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30/01/2020

La belle endormie se réveille

Oh, je ne veux pas parler de la Belle au bois dormant ni de ses émules modernes. Non, il s’agit ici de l’Académie française que tout le monde adore et qui énerve tout le monde (Michel Rocard, car elle valide sa réforme de l’orthographe du bout des lèvres ; les féministes, car elle bannit l’écriture censée devenir inclusive et accepte en partie seulement la féminisation des titres et noms de métier ; les élites pressées, car elle rappelle le « bien écrire » et prend son temps pour sa révision du Dictionnaire ; les déçus de l’élection quand elle coopte Jean-Loup Dabadie et refuse Charles Trenet ; etc.).

Mais aujourd’hui, il s’agit de tout autre chose : l’Académie française se dit gravement préoccupée par le développement du franglais et a demandé aux pouvoirs publics de mieux respecter la loi Toubon sur la défense du français (site du Figaro, rubrique Langue française, 22 novembre 2019).

Admirez en passant le sens de la formule et la modération… D’ailleurs elle ajoute dans son communiqué à l’AFP qu’elle n’a jamais été hostile à l’introduction ni à l’usage de termes étrangers. Alors où est donc le problème ? Dans un cas comme dans l’autre (« se dire gravement préoccupée » d’une part et « n’avoir jamais été hostile » d’autre part), les états d’âme de l’Académie sont modérés.

Il n’y a pas si longtemps, cette Académie ne voyait pas de problème, la langue ayant toujours accueilli par brassées des mots étrangers et cette « assimilation » ne menaçant aucunement, paraît-il, sa structure. Il semblerait que les Académiciens aient changé d’avis, puisqu’ils déclarent aujourd'hui que « les violations répétées de la loi Toubon dénaturent notre langue, autant par l’invasion des termes anglo-saxons que par la détérioration qu’ils entrainent de sa syntaxe ».

Et d’alerter les pouvoirs publics et de les exhorter à respecter eux-mêmes la loi…

Dans son discours de réception en octobre 2019, la philologue Barbara Cassin avait fustigé le global English (« une non-langue de pure communication ») et plaidé pour le plurilinguisme.

Prenons acte de cette conversion subite, nous qui militons (depuis les années 1980 dans le milieu professionnel et depuis 2014 dans ce blogue) contre l’abâtardissement résigné ou complaisant de notre langue. Rien que la collection des franglicismes que j’ai relevés, dans tous les secteurs de l’activité en France, depuis que ce blogue existe, ferait la matière d’un gros livre… Et j’ai la crainte que ce travail de collationnement soit sans fin, tant nos contemporains s’ingénient à polluer leur langage, qui par snobisme, qui par paresse ou facilité, qui par ignorance.

On nous dit que notre vocabulaire est composé de multiples emprunts à un grand nombre de langues et que, du temps de Marcel Proust, l’anglomanie était à la mode dans les hautes sphères. Sans doute mais depuis le XVIIème siècle, la France avait surtout été en position de conquérante, même au XIXème. Aucun événement n’avait été l’équivalent du débarquement des GI’s en Normandie, invasion libératrice qui a importé chez nous le chewing gum et le jazz… et un mode de vie dont la majorité d’entre nous ne peut toujours pas se déprendre. L’Occupation pendant cinq années n’a rien laissé dans notre langue (sauf quelques "Ersatz" par ci par là), la Libération si : la fascination pour l’anglais d’Amérique du Nord.

En fait, c’est pire que cela ! Prenons le mot allemand « krach » (prononcez « krar ») qui signifie « débâcle financière ». Il a complètement disparu au profit du mot anglais « crash » (qui ne figurait même pas dans le Larousse de 1923), au point que l’on parle aujourd’hui de « crash du système de retraite en France » (affirmation qui, si elle était fondée, devrait se dire « krach du système de retraite »).

16/01/2020

Les mots (français) à la mode (X)

Je dois reconnaître que cette rubrique pourrait aussi bien s’intituler « Irritations linguistiques » tant ces modes, qu’elles concernent le vocabulaire ou la syntaxe, ont le don de m’irriter, reflets qu’elles sont du superficiel, du snobisme, de l’envie irrépressible de faire « moderne » ou « jeune », de la soumission au modèle américain ou simplement de l’ignorance et du suivisme.

