Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

03/12/2018

Nouvelles du front (linguistique) IV

Dans le Journal des activités sociales de l’énergie de janvier-février 2017, je découvre, dans la rubrique Tendance (!), une page entière intitulée « COSPLAY CULTURE », avec la photo d’une jolie jeune femme en costume quasiment folklorique.

Bien sûr c’est la syntaxe anglo-saxonne du titre, et non pas la photo, qui attire mon œil et m’incite à parcourir le texte.

Je comprends, à ma courte honte, que le cosplay (contraction de costume playing) consiste à donner vie à des personnages fantastiques (Dark Vador, Pikachu, Lara Croft, Indiana Jones – on notera l’origine exclusivement étatsunienne de ces « héros » –), vêtu d’un costume entièrement fait à la main.

Cela ne me console pas de lire au début de l’article (qui n’y reviendra plus qu’à sa toute fin) que le Journal officiel aurait traduit l’anglicisme par « costumade ». Car la suite fourmille de cosplayeurs, comics, steampunk, la Japan Tours, un genre de convention, la culture geek, do it yourself.

Il paraît que jouer à cela permet de retomber en enfance (on n’en doute pas), de se sentir en sécurité, de pleinement s’épanouir (on en doute), de s’évader.

On apprend que le jeu serait né aux États-Unis en 1939 (les Ricains n’avaient apparemment rien d’autre à faire cette année-là), « lorsque Forrest J. Ackermann, dit Mr. Science Fiction, apparaît déguisé en homme du futur au WorldCon, première convention de science-fiction » et qu’il aurait été popularisé dans les années 70. Aujourd’hui, il a ses stars et ses concours internationaux (le journal cite Japan Tours à Paris, Mangame Show à Montpellier et Paris Manga Sci-Fi Show).

Le bouquet nous est fourni à la fin de l’article, thèse d’un sociologue à l’appui : ce loisir est participatif, subversif (car on porte des masques) et « plonge ses racines dans la culture populaire européenne (sic !) du costumage : ne danse-t-on pas les rondes de gicques au carnaval de Dunkerque ? ».

article du Monde (17 novembre 2007) cité par le site "libertesinternets"

Bon, moi j’appellerais ça « se déguiser ».

29/11/2018

Nouvelles du front (linguistique) III

En furetant dans une librairie, j’ai aperçu sur un étal le nouvel opus (!) de Lorant Deutsch ; après les leçons d’histoire autour des stations de métropolitain (« Métronome »), il nous raconte celle de la langue française (« Romanesque, la folle histoire de la langue française »)…

Première réaction : de quoi se mêle-t-il ? à quel titre ? avec quelle légitimité ? Après tout, il n’est (n’était) qu’un acteur, ni historien ni linguiste ; et ce qu’il écrit a dû être écrit et publié déjà des dizaines de fois (tiens, j’ai en tête, par exemple, le livre de P.-M. Coûteaux : « Être et parler français », PERRIN, 2006).

Pour en savoir plus, j’ai regardé l’émission « C dans l’air » d’octobre 2018 dont Lorànt Deutsch était l’invité : avec sa fougue, son aplomb et son débit de mitraillette, il raconte que son prénom, d’origine hongroise, n’a rien à voir avec Laurent mais signifie « qui aime les chevaux », que, d’après les linguistes (?) « une langue, c’est un dialecte avec une armée » (jamais entendu dire cela mais c’est plausible), que « c’est en apprenant le français qu’on devient français » (sic ! On se dit : quid des Québécois, des Belges, des Suisses, des Sénégalais, des Marocains ? Mais il n’a pas dit qu’apprendre le français nous transforme en Français… Je le comprends plutôt comme : « il faut apprendre le français pour devenir Français, et ça suffit »), que le français ne craint rien de l’anglais (« parce que les Anglais ont parlé français pendant cinq cents ans »), qu’il ne sert à rien d’apprendre l’arabe parce que le français en est rempli, que le rap et les sms enrichissent la langue, etc.

Au total, et en vrac, du vrai, de l’approximatif et des affirmations hasardeuses ! Notons les nombreuses polémiques – surtout issues du rang des historiens de profession – qui ont émaillé la sortie de ses succès de librairie, dénonçant une présentation linéaire, biaisée, voire caricaturale, de l’histoire de France. Les déclarations de l’auteur dans les médias sur ses convictions politiques et religieuses n’ont rien arrangé. Même l’authenticité de son prénom à la mode hongroise a été contestée (voir Wikipedia)…

Mais après tout, si cela fait parler de la langue française, peut-être est-ce un bien pour un mal… Car il y a sûrement peu de gens qui lisent Claude Hagège et Henriette Walter, regardent « La grande librairie » à la télévision et se passionnent pour la francophonie !

Et cette conclusion m’a fait penser à l’éditorial de Benoît Duteurtre (écrivain et critique musical) dans le Marianne du 9 novembre 2018. Qu’il me pardonne de résumer ainsi sa position sur le comportement des « nouveaux publics » lors des concerts classiques : autant il faut leur apprendre, par d’aimables recommandations, qu’on n’applaudit pas entre les mouvements d’une symphonie ou d’un concerto, autant il faut tolérer qu’il se produise « grincements de chaise et toux du public ». Car c’est « la magie du concert ».

27/11/2018

Brèves linguistiques de la Presse III

De Joschka Fischer, ancien vice-chancelier allemand : « L’arrivée d’une nouvelle génération au pouvoir est une chance pour l’Europe. Macron et son équipe sont jeunes et ils parlent anglais, langue de la mondialisation » (entretien dans le Point, cité par Marianne, 29 septembre 2017). Même les Verts (allemands) font du jeunisme et de l’américanisme… Pauvre Europe !

Rien à voir avec l’anglais (encore que…) mais beaucoup à voir avec M. Macron : l’historique des privatisations établi par La Croix et cité par Marianne le 13 avril 2018, déroulé sur trente années d’application scrupuleuse et patiente des injonctions du néo-libéralisme (Milton Friedmann, la stratégie du choc, l’Union européenne, etc.). Que l’on en juge :

 

Secteur

Premier Ministre

Télécommunications (France Télécom…)

Rocard, Juppé, Jospin, Raffarin

La poste

Jospin, Raffarin

Électricité (EDF…)

Juppé, Raffarin

Gaz (Gaz de France…)

Jospin, Raffarin

Chemins de fer (SNCF…)

Cresson, Juppé, Jospin, Raffarin, Fillon, Ayrault, Cazeneuve

Autoroutes

Villepin

Et après ? Aéroports de Paris, Française des jeux…

Philippe

Sans parler des banques, de Renault, etc.

  

Année après année, depuis trente ans, à droite comme à gauche, se poursuit le démantèlement des entreprises publiques du pays, tantôt pour récupérer des fonds, tantôt parce que privées elles devraient être « plus efficaces et plus innovantes », tantôt pour – soi disant – obéir aux injonctions de Bruxelles, tantôt pour diminuer l’influence d’un syndicat jugé trop puissant,  tantôt par simple conviction idéologique (le néo-libéralisme de l’École de Chicago)… Cela permet surtout de ne plus s’embarrasser de l’exigence sociale (la vitrine) et de laisser les capitalistes engranger les revenus (voir l’exploitation des autoroutes) ou, quand ça tourne mal, se débrouiller avec les problèmes.

Ultime astuce : vendre les actions des nouvelles privatisées aux citoyens dépouillés de leurs services publics, au motif de développer l’actionnariat populaire… Aucun, sauf exception, n’y a gagné un centime.