25/03/2019
"Romain Gary" (Dominique Bona) : critique III
Au chapitre « Coup de foudre », page 228, la description de la rencontre entre Jean Seberg et Romain Gary est un régal. Le portrait de la Belle d’abord : « Elle est blonde, pâle et claire, près de ce Consul de France qui ressemble à un Mexicain. Ses cheveux ont la teinte d’or des Vénitiennes, ce blond roux que Gary donne à toutes ses héroïnes. Elle a les yeux gris-vert, comme dans son souvenir Nina, et un nom prédestiné, puisqu’elle s’appelle Seberg (See-Berg = Mer-Mont, comme le foyer où habitait Romain Gary à Nice) ».
Et plus loin : « La voici donc, propre et lisse, cette Jean de vingt et un ans, avec son air enfantin, ses yeux clairs et son grain de beauté sur la pommette gauche. Avec son sourire éblouissant qui cache des chagrins, des cicatrices, tout un passé déjà. Et un grand front rêveur, où loge un courage de vraie luthérienne » (page 240).
« La Californie prête aux amants son décor, ses jardins, ses plages, ses autoroutes fleuries bordées de luxueux hôtels, car ils se voient en secret dès les lendemains de leur première rencontre. Ils passent un week-end à Hawaï, un autre à Mexico, mais ne cachent pas longtemps leur amour » (page 242).
La passion se terminera mal, pour tous les deux, malheureusement.
Et l’épouse de Romain, pendant ce temps ? Elle accepte. « Lesley est une de ces femmes enchanteresses, plus une dame du XVIIIème siècle que vraiment moderne ; à la fois indépendante et soumise, farouche et aimante, capable de se donner et de s’enfuir le lendemain, une princesse dans un salon où les invités – à moins d’être allergiques – succombent à son mélange particulier de bonne éducation et d’excentricité, une femme mûre enfin dont les relations sont pour Romain autant de cartes de visite » (page 243).
Romain Gary écrit en six semaines, Lady L., directement en anglais, c’est son cadeau d’adieu à Lesley. Polyglotte émérite, il écrit lui-même la version française, qu’il publie en 1963, après de nombreuses traductions faites de par le monde. Mais il lui faut neuf mois « pour mieux rendre en français le côté terroriste de l’humour anglais, cette arme blanche qui rate rarement son but » (page 263). C’est bien plus une récriture qu’une traduction.
Jean Seberg, écorchée vive, sert la cause des Noirs, de l’antiracisme et tient maison ouverte en Californie. Gary aussi à sa façon : dans « Gengis Cohn », il manie l’humour juif, dans « Chien blanc », il vitupère contre la micro-société de Hollywood qui gravite autour de Jean (page 311).
Jean Seberg y laissera la vie…
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23/03/2019
L'anglais va dégoûter les peuples de l'Union européenne
Ah le brave homme ! ah l’homme raisonnable et utile ! Ah qu’il nous fait du bien !
Je ne parle pas de « qui vous savez » ni d’un Académicien (j’y reviendrai) ni du Ministre de la culture (qui c’est ?) ni de la personne chargée de la francophonie en France (qui c’est ?) !
Non, je veux parler de M. Yves Montenay, géographe et Président de l’Institut Culture, économie et géopolitique (ICEG) qui, dans les Échos du 12 mars 2019, a publié un texte intitulé « L’anglais risque de dégoûter les Européens de l’Europe » (titre que j’ai adapté à ma mode ci-dessus, comme vous l’avez vu ; d’ailleurs le journaliste qui a sans doute ajouté les titres intercalaires a lui aussi parlé du « rejet de Bruxelles »).
M. Montenay répondait à M. Hubert Balaguy, fondateur de The Paneuropean, qui proposait de « tourner la page du francophonisme » et d’adopter l’anglais comme langue commune européenne, malgré le Brexit (sic !), « pour donner une impulsion formidable au projet européen » (re-sic !). D’une certaine façon, il répond aussi à M. Gaspard Koenig dont j’ai raconté les délires linguistiques dans mon billet du 18 mars 2019.
Ce serait une sorte d’achèvement de la mondialisation à l’européenne : ouverture inconsidérée à tous les vents, création d’une monnaie unique qui par construction n’était pas viable (voir la théorie économique sur les zones qui peuvent avoir une monnaie unique) et enfin adoption d’une langue unique, étrangère qui plus est.
Envisageons la situation si cette décision était prise : tout Européen de l’Union ne pourrait s’adresser aux Services de Bruxelles (et de Strasbourg par voie de construction) qu’en anglais (comprenons bien : dans son propre anglais) et ne recevrait de sa part que des textes en anglais (à charge pour lui de les traduire comme il peut). Alors qu’à l’heure actuelle, même si c’est théorique, il y a trois langues de travail : français, allemand et anglais, et que les textes sont traduits dans les différentes langues nationales par les spécialistes.
