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17/01/2019

"Les cendres brûlantes" (Michelle Maurois) : critique VIII

Les parents de Simone – future Madame André Maurois – s’évertuent à lui trouver un mari et elle-même s’inquiète de ne pas encore être mariée. Plusieurs projets capotent. L’un des prétendants s’appelle Bertrand de Salignac de la Mothe-Fénelon, Comte de Fénelon, qui, mobilisé en 1914, lui écrit depuis la 15èmecompagnie d’infanterie basée à Caen ; leur point commun est donc le Périgord puisque la maison de famille des Pouquet est à Essendiéras. Il a vingt ans de plus qu’elle. Et la question à résoudre avant toute chose est celle de l’argent.

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Ce qui suit a été écrit par Simone elle-même, des années après, en 1941, à un auteur américain (Annexe 82 du livre).

« La condition posée par les Fénelon était, comme il arrive si souvent en pareil cas, le rachat du château ancestral. Fénelon, manoir féerique, à pic sur la Dordogne, était précisément à vendre. Le Périgord chuchotait que le propriétaire en demanderait 200000 francs-or, peut-être 180000 ». Ah oui, Fénelon, je connais bien, je l’ai admiré à vélo et je l'ai visité, il est l’une des causes de ma passion pour le Périgord depuis mon premier séjour à Vitrac, à l’âge de douze ans. 

Jeanne, la mère de Simone, est lucide et cynique : « Ne fais pas l’idiote… Ceci n’est pas un mariage d’amour ; c’est une alliance flatteuse. J’assure ton établissement mais je refuse de prendre à ma charge risques et périls… En d’autres termes, je suis résignée, pour m’assurer un gendre bien né, à l’acquisition d’un château-fort… Mais point de gendre, point de château ». Elle craint que Bertrand ne soit tué à la guerre, après avoir épousé Simone et lui avoir fait un, voire deux enfants, laissant une pension modeste et une veuve dans le besoin. 

Bertrand de Fénelon fut tué à côté de Verdun : « J’étais veuve sans avoir été mariée. Je pleurai quelques jours la perte d’un ami mais, différente en cela de sa mère douloureuse, je n’avais jamais cru à son retour. Pour moi, sa mort était un fait certain, depuis 1916. J’allai faire des adieux symboliques au château de Fénelon… La citadelle portait son nom, sans avoir abrité sa jeunesse ; moi, je portais sa bague, sans l’avoir épousé. Tout était irréel et factice. Allais-je rêver ma longue vie dans l’univers des apparences ? (…) Dans tout l’épisode Fénelon, il n’avait pas été question d’amour » (page 540).

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Et Michelle Maurois de conclure : « Simone n’avait pas revu Bertrand de Fénelon depuis plus d’un an quand il fut tué à Mametz, le 17 décembre 1914, ce qui plongea Proust dans le désespoir. Simone place donc le récit de ces fiançailles imaginaires bien après la date de la mort de Fénelon.

Je ne raconte pas cette histoire pour confondre Simone ni pour montrer jusqu’à quel point elle pouvait fabuler mais parce que la démarche psychologique me paraît intéressante et qu’à maintes reprises, elle fera ainsi, fi de la vérité à un point extraordinaire, sans jamais qu’elle en soit, pour autant, troublée » (page 541).

14/01/2019

Nouvelles du front (linguistique) VII

Dans madame FIGARO de je ne sais quelle date, Valérie de Saint-Pierre (quel beau patronyme… on pense à Michel et aux « Nouveaux Aristocrates », Calman-Lévy, 1960) a écrit un article intitulé « L’art moderne de la conversation ».

Ne rêvons pas, « dès l’aérogare, j’ai senti le choc (…) c’est de l’amerloque » : SMS,TWEETS et E-MAILS fleurissent dès l’accroche ! Ça commence mal. D’autant que l’illustration choisie représente deux jeunes femmes minces et court-vêtues en train de papoter sous les casques à mise en plis, façon années 50. C’est ça le renouveau de l’art de la conversation ?

Mais il paraît que « converser n’a jamais été aussi tendance », alors même que « les nouvelles technologies ont tué la communication in real life ». Et « les emojis remplacent peu à peu le langage articulé ». Il faudrait savoir…

La journaliste signale néanmoins un nouveau mobilier urbain (canapés, tables de rue collectives et tabourets mobiles), bien sûr à New-York et à Londres, qui incitent à tailler une bavette. Ainsi qu’un festival. Guillaume Villemot, fondateur de ces événements, publie « Osez les conversations ». fanny Auger, dont on nous dit qu’elle est pétillante – où donc est la vidéo ? – propose un cours « Comment avoir de meilleures conversations » depuis 2014 mais son organisme s’appelle School of Life Paris ! Elle publie également un livre « Trêve de bavardages – Retrouvons le goût de la conversation ».