Mais, bon, restons neutre, et gardons ce titre…

Il y a d’abord l’insupportable « celles et ceux », tic de langage des politiciens de tous bords et concession crasse au féminisme ambiant. Le Général de Gaulle disait « Françaises, Français » et cela suffisait.

Il y a aussi l’adjectif  « inclusif » ; généreux en diable, il est mis à toutes les sauces ; les démocraties doivent être inclusives, le français lui-même est sommé de l’être aussi…

Côté syntaxe, il y a cette tendance ravageuse à rendre transitifs des verbes qui ne le sont pas ; dernière de mes découvertes : « Nous allons concerter », signifiant, sans doute, qu’ils vont réunir les partenaires sociaux pour discuter (Mme Élisabeth Borne, le 19 décembre 2019). J'ai entendu récemment dans un reportage sur la médecine d'urgence : "il convulse".

Une autre tendance, pour faire anglo-saxon, donc moderne, est à la suppression des prépositions, éléments de précision et de fluidité du discours s’il en est. L’exemple le plus insupportable est « faire sens » (calque de l’anglais « to make sense », qui signifie « avoir du sens »). Mais on trouve aussi « une manière de donner sens à la mobilisation » (Federico Tarragoni, Marianne du 6 décembre 2019, page 47).

Des expressions passe-partout comme « faire société » ou « faire consensus », voire « le vivre ensemble » deviennent, dans ce marasme, d’insignifiantes innovations.

Pour terminer je voudrais citer deux mots en voie de disparition, bien qu’avec des soubresauts dus à des défenseurs obstinés ; ils confirment mais seulement en partie la remarque du grammairien Étiemble qui prédisait l’extinction d’un mot en même temps que celle de l’objet qu’il désigne (exemple emblématique : duffle-coat). Pas plus tard que le 20 décembre 2019, dans la matinale de France Inter, Nicolas Demorand s’obstinait à utiliser « podcast » (pour « télécharger ») alors même que iPod d’Apple a disparu des rayons. Thomas Legrand, lui, nous a parlé de position politique « raccord » avec les convictions ; surprise, car ce mot semble avoir disparu dans cette acception imagée mais bizarre.

09/01/2020

Irritations linguistiques LXII

La fréquentation du personnel politique, des commentateurs et aussi des Français « d’en bas » via les médias, en augmentation pour beaucoup d’entre nous, depuis plus d’un an, à cause des manifestations de colère et de ras-le-bol (Gilets jaunes d’abord, opposition à la réforme du système de retraite ensuite…) est l’occasion d’irritations fréquentes au sujet de la langue, irritations naturellement bénignes au regard de la gravité de la situation générale mais irritations tout de même.

Ce sont surtout les hommes et femmes politiques qui remportent la palme, eux qui sont devenus des communicants 24/7 comme ils disent, à savoir 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 !

J’ai noté récemment trois exemples, l’un de complication inutile du discours, l’autre de formule creuse (pour gagner du temps sans doute), le dernier de soumission à la mode de l’anglais.

D’abord cette formule répétée à l’envi (Marlène Schiappa en ce moment mais aussi Benoît Hamon lors de la Présidentielle…) : « C’est la raison pour laquelle…), au lieu de « pour la raison que… » ou tout simplement « parce que… ».

Ensuite le célèbre « Pardon de le dire » de Pierre Moscovici (mais je l’ai entendu, sauf erreur, dans la bouche de Yann Arthus-Bertrand, le gars qui vient de découvrir, grâce à Greta, que l’avion pollue – l’hélicoptère aussi d’ailleurs…).

Enfin l’horrible « Ce projet adresse une question qui touche tous les Français », un avatar de plus de cette manie (ce snobisme sans doute, pour faire américain, donc moderne et branché) qui consiste à rendre nos verbes transitifs : perquisitionner (« perquisitionner dans un appartement » dit le Larousse en deux volumes, 1923), pénétrer, abuser, etc. À ne pas confondre avec l’effet inverse qui consiste à rendre intransitif le verbe transitif « pallier » (« Ce dispositif pallie un manque de maintenance »).

Dans une autre catégorie, celle des « faux amis » de nos années de lycée, on peut aussi déplorer l’emploi du mot « opportunité » dans le sens de « occasion » ou « possibilité » – par attirance de l’anglais opportunity– alors qu’il signifie « la qualité de ce qui est opportun » (Larousse en deux volumes, 1923).