Voici les premiers arguments de M. Montenay ; ils concernent les aspects pratiques de compréhension entre la base et les « élites » :
- La population européenne « d’en bas » ne parle pas l’anglais, ou très mal. Donc on tiendrait encore plus à l’écart les couches populaires (à un moment fort mal choisi !) du fonctionnement de l’Union.
- Des dossiers destinés à l’Union européenne, préparés en langue nationale et traduits en anglais, sont plus souvent rejetés que ceux concoctés dans les cercles privilégiés. On favoriserait donc encore plus ces derniers.
- « La langue de l’Europe, c’est la traduction » avait dit Umberto Eco. Traduire est un métier, difficile… Il faut que les textes soient traduits par des spécialistes, et non par chacun dans son coin avec ses moyens linguistiques limités.
- « L’anglais bruxellois » (au sens de l’anglais pratiqué par les technocrates de l’UE travaillant à Bruxelles) est déjà cause d’un rejet… Ne l’amplifions pas !
Voici comment pourraient être schématisées les deux situations avant et après :
Avant (aujourd’hui) :
Citoyen ou groupe d’un pays de l’Union --> texte dans sa langue --> traduit à Bruxelles par des traducteurs professionnels
Réponse ou directive en anglais bruxellois --> traduit dans les différentes langues européennes par des traducteurs professionnels --> Citoyen ou groupe d’un pays de l’Union
Après l’adoption éventuelle de l’anglais comme langue « unique » :
Citoyen ou groupe d’un pays de l’Union --> texte en anglais --> plus ou moins bien compris à Bruxelles par les technocrates
Réponse ou directive en anglais bruxellois (probablement compris uniquement par ses auteurs…) --> Citoyen ou groupe d’un pays de l’Union qui le traduira comme il peut dans sa langue nationale
Mais il y a aussi le « sentiment national » :
Les problèmes sont posés de façon nationale (en l’occurrence, pour la Grande-Bretagne : l’immigration des Polonais, la préférence pour le grand large…) et, de plus en plus souvent, locale (Londres et l’Écosse avaient eux voté contre le Brexit).
Pourtant l’Union européenne parle anglais, ses lobbyistes aussi. Si la langue était vraiment déterminante pour se sentir européen, les Anglais n’y seraient pas entrés à reculons et n’en seraient pas sortis par un referendum.
Enfin, M. Montenay récuse l’argumentation en faveur d’une dissolution de la francophonie et de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF). Pourquoi la France abandonnerait-elle l’un de ses derniers avantages concurrentiels ? Pourquoi abandonnerait-elle les nombreux pays africains amis ? L’OIF n’est pas en premier lieu « économique » ; elle est avant tout culturelle, géopolitique, fraternelle.
Comme un bonheur n’arrive jamais seul, j’ai déniché au même moment un article de Mme Élisabeth M. Wansbrough-Abdi, enseignante anglo-saxonne, dans Les Échos du 21 janvier 2019, « Avec le Brexit, faire gagner du terrain à la langue française ». Son rappel historique est intéressant :
- « Le premier traité international rédigé exclusivement en français est le traité de Rastatt (1714), qui marque la fin de la Guerre de la Succession d’Espagne » (citation de M. Raoul Delcorde, ambassadeur de Belgique au Canada, coordonnateur du Groupe des ambassadeurs francophones à Ottawa, en 2016).
- La perte de son influence date de la montée en puissance des États-Unis et notamment lors des accords de Paris en 1919, avec la présence d’un président américain, Woodrow Wilson qui ne parlait pas du tout français
- À partir des années 1960, il a cédé face à l’expansion de l’anglais.
Elle attribue ce dernier phénomène à l’urbanisation et à la communication : « La langue ne devait pas rester uniquement un vecteur des échanges diplomatiques, un vocabulaire des élites, mais aussi, et surtout après la Seconde Guerre mondiale, gagner, par des modes d’expression comme le cinéma et les musiques populaires, la faveur de populations de plus en plus urbanisées à travers le monde ». Effectivement, de ce côté-là, c’est raté… la génération de 68 a choisi les chansons de Bob Dylan et des Beatles, et s’est passionnée pour les films de Gary Cooper, Marilyn Monroe, Marlon Brando et Jane Fonda (celle d'aujourd’hui ne jure plus que par les séries américaines).
Elle rappelle aussi que l’un des précurseurs d’internet est le Français Louis Pouzin, polytechnicien, grand défenseur des langues natives et inquiet de la position dominante de l’anglais sur l’économie du réseau des réseaux. C’est lui, je crois, qui a milité (sans succès jusqu’ici) pour que le codage informatique permette de manipuler les caractères diacritiques des langues autres que l’anglais (tous les caractères de toutes les langues du monde ont été codées depuis longtemps ; il faut simplement abandonner le codage ASCII sur 8 bits…). Rêvons de l’époque où nous pourrons créer des adresses internet comme : réussir_sa_vie@à_coup_sûr.com !
