24/01/2019
"Les cendres brûlantes" (Michelle Maurois) : critique IX
Gaston Arman, le père de Simone, tombe malade ; sa fin est terrible mais le comportement de Jeanne étrange (beaucoup de comédie, pense Simone).
« Cinq ans presque jour pour jour après sa mère, Gaston s’éteignait à son tour. Il avait connu l’amour, le bonheur et la gloire, prix d’un travail surhumain, et aussi les soucis, les chagrins, une maladie inexorable et, à quarante-cinq ans, une agonie atroce. Il allait survivre grâce à la pérennité de son théâtre mais également parce que Proust avait introduit une petite part de Gaston chez Robert de Saint Loup » (Épilogue, page 466).
Après sa mort, Marcel Proust écrit à Jeanne : « Non, je ne peux pas croire que je ne reverrai jamais Gaston. Pensez que je l’ai connu et adoré bien avant qu’il vous connût ! Que le seul nuage qu’il y ait jamais eu entre nous est venu de ce que nous étions, tous les deux, follement amoureux de vous et que j’avais voulu avoir la consolation de photographies de vous, ce qui l’avait mis dans une colère épouvantable, mais si naturelle, le pauvre petit !... Quelle absurdité que ce soit moi le malade, l’inutile, le bon à rien qui reste, et lui, rempli de forces et déjà célèbre, à la veille d’entrer à l’Académie (qui du reste est bien peu de chose en face de l’immense retentissement de son œuvre), qui s’en aille ! Jamais je ne m’en consolerai… » (Annexe 86, page 543).
Un siècle après, Marcel Proust, que la NRF et l’Académie avaient refusé, est considéré dans le monde entier comme l’un des plus grands écrivains de tous les temps, et bien peu se souviennent de Gaston Arman, dit de Caillavet…
Jeanne est déjà depuis quelque temps dans une relation passionnée avec son cousin Maurice Pouquet… et Simone « va se lancer dans une vie tumultueuse dont la première erreur sera un bref mariage avec un diplomate roumain ».
Voilà « Les cendres brûlantes » terminées ; rarement un livre aura suscité de ma part autant de petites marques qui sont devenues autant de billets de ce blogue, c’est dire s’il m’a passionné. Comme dans les « séries » d’aujourd’hui, on le quitte à regret, habité que l’on est par tous ces personnages attachants dont on a découvert un peu de la vie, il y a un siècle, à « la Belle Époque », juste avant la Première Guerre mondiale.
« L’encre dans le sang » avait pour personnage principal Léontine Arman, née Lippmann et comme filigrane, les interminables et passionnées fiançailles de Gaston et Jeanne ; « Les cendres brûlantes » ont raconté la vie tourmentée de ce couple vite désuni et la fin de la liaison entre Léontine et Anatole France ; restait Simone, à la veille du début de sa vie de femme…
Afin d’éviter le « manque », j’avais pris mes précautions et recherché, dans la bibliographie de Michelle Maurois, ce qui pourrait bien correspondre à une suite.
Et ce fut la découverte de « Déchirez cette lettre » (Flammarion, 1990), dont le héros est justement Simone. J’ai dévoré ce troisième tome durant l’été 2018 et je vous propose, ami lecteur inconnu, de vous en parler dans de prochains billets.
À bientôt les Arman de Caillavet !
07:01 Publié dans Écrivains, Littérature, Livre, Maurois Michelle, Récit | Lien permanent | Commentaires (0)
21/01/2019
Nouvelles du front (linguistique) VIII
Dans sa rubrique Mag / décodage, madame FIGARO, encore elle, peut-être en février 2017, nous informe d’un fait capital : la capuche est à la mode ! Et de présenter nombre de petites vignettes où de charmantes jeunes femmes montrent qu’elles savent la porter (la capuche).
Mais alors quel déluge de franglais prétentieux, snob, ridicule et incompréhensible !
Pour commencer, l’accroche : « Au baromètre du cool, le hoodie remonte en tête. La mode plébiscite ce champion du streetwear revisité version luxe ». Notons la syntaxe : « revisité version luxe »…
La question « doit-on dire oui à cette mode ? » permet à l’auteur, Justine Foscari, de nous apprendre que hoodie est un sweat-shirt à capuche (notons que depuis des décennies, les Français prononcent « swit » ou « sweet » mais jamais « sweat »). Expliquer en français un mot anglais par un autre mot anglais, semble bien le comble du snobisme (ou de l’abrutissement).
La réponse, on l’a immédiatement : « car, devenu l’accessoire ultime de mode, il est partout ». Et de décliner : « en version robe XXL (unité de mesure anglo-saxonne s’il en est) ou en top cropped, il rhabille de cool canaille les it girls ». Vous suivez ?
