14/01/2019
Nouvelles du front (linguistique) VII
Dans madame FIGARO de je ne sais quelle date, Valérie de Saint-Pierre (quel beau patronyme… on pense à Michel et aux « Nouveaux Aristocrates », Calman-Lévy, 1960) a écrit un article intitulé « L’art moderne de la conversation ».
Ne rêvons pas, « dès l’aérogare, j’ai senti le choc (…) c’est de l’amerloque » : SMS,TWEETS et E-MAILS fleurissent dès l’accroche ! Ça commence mal. D’autant que l’illustration choisie représente deux jeunes femmes minces et court-vêtues en train de papoter sous les casques à mise en plis, façon années 50. C’est ça le renouveau de l’art de la conversation ?
Mais il paraît que « converser n’a jamais été aussi tendance », alors même que « les nouvelles technologies ont tué la communication in real life ». Et « les emojis remplacent peu à peu le langage articulé ». Il faudrait savoir…
La journaliste signale néanmoins un nouveau mobilier urbain (canapés, tables de rue collectives et tabourets mobiles), bien sûr à New-York et à Londres, qui incitent à tailler une bavette. Ainsi qu’un festival. Guillaume Villemot, fondateur de ces événements, publie « Osez les conversations ». fanny Auger, dont on nous dit qu’elle est pétillante – où donc est la vidéo ? – propose un cours « Comment avoir de meilleures conversations » depuis 2014 mais son organisme s’appelle School of Life Paris ! Elle publie également un livre « Trêve de bavardages – Retrouvons le goût de la conversation ».
Tout cela est épatant car délicieusement rétro ; « Le nouveau savoir-causer » de Paul Reboux, FLAMMARION, date de 1949 et « La République des lettres » de l’excellent Marc Fumaroli, Gallimard, de 2015 (J’ai déjà parlé de ces livres dans mon blogue). On pense aussi au film « Ridicule » et à ces salons du XVIIIèmesiècle mondial, donc français, dans lesquels on « tuait » quelqu’un avec un bon mot.
L’article de Mme de Saint-Pierre comporte un encart intitulé « Mieux se parler » qui accumule les tics et les franglicismes de notre époque : « sortir de sa zone de confort », « regarder l’une des conférences TEDX », « recourir aux boosters de conversation ».
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10/01/2019
"Les cendres brûlantes" (Michelle Maurois) : critique VII
Racontons l’histoire de M.
Une histoire de passion, tout aussi illégitime. Elle concerne, non plus Anatole France et Léontine Arman (voir mes billets précédents), mais Gaston Arman et Jeanne Pouquet, fils et bru de Léontine. Points communs entre les deux histoires, elles se passent la même année et c’est encore une actrice qui en est le motif et le centre.
« C’est en décembre 1909 que Jeanne est alertée par une lettre anonyme sur l’existence d’une liaison entre Gaston et une très jolie et jeune actrice peu connue, Monna Delza » (page 358).
Monna Delza – appelons-la M. – a dix-huit ans de moins que Gaston. Elle est célèbre pour son élégance raffinée.
« La liaison dure. Gaston, de plus en plus attaché à la comédienne, prend l’habitude de voyager avec elle, d’aller la chercher tous les soirs pour souper, de ne rien lui refuser (et elle est exigeante), il n’est pas heureux pour autant car il sait qu’il n’est pas aimé (…). Et Verneuil s’étonnait de voir que, si Caillavet, auteur chevronné et illustre, témoignait de son empressement auprès d’elle, l’actrice, qui entrait dans la carrière, prenait un ton condescendant avec lui (…) (M.) admit qu’elle l’aimait de tout son cœur et l’admirait mais… il y avait entre eux une trop grande différence d’âge (…) M. expliqua que son amant et elle n’avaient pas vécu les mêmes choses au même moment, que Caillavet évoquait devant elle, avec passion, l’affaire Dreyfus et qu’elle avait sept ans quand l’Affaire avait commencé (…) De plus, Gaston n’avait que six ans de moins que son père. Il n’aime plus danser alors qu’elle n’aime que cela, elle adore rentrer tard le soir et il y consent mais il est épuisé le lendemain et elle a des remords : « Je suis une actrice qui arrive. Il est un auteur arrivé », dit-elle en guise de conclusion ».
« Elle n’est pas satisfaite mais Gaston l’est encore moins car il est traité avec pitié et agacement par un être qui ne possède aucune de ses qualités ».
