06/12/2018
Nouvelles du front (linguistique) V
À propos de Benoît Duteurtre (voir mon billet du 29 décembre 2018), voici qu’il a écrit un article – que je considère comme à la fois indispensable et vain – sur le plurilinguisme nécessaire de l’Europe (Marianne, 12 octobre 2018). Il s’intitule « Non, l’Europe ne doit pas parler anglais » ; c’était juste avant le 17èmesommet international de la francophonie en Arménie (qui en a entendu parler ? qui s’y est intéressé au moment où disparaissait Charles Aznavour ?).
Cela commence par une charge – ô combien méritée – sur la défense du français « à géométrie variable » de M. Macron, ci-devant Président de la République française et « ovni politique, se voulant jeune (NDLR. Il l’est…), pragmatique, réformateur et pressé de faire entrer (NDLR. J’aurais écrit : monter…) la France dans le train de la globalisation heureuse ». Et de citer son discours en anglais à Berlin devant des étudiants allemands (NDLR. Ne parle-t-on pas sans cesse de la proximité entre nos deux pays, armée commune, ministères communs ?) et de ses apartés avec Donald (plus compréhensible mais « créant une forme de vassalité pour celui qui emploie la langue de l’autre »). À côté de cela « de vibrants discours sur la place du français dans le monde, notamment en Afrique ».
La francophonie, à laquelle je me suis intéressé de près (voir mes billets de l’année 2015), joue elle-même un drôle de jeu, comme celui de « porter à sa tête une ministre rwandaise qui a œuvré pour le remplacement du français par l’anglais dans son pays ».
Puis Benoît Duteurtre en vient à son sujet, à savoir l’Europe et la France, « où le français ne cesse de reculer avec la complaisance d’élites qui jugent plus moderne de s’exprimer in english ». C’est depuis toujours mon point de vue, bien loin de la sérénité « supérieure » de l’Académie, de la sérénité scientifique d’un Claude Hagège ou de la sérénité commerciale et fougueuse de Lorànt Deutsch (voir mon billet du 3 décembre 2018).
Après la décision du Brexit et à l’approche des élections européennes, il serait normal de reconsidérer l’omniprésence de l’anglais à Bruxelles (il paraît que l’inénarrable Jean-Claude Juncker a décidé de ne plus s’exprimer qu’en français et en allemand. Heureux Luxembourgeois qui est trilingue). Si on la confirme, cette omniprésence,« nous nous trouverions dans ce cas unique et singulier d’une vaste union économique et politique, comparable aux États-Unis d’Amérique ou à la Chine, mais régie par une langue étrangère à sa population ».
Le célèbre Umberto Eco avait dit que la langue de l’Europe, c’est la traduction. Et le Marché commun de 1957 avait choisi trois langues de travail, le français et l’allemand avant l’anglais. Au lieu de cela on a « le pitoyable concours Eurovision, véritable festival de l’américanisation par le bas ».
Je vous laisse découvrir la suite de l’article, que j’ai qualifié de « vain » en commençant (car il ne s’adresse qu’aux lecteurs de Marianne qui sont sans doute dans leur grande majorité, convaincus d’avance, et non pas aux élites visées par le cri d’alarme) mais qui est fort bien construit et argumenté.
Merci, Monsieur Duteurtre.
03/12/2018
Nouvelles du front (linguistique) IV
Dans le Journal des activités sociales de l’énergie de janvier-février 2017, je découvre, dans la rubrique Tendance (!), une page entière intitulée « COSPLAY CULTURE », avec la photo d’une jolie jeune femme en costume quasiment folklorique.
Bien sûr c’est la syntaxe anglo-saxonne du titre, et non pas la photo, qui attire mon œil et m’incite à parcourir le texte.
Je comprends, à ma courte honte, que le cosplay (contraction de costume playing) consiste à donner vie à des personnages fantastiques (Dark Vador, Pikachu, Lara Croft, Indiana Jones – on notera l’origine exclusivement étatsunienne de ces « héros » –), vêtu d’un costume entièrement fait à la main.
Cela ne me console pas de lire au début de l’article (qui n’y reviendra plus qu’à sa toute fin) que le Journal officiel aurait traduit l’anglicisme par « costumade ». Car la suite fourmille de cosplayeurs, comics, steampunk, la Japan Tours, un genre de convention, la culture geek, do it yourself.