C’est un classique du streetwear (déjà dit) (…) pour échapper aux flashs des paparazzis. Sa réputation va d’un classicisme preppy à je ne sais quoi. Il a accédé au trône fashion. Les designers venus de la rue (en gilets jaunes ?). Inspirés de la culture rave, rap ou métal… L’art de twitter en permanence les codes… Bien plus qu’un gimmick… Je n’en peux plus, j’étouffe, c’est donc le genre d’articles que dévorent les lectrices de madame FIGARO ?
On apprend que ce vêtement a été créé dans les années 1930 (qui obsèdent M. Macron) aux États-Unis (ouf, on respire, c’est bien américain), pour tenir chaud aux sportifs après l’entraînement (comme on s’en doute ; pendant longtemps, on a appelé ça un survêtement). Dans son rappel historique, madame FIGARO se fait peur en notant qu’il a pris une connotation politique sur les épaules des Anonymous ou des Black Blocs. Mais les créateurs en ont fait un objet d’art, un objet désirable (sic !). « Chanel et Lanvin ont commencé à proposer leurs propres sneakers ». « L’ancienne pièce plutôt masculine s’est féminisée, chicisée, glamourisée ». Fascination pour les marques no gender, plus trendy.
Tout l’article est à l’avenant, insupportable.
Tout ça pour espérer vendre encore ? Pour quelques dollars de plus ?
07:00 Publié dans Actualité et langue française, Franglais et incorrections diverses, Société | Lien permanent | Commentaires (0)
17/01/2019
"Les cendres brûlantes" (Michelle Maurois) : critique VIII
Les parents de Simone – future Madame André Maurois – s’évertuent à lui trouver un mari et elle-même s’inquiète de ne pas encore être mariée. Plusieurs projets capotent. L’un des prétendants s’appelle Bertrand de Salignac de la Mothe-Fénelon, Comte de Fénelon, qui, mobilisé en 1914, lui écrit depuis la 15èmecompagnie d’infanterie basée à Caen ; leur point commun est donc le Périgord puisque la maison de famille des Pouquet est à Essendiéras. Il a vingt ans de plus qu’elle. Et la question à résoudre avant toute chose est celle de l’argent.
Ce qui suit a été écrit par Simone elle-même, des années après, en 1941, à un auteur américain (Annexe 82 du livre).
« La condition posée par les Fénelon était, comme il arrive si souvent en pareil cas, le rachat du château ancestral. Fénelon, manoir féerique, à pic sur la Dordogne, était précisément à vendre. Le Périgord chuchotait que le propriétaire en demanderait 200000 francs-or, peut-être 180000 ». Ah oui, Fénelon, je connais bien, je l’ai admiré à vélo et je l'ai visité, il est l’une des causes de ma passion pour le Périgord depuis mon premier séjour à Vitrac, à l’âge de douze ans.
Jeanne, la mère de Simone, est lucide et cynique : « Ne fais pas l’idiote… Ceci n’est pas un mariage d’amour ; c’est une alliance flatteuse. J’assure ton établissement mais je refuse de prendre à ma charge risques et périls… En d’autres termes, je suis résignée, pour m’assurer un gendre bien né, à l’acquisition d’un château-fort… Mais point de gendre, point de château ». Elle craint que Bertrand ne soit tué à la guerre, après avoir épousé Simone et lui avoir fait un, voire deux enfants, laissant une pension modeste et une veuve dans le besoin.
Bertrand de Fénelon fut tué à côté de Verdun : « J’étais veuve sans avoir été mariée. Je pleurai quelques jours la perte d’un ami mais, différente en cela de sa mère douloureuse, je n’avais jamais cru à son retour. Pour moi, sa mort était un fait certain, depuis 1916. J’allai faire des adieux symboliques au château de Fénelon… La citadelle portait son nom, sans avoir abrité sa jeunesse ; moi, je portais sa bague, sans l’avoir épousé. Tout était irréel et factice. Allais-je rêver ma longue vie dans l’univers des apparences ? (…) Dans tout l’épisode Fénelon, il n’avait pas été question d’amour » (page 540).
Et Michelle Maurois de conclure : « Simone n’avait pas revu Bertrand de Fénelon depuis plus d’un an quand il fut tué à Mametz, le 17 décembre 1914, ce qui plongea Proust dans le désespoir. Simone place donc le récit de ces fiançailles imaginaires bien après la date de la mort de Fénelon.
Je ne raconte pas cette histoire pour confondre Simone ni pour montrer jusqu’à quel point elle pouvait fabuler mais parce que la démarche psychologique me paraît intéressante et qu’à maintes reprises, elle fera ainsi, fi de la vérité à un point extraordinaire, sans jamais qu’elle en soit, pour autant, troublée » (page 541).
07:00 Publié dans Écrivains, Littérature, Livre, Maurois Michelle, Récit | Lien permanent | Commentaires (0)