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29/03/2018

Le français à la moulinette de la pub

Ça fait longtemps que j’ai la publicité (surtout télévisuelle) dans le collimateur (longtemps, cela veut dire des dizaines d’années, sachant que son volume n’a fait que croître d’année en année, les Pouvoirs publics n’ayant qu’une seul obsession : faire la part belle aux publicitaires et aux annonceurs). Je la trouve débilitante, sexiste, accrocheuse ; elle atteint maintenant le stade du bourrage de crâne et du lavage de cerveau (les fameux « cerveaux disponibles » chers à l’inénarrable Patrick Le Lay), elle flatte les plus bas instincts, ceux du beauf de Cabu ; elle est envahissante et saccage les plus beaux films (trois coupures autorisées, je crois, et bientôt de la pub au milieu des informations ?) ; les publicitaires ont réussi à contourner la limitation des durées en finançant les productions, ce qui permet de faire parler des marques juste avant et après les émissions et les films (et sans parler des publicités distillées subrepticement à l’intérieur même des œuvres) ; elle est répétitive, lancinante, prétentieuse… Quand on songe qu’il y a un bureau de vérification de la publicité, qui est censé ne laisser passer que les messages les plus convenables, on a froid dans le dos en imaginant ce que doivent être ceux qui ont été retoqués.

Comble de tout, les publicitaires massacrent notre langue. Et comme j’avais constaté depuis un certain temps qu’ils la remplacent progressivement par l’anglais (c’est tout bénéf.), je m’apprêtais à refaire une petite enquête devant mon téléviseur pour mesurer précisément les dégâts, tout en me disant que j’étais bien seul dans ce combat de David contre Goliath… 

Je suis tombé fortuitement sur l’article « Le français à la moulinette de la pub » de Sacha Montagut, publié le 23 mars 2018 sur le site

http://www.influencia.net/fr/revue.html

LE TRENDMAG DES INFLUENCES

(je ne sais pas si tout cela est très recommandable, d’autant que voici quelques rubriques de ce média :

 

> What If > Brand Culture > Golden Club > Shine Academy > Data et créativité > Marketing Progress

> Culture Design > Relations publics > La Culture > Food is social > IN Africa > On buzze

> Contenu sponsorisé > Case study > Creat'IN

en somme, rien que du bel et bon franglais !).

On va voir que le fond de l’article démontre à peu près l’inverse de ce que suggère le titre…

On lit ceci :

« Depuis 2011, L’Observatoire des slogans, par le biais de Souslelogo, passe au peigne fin la dizaine de milliers d’accroches et autres signatures de marques qui ont égayé ou déprimé notre année de consommateurs.

Objectif : décortiquer le langage publicitaire qui façonne notre paysage médiatique et appréhender les évolutions culturelles de notre société. Les « mots de la pub » comme marqueurs temporels de notre identité. Pour le prouver, l’Observatoire a créé sur son site internet un onglet " Archive " qui permet à tous les plus curieux d’entre vous de suivre l’évolution du discours publicitaire dans le temps. Outre les principaux enseignements, cette veille permet de savoir si oui ou non, la langue française a encore de beaux jours devant elle ».

Le verdict est sans appel : le pourcentage de signatures de marque en anglais (brand signatures) créées chaque année par rapport à l’ensemble des signatures créées, augmente régulièrement depuis 2011 et atteint aujourd’hui 20 % Corrélativement le pourcentage de signatures dans d’autres langues que le français ou l’anglais est stable et négligeable.

Plus grave encore, la création de claims (je suppose que c’est l’équivalent anglais de « slogan » ?) : ceux en anglais par rapport à l’ensemble grimpe en flèche et atteint maintenant 15 % (personnellement, j’aurais dit encore plus au vu des pubs actuelles).

L’article distingue les « slogans de campagne » des « brand signatures »… Il cite ainsi, dans la première catégorie, Make love not walls de Diesel et French but wild de Aigle et ajoute : « La raison est toute trouvée : une globalisation de notre société et une course vers la modernité auxquelles l’anglais semble parfaitement adapté » (sic). En revanche, dans la seconde, il voit un recul de l’anglais à travers des signatures comme « PMU, Pariez sur vous », « Carambar, c’est de la barre » et « Castorama : ensemble on peut tout faire ». Et l’explication tombe : « Alors que l’anglais s’impose bon gré mal gré dans notre quotidien, il n’est plus l’outil indispensable aux marques pour asseoir leur positionnement sur le long terme. Une vraie relation amour/haine ». Comprenne qui pourra… 

Enfin vient le palmarès des mots les plus employés par la pub : l’auxiliaire « être » et le verbe « faire » restent n°1 et n°2 depuis au moins 2015, l’insupportable dièse (le hashtag # qu’adorent les journalistes de France Inter) vient de détrôner l’auxiliaire « avoir ». Aïe !

Laissons le dernier mot à cette phrase d’anthologie : « Signalons le provocateur et efficace #Niquepastamer de Poissonier de France, qui fait un combo avec l’utilisation du hashtag ».

23/10/2017

Irritations linguistiques LVI : soyons sexy

Je parlais il y a peu du jargon présidentiel (je ne veux pas dire « macronesque », ce qui serait désobligeant et irrévérentieux) et du langage de la bienpensance… Le Marianne du 15 septembre 2017 en a donné un autre échantillon, savoureux : « Emmanuel Macron propose de transformer l’entreprise publique (la SNCF) en entreprise d’agrégation de mobilités ».