Il paraît que jouer à cela permet de retomber en enfance (on n’en doute pas), de se sentir en sécurité, de pleinement s’épanouir (on en doute), de s’évader.
On apprend que le jeu serait né aux États-Unis en 1939 (les Ricains n’avaient apparemment rien d’autre à faire cette année-là), « lorsque Forrest J. Ackermann, dit Mr. Science Fiction, apparaît déguisé en homme du futur au WorldCon, première convention de science-fiction » et qu’il aurait été popularisé dans les années 70. Aujourd’hui, il a ses stars et ses concours internationaux (le journal cite Japan Tours à Paris, Mangame Show à Montpellier et Paris Manga Sci-Fi Show).
Le bouquet nous est fourni à la fin de l’article, thèse d’un sociologue à l’appui : ce loisir est participatif, subversif (car on porte des masques) et « plonge ses racines dans la culture populaire européenne (sic !) du costumage : ne danse-t-on pas les rondes de gicques au carnaval de Dunkerque ? ».
article du Monde (17 novembre 2007) cité par le site "libertesinternets"
Bon, moi j’appellerais ça « se déguiser ».
07:00 Publié dans Arts, Franglais et incorrections diverses, Loisirs | Lien permanent | Commentaires (0)
29/11/2018
Nouvelles du front (linguistique) III
En furetant dans une librairie, j’ai aperçu sur un étal le nouvel opus (!) de Lorant Deutsch ; après les leçons d’histoire autour des stations de métropolitain (« Métronome »), il nous raconte celle de la langue française (« Romanesque, la folle histoire de la langue française »)…
Première réaction : de quoi se mêle-t-il ? à quel titre ? avec quelle légitimité ? Après tout, il n’est (n’était) qu’un acteur, ni historien ni linguiste ; et ce qu’il écrit a dû être écrit et publié déjà des dizaines de fois (tiens, j’ai en tête, par exemple, le livre de P.-M. Coûteaux : « Être et parler français », PERRIN, 2006).
Pour en savoir plus, j’ai regardé l’émission « C dans l’air » d’octobre 2018 dont Lorànt Deutsch était l’invité : avec sa fougue, son aplomb et son débit de mitraillette, il raconte que son prénom, d’origine hongroise, n’a rien à voir avec Laurent mais signifie « qui aime les chevaux », que, d’après les linguistes (?) « une langue, c’est un dialecte avec une armée » (jamais entendu dire cela mais c’est plausible), que « c’est en apprenant le français qu’on devient français » (sic ! On se dit : quid des Québécois, des Belges, des Suisses, des Sénégalais, des Marocains ? Mais il n’a pas dit qu’apprendre le français nous transforme en Français… Je le comprends plutôt comme : « il faut apprendre le français pour devenir Français, et ça suffit »), que le français ne craint rien de l’anglais (« parce que les Anglais ont parlé français pendant cinq cents ans »), qu’il ne sert à rien d’apprendre l’arabe parce que le français en est rempli, que le rap et les sms enrichissent la langue, etc.
Au total, et en vrac, du vrai, de l’approximatif et des affirmations hasardeuses ! Notons les nombreuses polémiques – surtout issues du rang des historiens de profession – qui ont émaillé la sortie de ses succès de librairie, dénonçant une présentation linéaire, biaisée, voire caricaturale, de l’histoire de France. Les déclarations de l’auteur dans les médias sur ses convictions politiques et religieuses n’ont rien arrangé. Même l’authenticité de son prénom à la mode hongroise a été contestée (voir Wikipedia)…
Mais après tout, si cela fait parler de la langue française, peut-être est-ce un bien pour un mal… Car il y a sûrement peu de gens qui lisent Claude Hagège et Henriette Walter, regardent « La grande librairie » à la télévision et se passionnent pour la francophonie !
Et cette conclusion m’a fait penser à l’éditorial de Benoît Duteurtre (écrivain et critique musical) dans le Marianne du 9 novembre 2018. Qu’il me pardonne de résumer ainsi sa position sur le comportement des « nouveaux publics » lors des concerts classiques : autant il faut leur apprendre, par d’aimables recommandations, qu’on n’applaudit pas entre les mouvements d’une symphonie ou d’un concerto, autant il faut tolérer qu’il se produise « grincements de chaise et toux du public ». Car c’est « la magie du concert ».