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09/01/2020

Irritations linguistiques LXII

La fréquentation du personnel politique, des commentateurs et aussi des Français « d’en bas » via les médias, en augmentation pour beaucoup d’entre nous, depuis plus d’un an, à cause des manifestations de colère et de ras-le-bol (Gilets jaunes d’abord, opposition à la réforme du système de retraite ensuite…) est l’occasion d’irritations fréquentes au sujet de la langue, irritations naturellement bénignes au regard de la gravité de la situation générale mais irritations tout de même.

Ce sont surtout les hommes et femmes politiques qui remportent la palme, eux qui sont devenus des communicants 24/7 comme ils disent, à savoir 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 !

J’ai noté récemment trois exemples, l’un de complication inutile du discours, l’autre de formule creuse (pour gagner du temps sans doute), le dernier de soumission à la mode de l’anglais.

D’abord cette formule répétée à l’envi (Marlène Schiappa en ce moment mais aussi Benoît Hamon lors de la Présidentielle…) : « C’est la raison pour laquelle…), au lieu de « pour la raison que… » ou tout simplement « parce que… ».

Ensuite le célèbre « Pardon de le dire » de Pierre Moscovici (mais je l’ai entendu, sauf erreur, dans la bouche de Yann Arthus-Bertrand, le gars qui vient de découvrir, grâce à Greta, que l’avion pollue – l’hélicoptère aussi d’ailleurs…).

Enfin l’horrible « Ce projet adresse une question qui touche tous les Français », un avatar de plus de cette manie (ce snobisme sans doute, pour faire américain, donc moderne et branché) qui consiste à rendre nos verbes transitifs : perquisitionner (« perquisitionner dans un appartement » dit le Larousse en deux volumes, 1923), pénétrer, abuser, etc. À ne pas confondre avec l’effet inverse qui consiste à rendre intransitif le verbe transitif « pallier » (« Ce dispositif pallie un manque de maintenance »).

Dans une autre catégorie, celle des « faux amis » de nos années de lycée, on peut aussi déplorer l’emploi du mot « opportunité » dans le sens de « occasion » ou « possibilité » – par attirance de l’anglais opportunity– alors qu’il signifie « la qualité de ce qui est opportun » (Larousse en deux volumes, 1923).

31/12/2019

Qui a dit que le français faisait de la résistance ?

Qui a dit que le français faisait de la résistance ?

Qui a dit que le Français faisait de la résistance ?

C’est tout le contraire que l’on voit chaque jour, du Président de la République (française) aux dirigeants du CAC 40, en passant par ceux de la moindre petite société qui se voit pousser des ailes internationales et se prend pour le futur Google des années 20.

Récemment sur une chaine d’info en continu, qu’il aimerait appeler Canal Nouvelles, le chroniqueur et enseignant québécois Mathieu Bock-Côté disait qu’il était stupéfait de voir les Français émailler leur discours de mots anglais en toute occasion.

Que l’on en juge par le communiqué ci-dessous.

« En 2020, JeSuisEnCours devient SoWeSign 
Née de la rencontre entre un dirigeant d’école et un expert de la dématérialisation, la solution de dématérialisation des émargements JeSuisEnCours a vu le jour en 2015. Aujourd’hui, JeSuisEnCours se développe et apprend de ses expériences. Nous avons accompagné des organismes de formation continue, entreprises privées, une région, etc. Dont les utilisateurs ne sont pas toujours “en cours” ni même francophones...

Nous avons dû trouver un nom correspondant à l'ensemble de nos clients et utilisateurs. En 2020, JeSuisEnCours change de nom et devient SoWeSign : un nom plus court, plus simple, plus moderne, adapté à l’international et à chacun d'entre vous ».

Chers lecteurs, vous avez bien lu ! Ils ont  trouver un nom !

et le nouveau nom est plus moderne, oui, parce qu’il sonne américain ! 

Honte à eux !

05/12/2019

Bloody Friday !

Il y avait les soldes, depuis très longtemps ; j’avais compris que leur durée annuelle, voire leur période dans l’année, étaient réglementées ; j’avais constaté que, dans cette époque d’accélération du néolibéralisme, la réglementation s’était fait discrète et qu’il y avait solde à tout bout de champ, ne serait-ce qu’avec le subterfuge des « ventes privées » et autres magasins d’usine (rebaptisés outlet), l’essentiel étant que cela fleure bon la « liberté » : liberté de vendre ce qu’on veut, où l’on veut, liberté d’acheter n’importe quoi, à tout moment (le dimanche, la nuit…), sans s’occuper de la logistique nécessaire en coulisses et au mépris de la nécessaire reconversion écologique. Et de fait, on eut l’impression qu’à tout moment, les commerçants confrontés à la stagnation ou la baisse du pouvoir d’achat, s’étaient lancés dans une course permanente aux prix toujours plus bas, pour attirer le chaland…

Puis Apple est arrivé : je crois que c’est Apple le premier qui a importé des États-Unis, il y a quelques années, cette habitude de proposer des articles soldés certains vendredis du mois ou de l’année ; et ce fut le Black Friday, que nous découvrîmes médusés, incrédules ou indifférents.

Et la machine s’emballa : cette année 2019 restera celle où le phénomène prit soudain un caractère délirant, encouragé ad nauseam par des médias complices : toutes les enseignes avaient enfourché le cheval du vendredi magique pendant lequel on annonçait des réductions de 30, 50 ou même 70 %. Et que dis-je ? Le vendredi magique ne suffisait pas ! On eut droit à la Cyber Week, qui court encore…

Et du matin au soir, on nous bassina, à la radio, à la télévision et dans nos messageries, avec ces occasions incroyables qui nous étaient offertes d’acquérir ce dont nous rêvions, et in fine de dépenser nos sous.

À cette jouissance promise – aussi vieille sans doute que l’acte d’achat – s’ajoutait, comme d’habitude, l’excitation causée par la découverte d’une nouvelle pratique et in English s’il vous plaît ! Oui, Mesdames et Messieurs les acheteurs compulsifs, Amazon ou pas, impôts payés ou non par eux, camions sur les routes ou pas, empreinte carbone ou pas, en pratiquant dans l’hystérie la plus totale le Black Friday, vous deveniez le temps d’un achat, un peu américain, un émule de cet Américain qui consomme et pollue deux ou trois fois plus que vous et dont les dirigeants ne veulent pas d’accord contraignant « à la COP 21 » !

La fin du « modèle américain » et de l’attrait irraisonné pour l’anglais n’est décidément pas pour demain ; mais après-demain verra-t-il son remplacement par le modèle chinois ?

Ou bien les Français reprendront-ils confiance en eux ? Reprendront-ils en main leur destin, à leur propre mode ? Abandonneront-ils leur fascination pour ce qui vient d’outre-Atlantique ? Et les mots sont très importants : le Black Friday, ce sont les soldes, point !

Au temps de leur splendeur et de leur irrésistible ascension économique (qui fut en vérité plutôt de courte durée), les Japonais plastronnaient devant les patrons américains et européens venus écouter leur bonne parole, en leur disant en substance ceci : « Nous gagnons parce que vous pensez que nous sommes les plus forts »…

La première chose à faire c’est d’y croire et de relever la tête.