Sophie Marceau à St Bart.jpg

Un autre jour, j’avise un sac Etam (en papier, c’est déjà ça… sus au plastique qui pollue nos décharges et les océans), sur lequel il est écrit :

« We are FRENCH

We believe in BEING SEXY

INDEPENDENT

FASHIONABLE

& OPTIMISTIC »

(J’ai essayé de respecter la casse, la mise en valeur et les couleurs, fantaisistes comme on voit…).

Mon sang n’a fait qu’un tour ; en plein scandale Weinstein et projet de loi français immédiat contre le harcèlement sexuel, ça pouvait choquer. De même que l’association – gratuite – entre FRENCH et BEING SEXY…

Pour ce qui est de l’anglais – tu penses, public, que là est mon cheval de bataille ! – eh bien, l’alerte peut rester modérée puisqu’en retournant le sac, on lit la version française :

« OUI à la mode

           AU SEXY

à l’indépendance

À L’OPTIMISME »

Et c’est signé :

Etam

#FRENCHLIBERTÉ

(avec un É s’il vous plaît).

Le 12 octobre 2017, j’étais devant mon poste de radio (eh oui, ça existe encore ; il n’y a pas que les réseaux dits sociaux dans la vie) et j’écoutais un chercheur de l’INSERM parler des maladies neurologiques sur France Inter : « Le plus tôt vous diagnostiquez les dysfonctionnements dans le cerveau, le plus tôt vous avez des chances de réussir leur traitement ». Eh bien, désolé cher Monsieur, en français on ne dit pas les choses comme cela ! On dit et on écrit « Plus tôt vous diagnostiquez…, plus tôt vous avez des chances… ».

On sait bien d’où vient cette formulation aberrante ; c’est la contamination de l’anglais ; rappelez-vous : « The more I see you, the more I want you », Chris Montez, 1966.

(en entier, ça donnait ceci :

The more I see you, the more I want you
Somehow this feeling just grows and grows
With every sigh I become more mad about you
More lost without you and so it goes
 

Can you imagine how much I love you?
The more I see you as years go by
I know the only one for me can only be you
My arms won't free you, and my heart won't try
 

Can you imagine how much I love you?
The more I see you as years go by
I know the only one for me can only be you
My arms won't free you, and my heart won't try

Paroles : Mack Gordon / Musique : Harry Warren (1945).

Ce n’est pas demain la veille que vous lirez autant d’anglais à la suite dans ce blogue…

16/10/2017

Irritations linguistiques LV : flagrant délit

Le jargon juridico-administratif s’est enrichi d’une nouvelle expression, dont les journalistes, bien sûr, font leur miel : la flagrance. « Le parquet a ouvert une enquête en flagrance du chef de tentative de destruction par incendie » (Journal 20 minutes du 5 octobre 2017). Je suppose que ce substantif se réfère à l’expression « flagrant délit »… Et il me semble refléter notre époque de bien-pensance exacerbée, celle qui parle de « techniciens de surface » et de « quartiers difficiles », sous couvert, il est vrai, de précision et d’exhaustivité (tous les malvoyants ne sont pas aveugles, tous les malentendants ne sont pas sourds, Dieu soit loué). Mais ce raccourci et cette substantivation veulent sans doute éliminer l’affreux mot « délit » qui figure dans l’expression originelle et qui signifiait que, dès le constat, on considérait que l’acte était délictueux. Or, halte à la précipitation ! Il faut voir ! D’abord a-t-on bien vu ? Le mal absolu serait la stigmatisation ! Donc c’est flagrant, à n’en pas douter mais flagrant de quoi ? D’où le substantif.

Passons sur l’accumulation de compléments du mot « flagrance » : du chef de tentative de destruction, accumulation bannie par le premier cours d’expression écrite venu.

Fashion week 1.jpg

À part cela, la franglisation de notre langue (moi aussi je suis capable d’inventer des substantifs…) continue son petit bonhomme de chemin (faudra-t-il écrire un jour : sžonž.a petitž.e bonžne-hommež.femme de chemin, pour contenter les féministes ultras ?).

Jugez vous-même… 

Dans un article comparant M. Macron à M. Sarkozy dans leur façon d’exercer la présidence, le journal Marianne du 22 septembre 2017 écrit : « Autre pratique prisée du copy-cat Macron, la méthode dite du carpet bombing, c’est-à-dire l’annonce en rafale de réformes censées laisser groggy des opposants qui ne savent plus où donner de la tête ». Mais à quoi sert donc cet avalanche de termes américains, tous plus incompréhensibles les uns que les autres ? 

Il paraît que le même M. Macron ne voit plus la société française qu’à travers la dialectique des insiders et des outsiders… Pauvre France ! 

Claude Askolovitch, dans sa revue de presse du 28 septembre 2017 sur France Inter, parlait de deal et de cover (pour désigner la première page d’un magazine…). Et les médias nous ont bassinés un temps avec la fashion week, pour désigner une semaine de la mode, dont Paris est pourtant censée être la capitale mondiale !

Fashion week 2.jpg

PS. Le site ooreka définit la flagrance comme suit :

Est flagrant ce qui est constaté sur le coup, sur le fait. En procédure pénale, le terme flagrance renvoie à la notion de flagrant délit. L'article 53 du Code de procédure pénale définit deux types d'infraction flagrante :

  • Est qualifié flagrant le crime ou délit qui se commet actuellement, ou qui vient de se commettre.
  • Il y a aussi crime ou délit flagrant lorsque, dans un temps très voisin de l'action, la personne est poursuivie par la clameur publique, ou est trouvée en possession d'objets, ou présente des traces ou indices laissant penser qu'elle a participé au crime ou au délit.