité).
Quelques juristes blogueurs ont proposé bloig (mélange des mots bloget « loi ») comme traduction de l'anglais blawg (formé sur les mots bloget law, ce dernier signifiant « loi »). La sonorité étant changée par le composé de ce nouveau mot, « blogue juridique » est proposé par l'OQLF ».
Passionnant, n’est-ce pas ?
Je ne sais plus si je vous ai déjà parlé de cette expression horripilante : « c’est raccord ». J’ai compris qu’elle servait à exprimer la correspondance, la concordance, la cohérence, entre deux méthodes, deux prises de position… mais je n’arrive pas à trouver son origine. On pense bien sûr à « raccord de peinture », « raccord de carrelage », « raccord de menuiserie », qui visent à masquer, à faire disparaître une discontinuité et à ne laisser voir au contraire qu’une continuité.
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07/02/2019
Les mots français à la mode VI
Dans la vaste catégorie des pléonasmes, des mots tarabiscotés et des paraphrases lourdaudes utilisés sans modération par notre personnel politique (les ministres en premier lieu mais aussi les députés En Marche bien en peine de répondre aux interrogations et doléances des fameux Gilets jaunes de l’automne 2018), je note « être en capacité ». Le 19 décembre 2018, sur France Inter, Madame Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, en a usé et abusé.
Venant d’elle et d’ailleurs de tous ses condisciples « surdiplômés » comme on dit, on ne peut incriminer le manque de vocabulaire ni de culture classique. Quoi donc alors ?
Il y a sans doute un effet « tic verbal » dû au trac, qui existe toujours même pour ces technocrates rodés à la prise de parole. Mais pourquoi le cerveau, ponctuellement paralysé par le stress, va-t-il chercher une formule compliquée, au lieu de proposer simplement « être capable » ou bien « savoir », « pouvoir » ? Parler compliqué donne peut-être l’impression que l’on va être perçu comme un « sachant », un « expert » ?
Ces cerveaux-là pourraient proposer à la rigueur « avoir la capacité de », l’expression aurait le mérite d’être correcte, à défaut d’être simple. Mais c’est sans doute l’horrible et omniprésent « être en charge » qui joue ici son rôle d’attracteur et, caché derrière lui, la fascination plus ou moins consciente pour l’américain, gage de modernisme.
Une formule passe-partout et néanmoins un peu longue comme « être en capacité de » a sans doute le mérite de donner à l’orateur quelques fractions de seconde supplémentaires pour trouver des réponses à la question qu’on lui pose. Et il y a encore plus grave qu’une expression compliquée et incorrecte : la répétition à l’envi d’une expression compliquée et incorrecte ; et, encore plus grave, des successions de phrases insipides, non signifiantes, tournant autour du pot, pour ne rien dire de concret.
Or que nous enseigne la communication ? Qu’il y a un émetteur, un canal et un récepteur ; que l’émetteur pour être compris a intérêt à parler le langage des récepteurs visés ; que le discours doit rester le plus simple possible, sans sacrifier naturellement le fond.
On pourrait donc en conclure que Mme Vidal ne parlait pas pour que nous comprenions ce matin-là ou, pire, qu’elle n’avait rien à dire…
Manque de fond ou consignes de noyer le poisson ?
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