28/01/2019
Les mots français à la mode V
Voici une expression fort en vogue qui m’irrite profondément : « mais pas que ».
Comment analyser et comprendre sa fortune ?
D’abord on pense que c’est l’omniprésent souci de concision et de rapidité, jumelé avec la propension du français à « couper » les mots et les expressions après leur début ou leurs premières syllabes (par exemple : « prof » au lieu de « professeur », « en transports » au lieu de « en transports en commun », etc.). Mais, outre que le tic a saisi à la fois des gens objectivement pressés et des gens qui ont le temps, le gain en rapidité par rapport aux formules correctes (« pas uniquement » ou « pas seulement ») est très faible, voire nul.
Dans un second temps j’ai pensé à l’attraction (involontaire) de la formule inventée par Raymond Devos dans un célèbre sketch (désolé pour le franglicisme…) : « encore que… ». Mais pour l’incomparable humoriste, il s’agissait de conclure une remarque en la modulant par un doute (et un sourire malicieux). Pour nos charcuteurs modernes de la langue, la contraction sert au contraire à introduire, le plus rapidement possible pensent-ils, une énumération ou une argumentation complémentaires.
J’ai pensé aussi, par analogie, à un tic du Parti communiste (MM. Marchais, Krasucki et autres), assez largement adopté depuis lors par des hommes politiques, qui consistait à utiliser l’expression « y compris », non pas, après une affirmation, pour la compléter en la détaillant ou pour insister sur le fait qu’elle incluait bien, qu’elle « embarquait » bien telle ou telle catégorie (par exemple : « tous les salariés, y compris ceux qui ne bénéficient que d’un contrat à durée déterminée »), mais directement et sans complément dans la phrase principale (par exemple : « cette mesure doit concerner y compris les salariés », ce qui n’a aucun sens).
Bref, c’est du langage politico-journalistique, qui comme tous ses avatars vise à se montrer moderne et efficace. Normal quand on a la chance de contribuer à l’essor de la start-up nation.
Cela me fait penser, par ricochet, à ma bête noire, dont je ne sais plus si j’en ai déjà parlé dans ce blogue : « juste ». Pour le coup, il s’agit d’un servile emprunt à l’américain (par exemple : le fameux « Just do it » ou le torride « I’m just a gigolo » pour les plus âgés…).
En français, du moins tel qu’on nous l’a appris à l’école primaire et au collège, via d’innombrables lectures et dictées, le mot « juste » (indépendamment de son appartenance au champ du mot « justice ») signifie « voisin », « proche », « à peu de choses près » : « je suis arrivé juste à temps pour monter dans le train qui allait partir », « je suis arrivé un peu juste », « le pot de confiture est rangé juste au-dessus des cornichons », etc.
Or il est quasi exclusivement utilisé aujourd’hui, surtout par les personnes de moins de quarante ans, à la place de « uniquement », « seulement ». Par exemple, « C’est juste injuste » a le sens de « C’est tout simplement injuste » mais n’a aucune justification syntaxique ! Encore une fois, on se demande « pourquoi un tel succès ? »… J’y vois deux raisons : l’américanisme et la concision (une seule syllabe prononcée au lieu de deux ou trois).
Tout ça pour ça ?
21/01/2019
Nouvelles du front (linguistique) VIII
Dans sa rubrique Mag / décodage, madame FIGARO, encore elle, peut-être en février 2017, nous informe d’un fait capital : la capuche est à la mode ! Et de présenter nombre de petites vignettes où de charmantes jeunes femmes montrent qu’elles savent la porter (la capuche).
Mais alors quel déluge de franglais prétentieux, snob, ridicule et incompréhensible !
Pour commencer, l’accroche : « Au baromètre du cool, le hoodie remonte en tête. La mode plébiscite ce champion du streetwear revisité version luxe ». Notons la syntaxe : « revisité version luxe »…
La question « doit-on dire oui à cette mode ? » permet à l’auteur, Justine Foscari, de nous apprendre que hoodie est un sweat-shirt à capuche (notons que depuis des décennies, les Français prononcent « swit » ou « sweet » mais jamais « sweat »). Expliquer en français un mot anglais par un autre mot anglais, semble bien le comble du snobisme (ou de l’abrutissement).
