14/03/2019
"Romain Gary" (Dominique Bona) : critique I
J’aime bien Romain Gary, du moins ses livres ; « Les racines du ciel » (Prix Goncourt 1956), « La promesse de l’aube » (1960), « La vie devant soi » (Prix Goncourt 1975) sont des chefs d’œuvre ; j’ai beaucoup apprécié « Lady L. » (1963) écrit en hommage à sa première épouse, un peu moins « Au-delà de cette limite, votre ticket n’est plus valable » (1975), consacré au vieillissement et à ses renoncements ; « La nuit sera calme » (1974) est un entretien fictif qui permet de mieux connaître Romain Gary. Jusqu’à présent, j’ai un peu buté sur « Europa » (1972) et il me reste à lire « Éducation européenne » (1945) et « Les cerfs-volants » (1980), quasiment le premier et le dernier livre de l’écrivain.
Reste l’homme. Ce qu’il raconte de lui dans « La promesse de l’aube » est romancé ; on en retient qu’il était originaire de Russie, qu’il a grandi sans père à Nice, que sa mère avait une ambition dévorante pour lui, qu’il a été aviateur et résistant pendant la 2èmeguerre mondiale. Je savais aussi qu’il a été un gaulliste inconditionnel, qu’il a fait carrière dans la diplomatie – son poste le plus connu étant consul de France à Los Angeles – qu’il a épousé en secondes noces l’actrice Jean Seberg – d’une beauté stupéfiante – et qu’enfin, elle et lui ont mit fin à leurs jours, à quelques années d’intervalle.
Voilà donc pourquoi je me suis plongé avec intérêt dans la biographie pour laquelle Dominique Bona – maintenant Académicienne – a obtenu en 1987 le Grand Prix de la biographie de l’Académie française. J’ai déjà parlé dans ce blogue de Dominique Bona, célèbre pour ses ouvrages consacrés à André Maurois, Camille Claudel, Berthe Morisot et Paul Valéry, dans lesquels elle choisit systématiquement le point de vue psychologique – quel est donc ce personnage, que cherche-t-il, pourquoi agit-il ainsi ? – et sentimental – les passions du personnage, les soubresauts de sa vie amoureuse –.
Dans son « Romain Gary », Dominique Bona ne suit qu’approximativement la trame chronologique et ne commente les œuvres que pour les replacer dans l’évolution de son héros. En fait elle avance par thème : la Russie, le résistant, le coup de foudre (Jean Seberg), le cinéma, la diplomatie, le gaulliste, les femmes, la supercherie (Émile Ajar) et le coup de chapeau final.
Le présent billet n’a pas pour objet de commenter l’œuvre passionnante de Romain Gary mais la biographie que lui a consacrée Dominique Bona. Et l’appréciation que je porte sur cette biographie est très mitigée car le style en est quelconque et parfois relâché. Ainsi, page 24 de l’édition Folio : « Désinvolte, elle a repoussé les derniers séducteurs et s’est dédiée tout à Romain ».
Par ailleurs, elle représente sans doute un travail important de recherches, d’entretiens avec des témoins et de recoupements, sept ans seulement après la disparition de l’écrivain. C’est apparemment la première biographie publiée mais ce n’est pas un texte qui épuise le sujet (est-ce possible ?), puisqu’aujourd’hui on apprend encore des détails sur les femmes de Romain Gary et sur la farce littéraire en lisant Wikipedia…
07:00 Publié dans Bona Dominique, Écrivains, Essais, Littérature, Livre | Lien permanent | Commentaires (0)
13/03/2019
Grand débat : pourtant, en Angleterre, au XVIème siècle, déjà...
Dans son livre passionnant « Où en sommes-nous ? » (Points Seuil, 2017), Emmanuel Todd rappelle qu’en Angleterre, dès le XVIème siècle, une pension était attribuée aux personnes âgées dans le besoin, par les collectivités locales ; ce système compensait l’individualisme attaché à la structure familiale de l’Angleterre que les anthropologues appellent « nucléaire absolue ».
« La collectivité anglaise a maîtrisé le problème par une précoce fiscalité sociale. Les lois sur les pauvres de 1598 et 1601 (NDLR : Henri IV étant roi de ce côté-ci de la Manche…) ont exigé des paroisses la levée d’un impôt, géré localement par un Overseer of the poor, pris en pratique dans la partie supérieure ou moyenne de la paysannerie locale » (page 270).
« (…) Thomson a montré la continuité de l’histoire de cette sécurité sociale anglaise ou, mieux encore, son caractère cyclique, avec des hauts et des bas non seulement des prestations mais des débats sur ce que devraient être leur niveau et le degré de responsabilité des familles et des individus. Il évalue à 70-90 % du salaire moyen des jeunes adultes ouvriers, le pouvoir d’achat des pensions attribuées aux vieux ruraux » (page 271).