« Il lui disait (à Mme Clara Tambour, propriétaire d’une maison à Croissy) combien il souffrait parce que M. lui demandait de l’argent et ne l’aimait pas. Elle était toute jeune. Il était conscient d’être vieux pour elle, qui préférait les gigolos mais qui raffolait des jolies robes » (page 360).
Et Michelle Maurois de conclure : « Il était dit que Mmes de Caillavet, Léontine, Jeanne et, plus tard, Simone, rencontreraient toutes trois, dans leur vie, des actrices qui contrarieraient leur destin. Toutes trois cependant, par des méthodes différentes, triomphèrent de leurs rivales. La première seule en mourut de chagrin » (page 385).
À vrai dire, l’histoire de Gaston avec M. n’est pas tout à fait terminée. « Il (Gaston) parlait avec son ami Henraux lorsque Mlle Delza a surgi d’une porte, impérieuse et d’ailleurs assez fanée, ce qui est un commentaire inattendu : elle a vingt-sept ans (…). Delza est venue vers Gaston et lui a tendu la main : Comment allez-vous ? Bonsoir, mademoiselle… et ils se sont quittés après ces deux répliques » (page 388).
Après de multiples scènes et de graves ennuis de santé pour Gaston aussi bien que pour Jeanne, « Le nom de Monna Delza ne fut plus jamais prononcé chez les Caillavet . L’actrice devait faire une jolie carrière. Elle épousa le comte Patrimonio et mourut jeune » (page 399).
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07/01/2019
Les mots français à la mode IV
Jacques Julliard écrit dans le Marianne du 18 mai 2018 « (…) Les syndicats et autres forces vives, comme on disait jadis, se révèlent aujourd’hui incapables de jouer le rôle vacariantqui a été plusieurs fois le leur ». How strange ! Quel est donc ce mot, qui n’est pas la mode mais au contraire « extraordinaire » et qui me fait penser aux vicaires de nos paroisses d’antan ? Voyons ce qu’en dit le Trésor :
MÉD., vieilli. [En parlant d'une activité, d'une fonction] Qui supplée à l'insuffisance fonctionnelle d'un organe (exemple : organe vicariant ; fonction vicariante).
« Le rhumatisme et la neurasthénie sont deux formes vicariantes du neuro-arthritisme. On peut passer de l'une à l'autre par métastase » (PROUST, Sodome, 1922, p. 891)
Étymologie et histoire
1878 Physiologie : fonctions vicariantes (Larousse 19e Suppl.);
1922 « (d'un élément, d'un phénomène) qui se substitue à un autre » (PROUST, Sodome, p. 625 : des habitudes qui reprendront un jour ou l'autre la place du mal vicariant et guéri).
« Vicariant » est le participe présent adjectivé de « vicarier ».
Étrange que Proust soit cité deux fois dans cet article du dictionnaire informatique…
À la mode sûrement, le mot hubris. Le TILF ne connaît pas mais le Larousse sur internet si :
Hubris ou ubris, nom féminin (mot grec)
- Chez les Grecs, tout ce qui, dans la conduite de l'homme, est considéré par les dieux comme démesure, orgueil, et devant appeler leur vengeance.
- Littéraire : outrance dans le comportement inspirée par l’orgueil ; démesure
Et devinez pourquoi les journalistes usent et abusent du mot… c’est à cause de l’arrogance et du complexe de supériorité difficilement acceptable du Président de la République.
J’ai découvert ce terme dans Marianne, par exemple dans l’article « Le barnum mémoriel de Macron » de Soazig Quéméner, le 2 novembre 2018. Elle écrit : « Difficile pourtant d’imaginer Macron passer de l’hubris des dieux dénoncée par Gérard Colomb à l’absence de panache de Carnot ».
Article d’autant plus intéressant qu’il m’a fourni un autre mot à la mode : performatif (qui doit avoir la même origine économico-communicatrice que « autoréalisateur »). Elle cite l’inénarrable Bruno Roger-Petit : « Pour lui (E. Macron), le toucher est fondamental, c’est un deuxième langage. C’est un toucher performatif : le roi te touche, Dieu te guérit ».
Est-ce l’irremplaçable Michel Audiard ou le remplacé Jacques Chirac qui avait dit que « les cons, ça ose tout et que c’est même à cela qu’on les reconnaît » ? Non, c’est Michel Audiard dans « Les tontons flingueurs », sommet indépassé et sans doute indépassable.