14/02/2019
Les mots français à la mode VII
La première fois que j’ai lu « vegan », je n’ai pas compris… Mais féru de devinettes, rébus et autres énigmes (ne serait-ce qu’à travers les romans de Maurice Leblanc, « Arsène Lupin contre Herlock Sholmes », « in robore fortuna », « La barre y va »…), j’ai vite décodé le truc, construit sur le même mode que smog (smoke + fog), blog (web + log) et surtout brunch (breakfast + lunch). C’est la manie anglo-saxonne de compacter deux mots, contrairement à l’habitude française de couper la fin des mots : « prof » pour professeur, « l’Éduc » pour l’Éducation nationale, « Sciences nat » pour sciences naturelles, « anat » pour anatomie, « bobo » pour bourgeois-bohème. Patrick Bruel qui sait tout sur tout parle même dans une émission de télé (pour télévision !), de « droit constit », pour montrer qu’il connaît. Donc vegan, c’est la contraction de vegetarian, contraction particulièrement ratée parce que les sons eux-mêmes sont altérés : le « dje » de vegetarian devient « gue » dans son abréviation. Bref, cette mode alimentaire, très « tendance » chez les urbains, a répandu son qualificatif, qu’elle est allée chercher, bien sûr, « aux States ».
En parlant de concaténation (comme disent les informaticiens) et de States justement, il me revient à l’esprit qu’un magicien du verbe (français) comme Claude Nougaro, avait intitulé Nougayork son album américain, celui du renouveau après que sa maison de disques l’eut quasiment mis dehors. Et qu’est-ce donc que Nougayork sinon la contraction de Nougaro et New-York ?
Il y a aussi futsal, censé nommer le football en salle. Curieux…
C’est l’occasion ici de parler du mot blog, dont certains s’étonnent que j’utilise la forme francisée « blogue ». Voyons ce qu’en dit Wikipedia :
« Blog est issu de l'aphérèse d'un mot composé, né de la contraction de Web log ; en anglais, log peut signifier registre ou journal. Ce terme est employé pour la première fois par Jorn Barger, en 1997. La francophonie tente de trouver des équivalences ou des alternatives à cet anglicisme, bien que le franglais soit fréquent sur la Toile, notamment parmi ses techniciens, qui rendent souvent compte de la nouveauté par le biais d'anglicismes et de néologismes (NDLR : c’est le moins que l’on puisse dire).
Un blogueur ou une blogueuse (en anglais : blogger) est l'individu qui a l'habitude de bloguer : il écrit et publie les billets.
L'utilisation de la graphie identique à la forme anglaise blog, est la plus répandue, si bien qu'elle figure dans les éditions 2006 des dictionnaires « Le Petit Larousse » et « Le Robert ».
L'Office québécois de la langue française (OQLF) soutient la forme graphique francisée "blogue" ou le néologisme "cybercarnet". La lexicalisation en blogue permet, selon l'OQLF, d'adapter l'anglicisme aux structures morphologiques et orthographiques du français puisque le suffixe -og n'est pas opérant en français (il faudrait prononcer [blo], un g final n'étant jamais prononcé). Cette lexicalisation permet aussi de créer les dérivations « bloguer, blogueur, bloguesque », etc., d'éviter la confusion « bloggeur » – « blogger », et semble être adoptée progressivement par toutes les communautés. Toutefois, les formes dérivées sont également largement utilisées par ceux qui conservent la graphie « blog ». Le synonyme « cybercarnet » offre les mêmes possibilités de dérivation tels cybercarneteur, cybercarnetage, cybercarnétosphère, etc.
En France, en septembre 2014, la Commission générale de terminologie et de néologie adopte le terme "blogue" comme au Québec. De 2005 à 2014, elle avait choisi le mot bloc-notes, ce qui rendait son utilisation obligatoire pour les administrations et services de l'État français. Ce mot entrait en conflit avec la traduction des mots notepad et notebook déjà utilisés par ailleurs en informatique. De plus, il n'autorisait pas de dérivés évidents comme « blogosphère ».
Par ailleurs, d'autres traductions ont émergé çà et là au sein de communautés de blogueurs, sans connaître pour l'instant un grand succès :
- Journal Web, webjournal ou joueb, qui ne distinguent pas le journaliste du blogueur, à tort selon la majorité des blogueurs.
- Journal extime n'est pas issu du Web, mais emprunté à l'écrivain Michel Tournier. Il désigne étymologiquement un journal intime public. Ce terme désigne en fait plutôt un usage possible pour un blog (présenter sa propre vie), le blog étant un média possible pour cet usage. Il existe des blogs à usages très différents (par exemple d'analyse de l'actualité).
