27/12/2018
"Les cendres brûlantes" (Michelle Maurois) : critique V
C’est à la page 278 que Michelle Maurois raconte l’épisode – la tromperie – qui inspirera le roman « Le lys rouge » d’Anatole France et qui motivera mon intérêt pour cette famille et pour ce milieu passionnant de la fin du XIXème siècle et jusqu’au milieu du siècle suivant.
Anatole France n’est plus guère attiré par Léontine Arman, née Lippmann, qui vieillit mal ; il accepte une invitation à donner une série de conférences en Argentine et prend le bateau le 30 avril 1909 malgré les réticences de sa maîtresse. Après plusieurs mois sans beaucoup de nouvelles de l’infidèle, « le 27 juillet, Léontine confie à l’abbé Mugnier, qu’une femme semble exercer sur France, en Argentine, une emprise » (page 285). « Mais arrivèrent des échos d’Argentine, puis une lettre anonyme donnant des précisions. Le maître avait rencontré une actrice. On avait photographié M. et Mme France. Bientôt tout Paris chuchota la nouvelle ». En effet , sur le bateau se trouvait une actrice, Jeanne Brindeau, qui faisait partie d’une troupe de la Comédie-Française et « pour laquelle, quinze ans auparavant, le docteur Germain Sée s’était ruiné ». « Née en 1861, ayant encore grande allure, blonde, coquette, Mme Brindeau pouvait faire illusion (…) (France) lui trouva le visage fatigué mais des dessous étourdissants et un corps resté très jeune ».
« La liaison de l’actrice et de l’écrivain devient officielle et stupéfie les Argentins ». « Anatole France hésite entre la raison et l’amour. Il a soixante-cinq ans ; il est amoureux comme un jouvenceau » (page 288). Après la série de conférences, il suit Jeanne Brindeau en Uruguay et au Brésil, puis c’est le retour vers l’Europe, depuis Rio, du 11 au 28 août. Arrivé à la Gare Saint Lazare, où Mme Arman l’attendait, « M. France a quitté Brindeau et il est venu courageusement au-devant de Madame » (témoignage d’Eugénie).
« Trente-huit ans plus tard, la petite-fille de Mme Arman, Simone, devait revivre les mêmes tourments que sa grand-mère (mais elle y survécut). André Maurois, de trois ans moins âgé que France en 1909, partit pour une tournée de conférences en Amérique du Sud où sa femme avait refusé de l’accompagner. Il s’éprit, non d’une duègne, mais d’une jeune actrice qui le suivit durant tout son voyage (…). Mon père tira de l’aventure un roman : Les roses de septembre » (page 290).
Cette belle fin de chapitre, factuelle et fataliste, n’est rien à côté du livre magnifique que Dominique Bona écrivit sur la vie sentimentale d’André Maurois et dont j’ai rendu compte dans ce blogue. « Il n’y a qu’un amour » est bien supérieur aux « Roses de septembre » !
07:00 Publié dans Écrivains, Littérature, Livre, Maurois Michelle, Récit | Lien permanent | Commentaires (0)
24/12/2018
La fin du passé simple ?
Il y a un an (19 décembre 2017), Alain Borer tirait la sonnette d’alarme dans Le Point sur la disparition du passé simple (de manuels scolaires, des romans et de nos conversations).
Je crois avoir déjà parlé d’Alain Borer, qui a écrit en 2014 « De quel amour blessée – Réflexions sur la langue française » (Gallimard). La journaliste Émilie Trevert écrit : « Après la perte du subjonctif, qu’il date des années cinquante, le passé simple serait lui aussi en train de disparaître de la langue française. Loin d’être une querelle de linguistes, la mort programmée de ce temps aura, selon le spécialiste d’Arthur Rimbaud, des conséquences dramatiques, dont la difficulté d’accès aux grands textes pour les plus jeunes ».
Alain Borer fait remarquer que, « Comme le russe et l’arabe, la plupart des langues du monde ne distinguent que trois temps : le passé, le présent, le futur (…) Dans les langues romanes, il y a des passés différents, alors que le passé, dans les langues idéogrammatiques (asiatiques), ne se déduit que du contexte ». En français, nous avons le futur antérieur, le plus-que-parfait ; quelle richesse !
