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01/04/2019

"Romain Gary" (Dominique Bona) : critique IV

Nous en arrivons maintenant à la farce littéraire, à la supercherie (c'est le jour !), pas très loyale, qui va permettre à Romain Gary d’obtenir son second prix Goncourt (ce qui est impossible par les voies normales) et de ridiculiser incidemment les spécialistes du style que sont censés être les jurés.

Pour moi la seule circonstance atténuante, c’est l’obsession congénitale de Romain Gary de changer de peau régulièrement, de tenter l’aventure, de rendre sa vie plus ludique, de s’imposer de nouveaux défis.

« De mars à décembre 1973, la même année que Europa et Les Enchanteurs, Gary écrit Gros Câlin, un roman burlesque et sombre, sorte de fable sur la solitude, à l’humour triste de Gogol » (page 352). Il le publiera sous le nom de Émile Ajar.

Dominique Bona distingue deux « manières » dans l’œuvre littéraire de Romain Gary : les « grands Gary » comme « Les racines du ciel » et « Les enchanteurs », sa voie royale, son côté Malraux ; et des romans humoristiques, bouffons, comme Tulipe, Gengis Cohn et donc les romans publiés sous le nom d’Ajar, qui expriment « sa passion pour le dérisoire et la satire, pour les Marx Brothers et Charlie Chaplin ».

Elle note les innovations dans le style, « quelque part entre Vian et Queneau : jeux de mots, entorses à la syntaxe, à la grammaire et au vocabulaire, mutilations et gags du langage » (page 353).

Page 359, pour la sortie de Gros Câlin, en 1974, on trouve Matthieu Galey, « anti-Garyste définitif, qui depuis La promesse de l’aube condamne à peu près régulièrement les ouvrages de Romain Gary mais fond cette fois devant le langage neuf et impertinent, farfelu jusqu’à la poésie » ; mais rien à voir avec Mathieu Gallet, qui sera démis de ses fonctions à la tête de Radio-France, quarante ans plus tard ; il s’en faut de beaucoup plus que de deux « t » dans leurs prénom et patronyme !

Mais au total, l’entreprise Ajar, dont Gary tire les ficelles, se révèle un dédoublement dangereux de la personnalité, Romain Gary essayant de persuader son public que ce n’est pas lui mais son neveu qui écrit ces romans… Elle culmine dans Pseudo « texte sauvage, sans histoires vraiment… », « texte fou et violent, assez poétique parfois, qui a pu apparaître comme l’œuvre impulsive d’un déséquilibré ». Gary n’est pas fou mais joue avec la folie. Il va réduire les mille pages de ses trois premières versions aux 213 pages de la version définitive (page 395).

Le 8 septembre 1979, la femme-enfant Jean Seberg est retrouvée morte dans une voiture stationnée dans le XVIème arrondissement de Paris. Elle avait quarante et un ans. Les experts concluront au suicjde.

Début 1980 paraît la dernière œuvre « Les cerfs-volants ». Gary vit avec une femme de quarante ans depuis un an, Leïla Chellabi.

Le 2 décembre 1980, jour de pluie sur Paris, Romain Gary se tire une balle de revolver dans la bouche. On le trouvera « les traits calmes et détendus, les yeux bleus grands ouverts, avec une expression de paix ».

Il y aura un hommage des Compagnons de la Libération, ses frères d’arme, aux Invalides.

Et, en juillet 1981, le secret de l’identité d’Ajar est enfin révélé. Romain Gary est déjà loin…

28/03/2019

"Féminisation des titres et des métiers : l'Académie française cède au conformisme" (Bérénice Levet)

Je vais essayer de vous faire partager la qualité et l’argumentation de l’article que Mme Bérénice Levet a publié dans le Figaro du jeudi 7 mars 2019.

Elle s’indigne et se désole, comme beaucoup d’entre nous, de ce que l’Académie française s’est ralliée, après que des esprits aussi puissants que Claude Lévi-Strauss et Georges Dumézil y avaient résisté dans les années 80, à la demande de l’une des revendications identitaires les plus pressantes, la féminisation de la langue française, en l’occurrence celle des titres et des noms de métier (en attendant sans doute malheureusement de futures modifications, inclusives ou autres).

Ce qui frappe dès l’abord dans l’article de Mme Levet, c’est la qualité de sa langue. C’est le minimum, direz-vous ! Peut-être, mais quel plaisir de lire des phrases bien balancées, des mots bien choisis, des développements bien construits !

Voyons maintenant son argumentation.

Elle considère que l’Académie a cédé au conformisme et que ce ralliement tardif – ce renoncement à résister aux pressions et à la mode – est une défaite de l’esprit critique et du génie de notre langue.

Il est vrai que l’on voit fleurir depuis quelque temps dans les médias bienpensants des « cheffes de service », des « auteures » et des « écrivaines » à longueur de colonnes. Ces médias ont évidemment salué le renoncement de l’Académie, qui enlève un soutien de poids à ceux qui résistaient.

Il y a le cas d’espèce (féminiser les titres et noms de métiers) qui, au total, ne changera pas radicalement notre façon de vie et qui même, éventuellement, pourrait bien « ne pas prendre » (cf. la simplification de l’orthographe, qui était plus utile et qui a été largement ignorée)… Et il y a, beaucoup plus grave, l’arrière-plan de cette réformette. Mme Leret le souligne bien : « Notre pays est la proie de revendications identitaires toujours plus véhémentes, qui travaillent à le décomposer en une myriade de communautés et d’individus ».