Quelques juristes blogueurs ont proposé bloig (mélange des mots bloget « loi ») comme traduction de l'anglais blawg (formé sur les mots bloget law, ce dernier signifiant « loi »). La sonorité étant changée par le composé de ce nouveau mot, « blogue juridique » est proposé par l'OQLF ».
Passionnant, n’est-ce pas ?
Je ne sais plus si je vous ai déjà parlé de cette expression horripilante : « c’est raccord ». J’ai compris qu’elle servait à exprimer la correspondance, la concordance, la cohérence, entre deux méthodes, deux prises de position… mais je n’arrive pas à trouver son origine. On pense bien sûr à « raccord de peinture », « raccord de carrelage », « raccord de menuiserie », qui visent à masquer, à faire disparaître une discontinuité et à ne laisser voir au contraire qu’une continuité.
07:00 Publié dans Actualité et langue française, Franglais et incorrections diverses | Lien permanent | Commentaires (0)
11/02/2019
"Déchirez cette lettre" (Michelle Maurois) : critique I
« Déchirez cette lettre » est le troisième (et dernier) tome du récit généalogique que Michelle Maurois, fille de l’écrivain André Maurois, a consacré à la famille de sa belle-mère, à savoir Simone Arman dit de Caillavet, deuxième épouse de son père. C’est encore un gros volume de 477 pages, préface d’Henri Troyat et annexes comprises, dans l’édition Flammarion de 1990. Je l’ai terminé le 31 juillet 2018 sans lever le nez au soleil d’Auvergne, qui était pourtant généreux, et j’ai écrit sans perdre une seconde ma « fiche de lecture » : « Stupéfiant ! Les célébrités, l’homosexualité, la cour de Roumanie, la naturalisation (Simone devient roumaine) et l’incroyable personnage (réel) de Simone, critiquée par sa mère et par sa grand-mère, et elle-même indifférente à sa propre fille ».
Quel enthousiasme ! Et pourtant quand je regarde ce livre qui attend sur mon bureau depuis presque six mois, que j’écrive ma série de billets, combien de marques de page ont-elles été insérées ? Très peu – quatre seulement – soit huit ou dix fois moins que pour « Les cendres brûlantes » ! Est-ce dû à l’époque qui est en filigrane, au style moins inspiré de l’auteur, à l’invraisemblance même de la vie de Simone ? Je ne sais.
En tous cas, dès l’Avertissement, on voit que Michelle Maurois a ciblé son propos : d’une part c’est Simone, le vrai personnage exceptionnel de la lignée, d’autre part elle retrouve chez elle des « atavismes » venant de Léontine Arman, d’Albert Arman, ses grands-parents, de Marie Pouquet et de Jeanne, mais aucun venant de son père Gaston. Le ton du récit va sans doute s’en ressentir, d’autant que l’époque évoquée est plus proche de nous. Simone, bien avant la médiatisation à outrance et les fameux « réseaux sociaux » considérait que « Tout se sait ici-bas… ce que l’on jette à l’eau remonte à la surface… Et c’est précisément parce qu’il est impossible de tenir secret quoi que ce soit que j’ai pris le parti de la franchise » (page 14). D’où une masse considérable de lettres (reçues et annotées) et de copies de lettres (envoyées) dont Michelle Maurois a hérité et qu’elle a pu classer et exploiter.
Simone a vingt et un ans quand son père, Gaston Arman, meurt en janvier 1915 à Essendiéras. La saga recommence… C’est la première partie intitulée « Fiançailles ». Étienne Rey, l’un des fiancés de Simone, lui écrit : « Vous courez à votre perte (…). Vous vous acheminez vers le détraquement (…) C’eût été un grand bonheur pour vous que de pouvoir échapper à l’action de votre mère, si funeste sous des dehors maintenant affectueux (…) Il y a chez vous le plaisir d’être compliquée et maladive, le goût de l’intrigue et des histoires, le désir littéraire des sensations, l’esprit d’artifice, l’esprit vaniteux d’être une femme dangereuse, le culte exacerbé du moi et le manque absolu d’équilibre. Joignez à cela une absence naturelle de bonté, peu de générosité d’âme, une éducation déplorable. Il est difficile qu’avec tant d’éléments mauvais, vous ne soyez pas en effet détraquée et vouée à tous les périls et à toutes les déchéances des femmes détraquées… Mais il y a aussi autre chose en vous, des aspirations plus nobles, l’intelligence de ce qui est beau et à un certain moment le désir de la dignité morale et de la véritable valeur personnelle » (page 48). Ça commence bien !
