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02/11/2014

Chemins de littérature

Pour mes lectures, je me laisse guider par les « associations libres », les rebonds d’un livre à l’autre. Comme le monde de la littérature est petit, même sur la durée, et qu’en plus, comme en musique ou en peinture, chaque artiste a ses « maîtres », dont il se dégage progressivement en affirmant son style, il n’y a rien d’étonnant à ce que d’un auteur à l’autre, d’un livre à l’autre, on puisse cheminer de fil en aiguille et découvrir. Surtout si on laisse un peu de hasard s’insinuer en choisissant des livres dans une brocante, afin de sortir de temps en temps de ses sentiers battus et de ses marottes.

J’ai pris conscience de cette façon de faire, pour la première fois, en lisant « Moi, Antoine de Tounens, roi de Patagonie » (1981) de Jean Raspail. C’est l’histoire étonnante d’un fou du Périgord, roi sans divertissement, qui s’en va conquérir la Patagonie, le bout du bout du Chili. Au détour d’une page, on tombe sur une allusion au Jules Verne des « Enfants du Capitaine Grant », écrit en 1868. Qu’à cela ne tienne, replongeons dans Jules Verne (né à Nantes, mort en Amiens – où son musée est à visiter absolument). Et là, page 97 de la réédition Hetzel de 1988, on parle d’Antoine de Tounens… Ça pourrait s’arrêter là mais non !

Attiré par le titre « La langue maternelle », je lis ce livre autobiographique du grec Vassilis Alexakis publié en 1995. Il entre dans une librairie et qu’est-ce qu’il achète ? Les enfants du capitaine Grant !

À ce stade, comme disent les journalistes, c’est carrément de la synchronicité.

C’est l’occasion pour moi de vous placer mon couplet sur le hasard aléatoire et le hasard déterministe.

 

Le hasard, pour la plupart des physiciens, n’est que l’expression (la modélisation) de notre ignorance, de notre incapacité à prévoir la suite, sans se prononcer sur le côté aléatoire ou non de l’univers (Einstein, lui, proclamait : « Dieu ne joue pas aux dés »).

Là-dessus arrive la synchronicité, concept inventé par le psychanalyste suisse C.-G. Jung et le physicien allemand W. Pauli : c’est un peu le hasard qui nous jouerait des tours, qui manifesterait une intention, nous ferait un clin d’œil ; c’est la rencontre stupéfiante du monde réel avec le monde de la psyché ; l’exemple emblématique en est le scarabée qui se pose sur la fenêtre de son cabinet, au moment où une patiente de Jung lui raconte son rêve d’un scarabée d’or…

On peut appeller ça des « hasards heureux », des « coups de pouce du destin ».

 

Paul Morand est un écrivain pour moi mystérieux car il est souvent cité, sans que l’on connaisse grand-chose ni de son œuvre ni de sa vie, sauf qu’il menait grand train et fréquentait toute l’intelligensia de son époque. Je trouve dans une brocante le livre « Paul Morand, un évadé permanent », publié en 2006 par Gabriel Jardin (fils de Jean Jardin, ambassadeur, frère de Pascal Jardin, homme de théâtre et donc oncle d’Alexandre Jardin, auteur de Fanfan et de l’Île des Gauchers – il y a des lignées habituées des feux de la rampe…). Paul Morand, bien que ménagé par l’affection de son filleul de biographe, y apparaît curieux, antisémite, gâté par la vie, riche et célèbre, bref peu sympathique. Mais ce n’est pas le sujet. En classant une partie des innombrables notes qui alimentent les billets de ce blogue, je retrouve deux articles qui le concernent. L’un annonce en mai 2012 la parution d’Immortel, enfin de Pauline Dreyfus, qui raconte la course à l’épée (d’Académicien français of course !) de Paul Morand, dans les années 70. Et un billet d’Étienne de Montety, Le siècle de Paul Morand, dans lequel on apprend que son précepteur était Jean Giraudoux, que son premier livre a été préfacé par Marcel Proust et qu’il était l’un des quatre M de l’éditeur Grasset, avec Mauriac, Maurois et Montherlant. Dans son appartement, en 1968, passent les jeunes écrivains de l’époque : Michel Déon écrit de lui « Heureusement, il n’est pas de l’Académie », un jeune homme aux yeux bleus vient lui présenter « Les illusions de la mer » - vous avez reconnu notre ami Jean d’O. Hélène Morand, la femme de sa vie, est désormais aveugle ; c’est Nathalie Baye qui vient lui faire la lecture. Patrick Modiano écoute les conversations à table et prépare son deuxième roman « La ronde de nuit ». On a vu qu’il a aujourd’hui obtenu le Nobel de littérature. François-Marie Banier s’attache à distraire Hélène… Le monde est petit !

 

Il y a d’autres manières de lire bien sûr ; on pourrait se dire par exemple : lisons à la suite, des livres de même calibre, de même ambition. Si je prends ainsi comme fil d’Ariane « la fresque grandiose », le roman-fleuve picaresque, et alors vous avez le tryptique : « Cent ans de solitude » de Gabriel Garcia-Marquez, « Les racines du ciel » de Romain Gary et « Le hussard sur le toit » de Jean Giono, trois romans interminables, trois cathédrales, trois chefs d’œuvre.

Il y a la dialectique chère, entre autres, aux tris en informatique de gestion : vaut-il mieux tout lire d’un auteur (en profondeur) ou lire un peu du plus possible d’auteurs (en largeur) ?

Il y a aussi la méthode de Warburg : dans sa bibliothèque, les livres sont classés, non par date ni par auteur, mais par thème, par proximité de sujet, selon une « logique ».