Pourquoi l’exigence d’une langue féminisée en est-elle l’un des avatars ? Parce que, le français n’ayant pas de « neutre », c’est le genre masculin (et non pas le sexe !) qui en tient lieu. Comme l’écrit Mme Levet, quand une femme lit « Tous les hommes sont mortels », elle comprend bien qu’elle est concernée ! En 1984, les Immortels voyaient un funeste contresens dans le fait de confondre « genre grammatical » et « sexe biologique ». C’est ce qui a fini par faire triompher l’exigence de mettre le plus possible de féminins à côté (on a envie d’écrire : en face…) des masculins (écrivain / écrivaine, etc.). Il est vrai qu’aujourd’hui certains revendiquent de choisir leur sexe et aussi leur genre… Transformer les mots est alors peu de chose en comparaison de ces transformations d’un autre ordre. Mais encore une fois, le débat n’est pas là puisque l’utilisation du masculin pour dire le neutre est purement conventionnelle.

Il y a de nombreuses années, travaillant avec Mme Odile M., j’avais eu la surprise (éphémère) de l’entendre refuser qu’on l’appelle « Directrice de laboratoire » ; elle tenait au titre de « Directeur ». Une précurseuse !

Donc l’Académie recule. Elle recule devant la pression d’un féminisme jusqu’au-boutiste, importé des États-Unis (comme d’habitude) et, ce faisant, elle perd son rôle de « garant », de « rempart », de « juge de paix ». Si, comme elle ose l’écrire aujourd’hui, son statut est d’être un « simple greffier de l’usage », à quoi sert-elle donc ?

Regardons-y de plus près : elle élit des « personnalités de la langue » qui sont loin d’être tous des écrivains de premier plan ; elle élabore un Dictionnaire-Arlésienne sans avoir aucun linguiste dans ses rangs (sauf erreur de ma part). Si maintenant elle se contente de légitimer, avec trois ou quatre ans de retard, tout ce que la société produit en permanence en termes d’innovations langagières, à quoi sert-elle donc ?

En France, l’universalisme veut que l’on ne soit pas assigné à son sexe (ni à son origine ni à sa religion, etc.). Cette mesure de féminisation va à rebours, c’est bien dommage.

Que dire d’autre ? Que Mme Levet est docteur en philosophie et enseignante, qu’elle a publié « Libérons-nous du féminisme » (Éditions de l’Observatoire, 2018) et « La théorie du genre » (Livre de poche, 2016) et… qu’il faut lire son article dans FigaroVox !

25/03/2019

"Romain Gary" (Dominique Bona) : critique III

Au chapitre « Coup de foudre », page 228, la description de la rencontre entre Jean Seberg et Romain Gary est un régal. Le portrait de la Belle d’abord : « Elle est blonde, pâle et claire, près de ce Consul de France qui ressemble à un Mexicain. Ses cheveux ont la teinte d’or des Vénitiennes, ce blond roux que Gary donne à toutes ses héroïnes. Elle a les yeux gris-vert, comme dans son souvenir Nina, et un nom prédestiné, puisqu’elle s’appelle Seberg (See-Berg = Mer-Mont, comme le foyer où habitait Romain Gary à Nice) ». 

Jean Seberg.jpg

Et plus loin : « La voici donc, propre et lisse, cette Jean de vingt et un ans, avec son air enfantin, ses yeux clairs et son grain de beauté sur la pommette gauche. Avec son sourire éblouissant qui cache des chagrins, des cicatrices, tout un passé déjà. Et un grand front rêveur, où loge un courage de vraie luthérienne » (page 240).

« La Californie prête aux amants son décor, ses jardins, ses plages, ses autoroutes fleuries bordées de luxueux hôtels, car ils se voient en secret dès les lendemains de leur première rencontre. Ils passent un week-end à Hawaï, un autre à Mexico, mais ne cachent pas longtemps leur amour » (page 242). 

Romain Gary et Jean Seberg.jpg

La passion se terminera mal, pour tous les deux, malheureusement. 

Et l’épouse de Romain, pendant ce temps ? Elle accepte. « Lesley est une de ces femmes enchanteresses, plus une dame du XVIIIème siècle que vraiment moderne ; à la fois indépendante et soumise, farouche et aimante, capable de se donner et de s’enfuir le lendemain, une princesse dans un salon où les invités – à moins d’être allergiques – succombent à son mélange particulier de bonne éducation et d’excentricité, une femme mûre enfin dont les relations sont pour Romain autant de cartes de visite » (page 243).

Romain Gary écrit en six semaines, Lady L., directement en anglais, c’est son cadeau d’adieu à Lesley. Polyglotte émérite, il écrit lui-même la version française, qu’il publie en 1963, après de nombreuses traductions faites de par le monde. Mais il lui faut neuf mois « pour mieux rendre en français le côté terroriste de l’humour anglais, cette arme blanche qui rate rarement son but » (page 263). C’est bien plus une récriture qu’une traduction.

Jean Seberg, écorchée vive, sert la cause des Noirs, de l’antiracisme et tient maison ouverte en Californie. Gary aussi à sa façon : dans « Gengis Cohn », il manie l’humour juif, dans « Chien blanc », il vitupère contre la micro-société de Hollywood qui gravite autour de Jean (page 311).

Jean Seberg y laissera la vie…