Pour elle comme pour nous : « avoir ou conserver l’anglais comme langue dominante dans l’Union européenne sans les Britanniques est un paradoxe ».
Tout est dit !
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21/03/2019
"Romain Gary" (Dominique Bona) : critique II
Dans la biographie de Dominique Bona, il y a quelques passages confus, comme celui qui concerne les résultats scolaires de Romain : on ne comprend pas très bien si, finalement, il a été brillant ou non (page 24 et suivantes) : « … il figure dès l’année suivante au tableau d’honneur » et plus loin « un seul accessit en six années d’étude, et en allemand, où il est infiniment meilleur » (meilleur qu’en quelle matière ?). Autre phrase sibylline page 43 : « même s’il continue de donner à Wilno son nom polonais (Vilna étant celui que les Lithuaniens se reconnaissent) »…
Le personnage de Gary, tel que décrit par Dominique Bona, est à l’image de la couverture de l’édition Folio 3530 de 2011 : assez peu sympathique (bougon, renfrogné, hautain, sûr de lui…).
On retient le séducteur invétéré, le macho viril, l’obsédé par la création de son œuvre littéraire mais aussi le touche-à-tout (même si ses incursions dans le cinéma n’ont guère été concluantes), le polyglotte (russe, polonais, anglais, français, et quel français !), le communicant génial qui est la coqueluche des médias américains dans les années 60 et 70 lorsqu’il est consul général de France à Los Angeles, l’homme courageux, l’amateur de défis, et surtout cette obsession de renouvellement qui produira une œuvre très variée et qui trouvera son apogée dans les quatre romans publiés sous le nom d’Ajar, et écrits « d’une autre manière ».
En 1935, Romain Kacew (c’est son nom russe) réussit à publier dans l’hebdomadaire Gringoire sa première nouvelle « L’orage » (page 57). Dans le même numéro, il y a un texte de Francis de Croisset, longtemps collaborateur de Robert de Flers. Dans Gringoire, qui sera l’organe de la droite française musclée, notre vieille connaissance Paul Reboux publie un portrait d’Abel Bonnard (voir mes billets sur le triptyque de Michèle Maurois). Mais le fondateur Joseph Kessel, Stefan Zweig, Francis Carco, André Maurois… en sont aussi des collaborateurs fidèles. Que du beau monde !
On apprend plus loin (page 154) que Romain et Lesley « habitent une chambre qu’ils louent au marquis de Saint Pierre, père de Michel, l’écrivain débutant qui vient de publier, en 1945 lui aussi, Contes pour les sceptiques ». Encore une vieille connaissance…
L’analyse de Dominique Bona sur le roman « Les racines du ciel » est assez curieuse mais positive : « Saoûlé de points de vue, de jeux de lumière, le lecteur finit par se frayer son propre chemin dans la brousse, il peut choisir son camp, le narrateur qu’il préfère (…). À chacun ses éléphants… C’est ce que cet extraordinaire roman, avec sa rengaine, réussit à créer – une atmosphère de liberté, où le lecteur est libre de choisir son credo ». Elle insiste donc sur la composition du roman « en récits juxtaposés, à la fois répétitifs et différents ». Je n’ai pas ce souvenir-là mais il est intéressant d’apprendre que « ces trucages de composition » ont été reprochés à Romain Gary, qui aurait mal assimilé l’exemple des Américains Faulkner ou Dos Passos… (page 198). Dans ces conditions, on pourrait y ajouter l’Anglais Lawrence Durrell (sauf que son « Quatuor d’Alexandrie » date de 1963).
Kléber Haedens se plaint d’avoir eu à surmonter « la fatigue que donne la répétition implacable des mêmes idées et des mêmes thèmes » et « condamne surtout le style et s’indigne qu’on puisse imprimer un livre chargé d’un aussi grand nombre de fautes ». Il semble qu’en effet le livre ait été publié très vite, sans relecture attentive et qu’il souffre d’un nombre considérable d’erreurs de syntaxe et de conjugaison. Dominique Bona excuse son tempérament fougueux mais note « de nombreuses répétitions, quelques phrases en rocailles (?), des inversions obligatoires négligées, des liaisons intempestives et son style rebelle aux subjonctifs, en particulier aux imparfaits du troisième groupe » (page 200). Et elle ajoute « en dépit de ses prix de français au lycée de Nice »… Ah bon ? Première nouvelle (cf. ma remarque au début du présent billet).
07:00 Publié dans Bona Dominique, Écrivains, Essais, Littérature, Livre | Lien permanent | Commentaires (0)