Tout cela est épatant car délicieusement rétro ; « Le nouveau savoir-causer » de Paul Reboux, FLAMMARION, date de 1949 et « La République des lettres » de l’excellent Marc Fumaroli, Gallimard, de 2015 (J’ai déjà parlé de ces livres dans mon blogue). On pense aussi au film « Ridicule » et à ces salons du XVIIIèmesiècle mondial, donc français, dans lesquels on « tuait » quelqu’un avec un bon mot.

L’article de Mme de Saint-Pierre comporte un encart intitulé « Mieux se parler » qui accumule les tics et les franglicismes de notre époque : « sortir de sa zone de confort », « regarder l’une des conférences TEDX », « recourir aux boosters de conversation ».

10/01/2019

"Les cendres brûlantes" (Michelle Maurois) : critique VII

Racontons l’histoire de M.

Une histoire de passion, tout aussi illégitime. Elle concerne, non plus Anatole France et Léontine Arman (voir mes billets précédents), mais Gaston Arman et Jeanne Pouquet, fils et bru de Léontine. Points communs entre les deux histoires, elles se passent la même année et c’est encore une actrice qui en est le motif et le centre.

« C’est en décembre 1909 que Jeanne est alertée par une lettre anonyme sur l’existence d’une liaison entre Gaston et une très jolie et jeune actrice peu connue, Monna Delza » (page 358).

Monna Delza – appelons-la M. – a dix-huit ans de moins que Gaston. Elle est célèbre pour son élégance raffinée.

« La liaison dure. Gaston, de plus en plus attaché à la comédienne, prend l’habitude de voyager avec elle, d’aller la chercher tous les soirs pour souper, de ne rien lui refuser (et elle est exigeante), il n’est pas heureux pour autant car il sait qu’il n’est pas aimé (…). Et Verneuil s’étonnait de voir que, si Caillavet, auteur chevronné et illustre, témoignait de son empressement auprès d’elle, l’actrice, qui entrait dans la carrière, prenait un ton condescendant avec lui (…) (M.) admit qu’elle l’aimait de tout son cœur et l’admirait mais… il y avait entre eux une trop grande différence d’âge (…) M. expliqua que son amant et elle n’avaient pas vécu les mêmes choses au même moment, que Caillavet évoquait devant elle, avec passion, l’affaire Dreyfus et qu’elle avait sept ans quand l’Affaire avait commencé (…) De plus, Gaston n’avait que six ans de moins que son père. Il n’aime plus danser alors qu’elle n’aime que cela, elle adore rentrer tard le soir et il y consent mais il est épuisé le lendemain et elle a des remords : « Je suis une actrice qui arrive. Il est un auteur arrivé », dit-elle en guise de conclusion ».

« Elle n’est pas satisfaite mais Gaston l’est encore moins car il est traité avec pitié et agacement par un être qui ne possède aucune de ses qualités ».

« Il lui disait (à Mme Clara Tambour, propriétaire d’une maison à Croissy) combien il souffrait parce que M. lui demandait de l’argent et ne l’aimait pas. Elle était toute jeune. Il était conscient d’être vieux pour elle, qui préférait les gigolos mais qui raffolait des jolies robes » (page 360).

Et Michelle Maurois de conclure : « Il était dit que Mmes de Caillavet, Léontine, Jeanne et, plus tard, Simone, rencontreraient toutes trois, dans leur vie, des actrices qui contrarieraient leur destin. Toutes trois cependant, par des méthodes différentes, triomphèrent de leurs rivales. La première seule en mourut de chagrin » (page 385).

À vrai dire, l’histoire de Gaston avec M. n’est pas tout à fait terminée. « Il (Gaston) parlait avec son ami Henraux lorsque Mlle Delza a surgi d’une porte, impérieuse et d’ailleurs assez fanée, ce qui est un commentaire inattendu : elle a vingt-sept ans (…). Delza est venue vers Gaston et lui a tendu la main : Comment allez-vous ? Bonsoir, mademoiselle… et ils se sont quittés après ces deux répliques » (page 388).

Après de multiples scènes et de graves ennuis de santé pour Gaston aussi bien que pour Jeanne, « Le nom de Monna Delza ne fut plus jamais prononcé chez les Caillavet . L’actrice devait faire une jolie carrière. Elle épousa le comte Patrimonio et mourut jeune » (page 399).