« L’important est de réaliser que l’image d’une culture anglaise ultralibérale par nature est une fiction. L’Angleterre fut, certes, le lieu de naissance du capitalisme individualiste. Il existe bien un lien entre la famille nucléaire absolue et la plasticité de la société anglaise, entre l’absence de valeur d’égalité et la faiblesse des réactions populaires aux violences de la révolution industrielle. Mais nous découvrons toujours, et même après 1834, (…) que cette famille nucléaire n’aurait pu exister sans l’apport d’une prise en charge collective des individus décrochés du noyau falilial élémentaire, les vieux principalement mais aussi les orphelins et, dans la phase de transition de la campagne vers la ville, les ouvriers en perdition » (page 278).
« L’Angleterre (…) a devancé la France dans la course à la modernité politique, inventant la représentation politique et la nation bien avant 1789. Nous devons désormais mettre en question un autre lieu commun de nos manuels scolaires, qui nous assurent que Bismarck et l’Allemagne ont inventé la sécurité sociale. Non, une fois de plus, c’est en Angleterre que nous pouvons observer le premier État social européen, associé à une culture familiale individualiste plutôt que communautaire ou souche » (page 279).
À l’heure où beaucoup de retraités ou de personnes isolées manifestent en France leurs difficultés en Gilets jaunes, n’est-ce pas instructif ?
10:28 Publié dans Actualité et langue française, Économie et société, Histoire et langue française, Société, Todd Emmanuel | Lien permanent | Commentaires (0)
12/03/2019
Grand débat : mais où sont donc les économistes hétérodoxes ?
Les Gilets jaunes au fond, ayant constaté comme tout le monde les dégâts engendrés par les choix néolibéraux faits au début de années 80, et surtout l’injustice dont ils se considèrent les victimes, contestent le modèle de la société en place…
En changer est sans nul doute souhaitable mais c’est très loin d’être simple. D’abord parce que la France s’est liée les mains avec des traités internationaux et surtout européens (M. Philippe Séguin nous avait bien prévenus… Nous sommes passés outre), qui ne seront pas faciles à dénouer. Et ensuite parce qu’il faut construire un autre système à la place de l’actuel qui a mis trente ans à mûrir (M. Nicolas Hulot, ancien ministre français de l’écologie, nous a déjà dit que développement durable et néolibéralisme étaient incompatibles).
Un de mes patrons avait dit il y a longtemps que les structures ne se réforment pas elles-mêmes. En tous cas, on ne peut guère compter sur les tenants acharnés d’un système pour en mettre un autre en place ! Et il nous faudrait des experts pour que le nouveau système tienne debout, ni ultralibéral ni collectiviste. Ces experts, ce devrait être les économistes hétérodoxes… mais où sont-ils ? Pourquoi ne les entend-on jamais depuis le début de la crise française (novembre 2018) ?
Bien sûr on sait qu’ils sont peu nombreux, qu’ils sont marginalisés, que les places dans l’establishment universitaire leur échappent et que Bernard Maris a payé de sa vie son amour de l’impertinence et de l’anticonformisme…
Mais tout de même, que fait en ce moment Jacques Généreux, qui avait publié en son temps « Nous, on peut » (Seuil, 2011) et « La déconnomie » (Seuil, 2016) ? Où est Jacques Raveaud, moins radical, auteur de « Économie : on n’a pas tout essayé » (Seuil, septembre 2018 !) ? Que font dans leur coin les Économistes atterrés (« Macron, un mauvais tournant », Les liens qui libèrent, 2018) ? Et Michel Guénaire « Il faut terminer la révolution libérale », Flammarion, 2009), Éloi Laurent (« Nos mythologies économiques », Les liens qui libèrent, 2016). Et Jacques Sapir ? et Paul Jorion ("Le capitalisme à l'agonie", Fayard, 2011) ? Et Jean-Luc Gréau ("La trahison des économistes", Gallimard, 2008) ? Naomi Klein (« Dire non ne suffit plus », Actes Sud, 2017), elle au moins, est au Canada.
Un canal existe : "Alternatives économiques" mais son lectorat est restreint...
Ah si, on entend Barbara Lefebvre et Natacha Polony (« Changer la vie, pour une reconquête démocratique », L’observatoire, octobre 2017 ; Marianne et Polony TV) mais elles ne sont pas économistes !
Oui, où sont donc les économistes hétérodoxes ?
07:00 Publié dans Actualité et langue française, Économie et société | Lien permanent | Commentaires (0)