On aura compris que j’utilise, quant à moi, un peu de ces différentes méthodes, avec un faible pour les clins d’œil de la synchronicité et pour la classification folle de Warburg.

01/11/2014

Le bois tombé des forêts

Aujourd’hui, 1er novembre, écoutez « Frelons d’Asie » de Jean-Louis Murat, auteur, compositeur et chanteur auvergnat (album Babel) et relisez les billets du blogue que vous avez ratés.

Rien d’autre aujourd’hui, sinon un morceau de chef d’œuvre de 1830 :

 

Voilà les feuilles sans sève

Qui tombent sur le gazon ;

Voilà le vent qui s’élève

Et gémit dans le vallon ;

Voilà l’errante hirondelle

Qui rase du bout de l’aile

L’eau dormante des marais ;

Voilà l’enfant des chaumières

Qui glane sur les bruyères

Le bois tombé des forêts.

31/10/2014

Her Majesty's a pretty nice girl (II)

J’attaque donc cet article « Word watching : le mot juste », qui parle des mots français en anglais.

Passons sur les mots qui datent de la conquête et qui, avec une graphie plus ou moins transformée, sont complètement intégrés à l’anglais moderne : castle, prison, war

Voici maintenant des mots utilisés tels quels, dans le même sens que chez nous : au fond, fait accompli, badinage, blasé, chic, cliché, débâcle, déjà vu (rappelons-nous Four way street de CSN&Y !), ennui, lingerie, née, passé, précis, recherché, touché !.

Je ne sais pas s’il y a des lycéens nuls en anglais dans les lecteurs de ce blogue mais si oui, voilà, jeunes gens, de vrais-faux faux-amis, c’est-à-dire des mots français simples que vous avez le droit d’utiliser tels quels en anglais ; par exemple, lors de vos voyages linguistiques outre-Manche, les mots « badinage » et « lingerie » peuvent se révéler utiles… Je n’irai pas jusqu’à dire que « fait accompli » aussi… Peut-être perdrez-vous alors la détestable habitude de traduire actually par actuellement, definitely par définitivement et eventually par éventuellement ?

 

Notre érudit anglais reconnaît que, en anglais aussi, l’usage de termes français alors qu’il existe des équivalents anglais, relève du pur snobisme ; il cite ainsi : joie de vivre au lieu de joy of living, nouveaux riches (the new rich), en passant (in passing), façon de parler (a manner of speaking), faute de mieux (for want of anything better).

 

On arrive au cœur du sujet quand il attribue la nécessité d’utiliser des mots français, à la perception que les Français seraient les meilleurs dans le domaine considéré. On connaît cette tarte à la crème : la cuisine et le vin. On trouve là des mots sans équivalents en anglais : à la carte, table d’hôte, bain-marie, hors d’œuvre, flambé, fricassée, sauté, (sauce) hollandaise, vin de pays, premier cru, chambré. L’auteur cite aussi « haute cuisine » et « prix fixe » mais franchement, je ne vois pas à quoi cela correspond…

Il paraît que les Anglais utilisent assez souvent les mots suivants, dans le domaine des arts et du sport : avant-garde, roman à clef, trompe-l’œil, objet d’art, pas de deux, concours d’élégance, grand prix, musique concrète, cinéma-vérité, nouvelle vague (à égalité avec New Wave), après-ski (à égalité avec after-ski).

Il y a une autre catégorie de mots français, qui cohabitent, dans un sens différent, avec leur traduction littérale en anglais (NDLR : un peu comme week-end et fin de semaine en français) : fin de siècle désigne la fin du XIXè siècle, et non pas d’un autre ; un ménage à trois désigne le mari, l’épouse et l’amant (ou la maîtresse), et non pas deux parents avec leur enfant unique ni trois sœurs ; faux pas est utilisé uniquement dans le domaine social, contrairement à false step qui est un pas dans la mauvaise direction ; un bon mot n’est pas, comme a good word, un mot « qui convient » ; un enfant terrible n’est pas un enfant mais un adulte qui ne respecte pas les convenances ; sang froid a le même sens qu’en français, alors que cold blood signifie insensibilité. Il y a aussi carte blanche, bête noire, cul-de-sac… C’était la catégorie des faux amis.

Certains mots français n’ont absolument aucun équivalent en anglais : pied-à-terre, au pair, raison d’être

Mais Messieurs les Anglais, quand ils empruntent des mots au français, n’hésitent pas à les noyer dans la syntaxe anglaise ; par exemple RSVP (répondre s’il vous plaît) est utilisé comme un verbe (I haven’t RSVP’ed yet !) ; ou à les déformer : « bons viveurs » au lieu de bons vivants.

 

Pour conclure, l’auteur prétend que la liste exhaustive des termes français empruntés par l’anglais occuperait un volume de taille respectable… Peut-être, mais qu’il s’intéresse un peu au franglais de chez nous, ne serait-ce qu’à la radio et à la télévision. L. Arquié, sans citer de sources, rapporte le chiffre de 40 % de mots d'origine française en anglais. Mais je pense qu'il englobe toutes les catégories de mots cités plus haut (y compris donc les mots transformés et intégrés) et que cette intégration est ancienne. C'est l'histoire de l'anglais suite à l'invasion de Guillaume le conquérant. À l'époque, les Saxons ont dû réagir comme nous dans ce blogue : trop, c'est trop !

Encore une fois, et au risque de lasser, ce n’est pas l’emprunt qui pose problème ; c’est la dose. Le Français est drogué au franglais et n’arrive pas à apprendre l’anglais. C’est peut-être quand la Chine aura conquis la première place dans la mondialisation heureuse, que tout changera… En attendant, elle achète des palaces et des vignobles ; toujours la cuisine et le vin, on n’en sort pas !