La réponse, on l’a immédiatement : « car, devenu l’accessoire ultime de mode, il est partout ». Et de décliner : « en version robe XXL (unité de mesure anglo-saxonne s’il en est) ou en top cropped, il rhabille de cool canaille les it girls ». Vous suivez ?
C’est un classique du streetwear (déjà dit) (…) pour échapper aux flashs des paparazzis. Sa réputation va d’un classicisme preppy à je ne sais quoi. Il a accédé au trône fashion. Les designers venus de la rue (en gilets jaunes ?). Inspirés de la culture rave, rap ou métal… L’art de twitter en permanence les codes… Bien plus qu’un gimmick… Je n’en peux plus, j’étouffe, c’est donc le genre d’articles que dévorent les lectrices de madame FIGARO ?
On apprend que ce vêtement a été créé dans les années 1930 (qui obsèdent M. Macron) aux États-Unis (ouf, on respire, c’est bien américain), pour tenir chaud aux sportifs après l’entraînement (comme on s’en doute ; pendant longtemps, on a appelé ça un survêtement). Dans son rappel historique, madame FIGARO se fait peur en notant qu’il a pris une connotation politique sur les épaules des Anonymous ou des Black Blocs. Mais les créateurs en ont fait un objet d’art, un objet désirable (sic !). « Chanel et Lanvin ont commencé à proposer leurs propres sneakers ». « L’ancienne pièce plutôt masculine s’est féminisée, chicisée, glamourisée ». Fascination pour les marques no gender, plus trendy.
Tout l’article est à l’avenant, insupportable.
Tout ça pour espérer vendre encore ? Pour quelques dollars de plus ?
07:00 Publié dans Actualité et langue française, Franglais et incorrections diverses, Société | Lien permanent | Commentaires (0)
14/01/2019
Nouvelles du front (linguistique) VII
Dans madame FIGARO de je ne sais quelle date, Valérie de Saint-Pierre (quel beau patronyme… on pense à Michel et aux « Nouveaux Aristocrates », Calman-Lévy, 1960) a écrit un article intitulé « L’art moderne de la conversation ».
Ne rêvons pas, « dès l’aérogare, j’ai senti le choc (…) c’est de l’amerloque » : SMS,TWEETS et E-MAILS fleurissent dès l’accroche ! Ça commence mal. D’autant que l’illustration choisie représente deux jeunes femmes minces et court-vêtues en train de papoter sous les casques à mise en plis, façon années 50. C’est ça le renouveau de l’art de la conversation ?
Mais il paraît que « converser n’a jamais été aussi tendance », alors même que « les nouvelles technologies ont tué la communication in real life ». Et « les emojis remplacent peu à peu le langage articulé ». Il faudrait savoir…
La journaliste signale néanmoins un nouveau mobilier urbain (canapés, tables de rue collectives et tabourets mobiles), bien sûr à New-York et à Londres, qui incitent à tailler une bavette. Ainsi qu’un festival. Guillaume Villemot, fondateur de ces événements, publie « Osez les conversations ». fanny Auger, dont on nous dit qu’elle est pétillante – où donc est la vidéo ? – propose un cours « Comment avoir de meilleures conversations » depuis 2014 mais son organisme s’appelle School of Life Paris ! Elle publie également un livre « Trêve de bavardages – Retrouvons le goût de la conversation ».
Tout cela est épatant car délicieusement rétro ; « Le nouveau savoir-causer » de Paul Reboux, FLAMMARION, date de 1949 et « La République des lettres » de l’excellent Marc Fumaroli, Gallimard, de 2015 (J’ai déjà parlé de ces livres dans mon blogue). On pense aussi au film « Ridicule » et à ces salons du XVIIIèmesiècle mondial, donc français, dans lesquels on « tuait » quelqu’un avec un bon mot.
L’article de Mme de Saint-Pierre comporte un encart intitulé « Mieux se parler » qui accumule les tics et les franglicismes de notre époque : « sortir de sa zone de confort », « regarder l’une des conférences TEDX », « recourir aux boosters de conversation ».
07:00 Publié dans Actualité et langue française, Franglais et incorrections diverses, Société | Lien permanent | Commentaires (0)