Il donne l’exemple de « la Chanson de Roland, écrite en l’an mille et qui rapporte des faits qui ont eu lieu deux siècles auparavant : le passé simple permet de fournir, même dans un récit au présent, un imparfait à l’intérieur du passé ».
Alain Borer appelle vidimus la vérification par l’écrit, qui est selon lui la caractéristique principale de la langue française : tout ce qui est écrit ne se prononce pas ! « Cesser de transmettre le vidimus, rien n’est plus grave ». Les responsables ? L’éducation nationale et ses ministres ignorant de la langue (Jospin, Belkacem), « en n’enseignant plus la langue française à travers sa littérature mais par des articles de presse, de la littérature jeunesse, voire du rap ; et en réduisant le nombre d’heures d’enseignement de français ».
« Las, le passé simple comme l’imparfait du subjonctif paraissent des nuances trop compliquées pour des sociétés saisies de rapidité et dépourvues de précision ».
En commentaire, Adélaïde, une institutrice, revient sur la méthode globale de lecture et parle du mot « oiseau » dans lequel se trouvent les cinq voyelles de l’alphabet (a, e, i, o, u), sans qu’on en entende une seule, ainsi que le « s » qui se prononce « z » ; elle a renoncé à le faire lire aux élèves de CP…
Tout cela est bel et bon, mais : que fait-on ?
07:00 Publié dans Actualité et langue française, Règles du français et de l'écriture | Lien permanent | Commentaires (0)
20/12/2018
"Les cendres brûlantes" (Michelle Maurois) : critique IV
Ce billet pourrait être sous-titré, non pas Édith et Marcel, mais Jeanne et Marcel ou Simone et Marcel, voire Jeanne, Simone et Marcel !
En effet, page 239, Michelle Maurois nous raconte la vaine passion de Marcel Proust pour Jeanne Pouquet, qui s’est transmise à sa fille Simone et transposée dans l’utilisation qu’il fit de ces deux jeunes femmes pour peindre plusieurs de ses personnages.
« Il n’avait encore jamais vu Simone quand il décida qu’elle serait à l’extrême fin de son livre la fille de Gilberte et de Robert de Saint Loup ».
ce qui permit à Simone d’écrire : « J’ai débuté jeune dans le rôle d’héroïne de roman. Mais Mlle de Saint-Loup n’est qu’une petite créature sans histoire que le Bâtisseur d’Arche, une fois l’œuvre achevée, a posée, comme un bibelot, tout au sommet de l’édifice ».
Proust fait la connaissance de Simone, chez ses parents, vers minuit, alors qu’elle n’a que quatorze ans. Elle lui plaît. « Il compara les joues de Simone à des pivoines et loua ses anglicismes tout en l’appelant Mademoiselle Simone » (oh ! ses anglicismes !). Et il fut fasciné par l’écriture de la jeune fille : « C’est encore plus aquarellé ou jardiné qu’écrit » ! Il écrit à sa mère qu’il apprécie son intérieur mais « j’aime mieux encore votre fille et les prodigieux raccourcis d’intelligence d’un regard ou d’une exclamation » (page 240).
Il demande à Simone une photographie d’elle, qu’il obtient sans difficulté et ne peut s’empêcher de repenser à Jeanne : « Quand j’étais amoureux de votre Maman, j’ai fait pour avoir sa photographie des choses prodigieuses. Mais cela n’a servi à rien ». Il est prêt à partir pour Cabourg si Simone y va : « Cette phrase donne à penser, dit Simone, que, si mes parents m’avaient, cet été-là, envoyée à Cabourg, j’aurais été, sinon une Jeune Fille en Fleurs du premier quadrille, vedette majeure, au moins une petite fille-fleur de la classe enfantine, bonne à jouer un rôle parmi les figurantes, à tenir sa partie dans les chœurs ».
Proust dit encore, plusieurs années après : « Si elle avait été grinchue, comme je serais tranquille ». Mais Simone est aimable avec lui ! Notre Trésor de la langue française indique « Grinchu, -ue, adjectif et substantif, synonyme vieilli de grincheux ».
« Je voudrais bien la revoir sourire ».
Moi aussi...
07:00 Publié dans Écrivains, Littérature, Livre, Maurois Michelle, Récit | Lien permanent | Commentaires (0)