Début 2016, elle se plaint d’être « dans la dèche » ; il lui faut payer l’abonnement au téléphone, le gaz et l’électricité (à Paris, on a donc déjà tout cela !). Mais elle est amie avec Nadine de Rothschild et fait de longs séjours à l’abbaye des Vaux de Cernay (c’est resté un endroit enchanteur).
En 1917, Simone publie des vers et écrit des chroniques dans plusieurs journaux. « Le 27 mai, Paul Morand note dans son journal : Les auteurs de Parade sont désespérés. Ils retirent leur ballet. Simone de Caillavet, qui, à vingt-deux ans, fait la critique dans Le Gaulois, éreinte le spectacle. Marcel Proust demande à Paul Morand : Comme vous serez gentil de m’envoyer l’article de Mlle de Caillavet sur les Ballets russes. Je ne la connaissais pas comme critique » (page 73).
C’est la guerre, Simone est restée à Paris. « Le spectacle de la lâcheté publique fortifie ma résolution inébranlable de demeurer ici » (page 153). Les Allemands sont à Villers-Cotterêts et l’on craint qu’avec leur grosse artillerie ils ne bombardent Paris. « Die dicke Berta schuss nach Paris » (Wolfgang Borchert, « An diesem Dienstag », 1947).
En août 1539, François Ier a signé à Villers-Cotterêts une ordonnance restée célèbre sous le nom « d’ordonnance de Villers-Cotterêts ». Les articles 110 et 111 ont fait la célébrité de l’Ordonnance de Villers-Cotterêts en imposant la rédaction des actes officiels et notariés en français et non plus en latin, faisant de facto du français la langue officielle de la France (source Wikipedia).
Et, en 1802, naissait dans cette ville, Alexandre Dumas, le romancier le plus populaire du XIXème siècle.
07:00 Publié dans Écrivains, Littérature, Livre, Maurois Michelle, Récit | Lien permanent | Commentaires (0)
07/02/2019
Les mots français à la mode VI
Dans la vaste catégorie des pléonasmes, des mots tarabiscotés et des paraphrases lourdaudes utilisés sans modération par notre personnel politique (les ministres en premier lieu mais aussi les députés En Marche bien en peine de répondre aux interrogations et doléances des fameux Gilets jaunes de l’automne 2018), je note « être en capacité ». Le 19 décembre 2018, sur France Inter, Madame Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, en a usé et abusé.
Venant d’elle et d’ailleurs de tous ses condisciples « surdiplômés » comme on dit, on ne peut incriminer le manque de vocabulaire ni de culture classique. Quoi donc alors ?
Il y a sans doute un effet « tic verbal » dû au trac, qui existe toujours même pour ces technocrates rodés à la prise de parole. Mais pourquoi le cerveau, ponctuellement paralysé par le stress, va-t-il chercher une formule compliquée, au lieu de proposer simplement « être capable » ou bien « savoir », « pouvoir » ? Parler compliqué donne peut-être l’impression que l’on va être perçu comme un « sachant », un « expert » ?
Ces cerveaux-là pourraient proposer à la rigueur « avoir la capacité de », l’expression aurait le mérite d’être correcte, à défaut d’être simple. Mais c’est sans doute l’horrible et omniprésent « être en charge » qui joue ici son rôle d’attracteur et, caché derrière lui, la fascination plus ou moins consciente pour l’américain, gage de modernisme.
Une formule passe-partout et néanmoins un peu longue comme « être en capacité de » a sans doute le mérite de donner à l’orateur quelques fractions de seconde supplémentaires pour trouver des réponses à la question qu’on lui pose. Et il y a encore plus grave qu’une expression compliquée et incorrecte : la répétition à l’envi d’une expression compliquée et incorrecte ; et, encore plus grave, des successions de phrases insipides, non signifiantes, tournant autour du pot, pour ne rien dire de concret.
Or que nous enseigne la communication ? Qu’il y a un émetteur, un canal et un récepteur ; que l’émetteur pour être compris a intérêt à parler le langage des récepteurs visés ; que le discours doit rester le plus simple possible, sans sacrifier naturellement le fond.
On pourrait donc en conclure que Mme Vidal ne parlait pas pour que nous comprenions ce matin-là ou, pire, qu’elle n’avait rien à dire…
Manque de fond ou consignes de noyer le poisson ?
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