23/11/2014
La littérature est-elle la solution ? (III)
La littérature, pour quoi faire ?
Revenons à notre guide, Antoine Compagnon.
Sa leçon inaugurale de 18 pages comprend deux parties distinctes : dans la première, il disserte sur la façon dont la littérature a été appréhendée et enseignée au Collège de France : alternance des approches « théorique » et « historique » de la littérature, depuis les premières chaires au XVIIIè siècle jusqu’à Paul Valéry et Roland Barthes. En bon universitaire – et nouvel enseignant au Collège – A. Compagnon se pose naturellement en réconciliation et synthèse de ce mouvement de balancier et ajoute à l’intitulé de sa chaire, la critique.
La deuxième partie est dans notre sujet. Elle s’ouvre par des citations de Marcel Proust : « La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c’est la littérature… Par l’art seulement, nous pouvons sortir de nous, savoir ce que voit un autre de cet univers qui n’est pas le même que le nôtre, et dont les paysages nous seraient restés aussi inconnus que ceux qu’il peut y avoir dans la lune » et d’Italo Calvino : « Il y a des choses que seule la littérature peut offrir par ses moyens propres ».
Or « Le lieu de la littérature s’est amenuisé dans notre société depuis une génération : à l’école, où les textes documentaires mordent sur elle ou même l’ont dévorée ; dans la presse, où les pages littéraires s’étiolent et qui traverse elle-même une crise peut-être funeste ; durant les loisirs, où l’accélération numérique morcelle le temps disponible pour les livres ».
Émile Zola déclarait : « Les chefs d’œuvre du roman contemporain en disent beaucoup plus long sur l’homme et sur la nature, que de graves ouvrages de philosophie, d’histoire et de critique ».
C’était la principale justification de l’acte de lire : apprendre (en se distrayant) et l’origine d’une querelle avec les sciences, que les historiens datent de 1852, quand le ministre de l’Instruction publique institua une bifurcation en classe de quatrième, entre la filière littéraire et la filière scientifique. Et en 1902 la réforme du secondaire fut à l’origine de la marginalisation graduelle des langues anciennes et des humanités classiques au lycée. De nos jours, c’est la culture moderne et la langue française qui sont bouleversées et qu’il faut défendre, dit A. Compagnon.
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22/11/2014
Tout homme ouvrant un livre y trouve une aile
Voici du positif ce matin, et cela concerne les enfants et les jeunes, notre avenir.
D’abord le père Hugo (1802-1885), qui au retour d’un bagne qu’il visitait, a écrit :
Chaque enfant qu'on enseigne est un homme qu'on gagne.
Quatre-vingt-dix voleurs sur cent qui sont au bagne
Ne sont jamais allés à l'école une fois,
Et ne savent pas lire, et signent d'une croix.
C'est dans cette ombre-là qu'ils ont trouvé le crime.
L'ignorance est la nuit qui commence l'abîme.
Où rampe la raison, l'honnêteté périt.
Dieu, le premier auteur de tout ce qu'on écrit,
A mis, sur cette terre où les hommes sont ivres,
Les ailes des esprits dans les pages des livres.
Tout homme ouvrant un livre y trouve une aile, et peut
Planer là-haut où l'âme en liberté se meut.
L'école est sanctuaire autant que la chapelle.
L'alphabet que l'enfant avec son doigt épelle
Contient sous chaque lettre une vertu ; le cœur
S'éclaire doucement à cette humble lueur.
Donc au petit enfant donnez le petit livre.
Marchez, la lampe en main, pour qu'il puisse vous suivre.
La nuit produit l'erreur et l'erreur l'attentat.
…
Notons que ce maître en écriture emploie le verbe « enseigner » à la forme transitive, comme to teach someone en anglais…
Notons surtout que son poème (« Écrit après la visite d'un bagne ») nous ramène à notre sujet « À quoi sert de lire ? » et de quelle manière.
Et remercions Patrick Cohen qui l’a fait lire hier matin pendant son 7-9, sur France Inter.
Ensuite les jeunes ; en tous cas, ceux que j’ai rencontrés autour des doubles croches de « Valdez in the country » ; ils devisaient, avec conviction, sur les œuvres au programme de leur cours de français. Les unes adoraient « Le Cid », un garçon était plutôt « Maupassant », les quatre s’étaient passionnés pour « L’aiguille creuse » de Maurice Leblanc et la découverte d’Étretat, comme nous-mêmes l’avions fait au même âge, et nos enfants aussi. C'est Jean d'O. qui va être content.
Merveilles de la littérature indémodable et de la jeunesse motivée, qui assure la continuité de l’esprit français et de son amour des grandes œuvres !
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21/11/2014
Patriii…ck !
Hier matin, 20 novembre 2014, France Inter recevait dans la Matinale le député Yann Galut au sujet des détournements fiscaux opérés par le Luxembourg depuis vingt ans et qui font l’actualité depuis que le G20 avance sur la question et que… le Premier ministre luxembourgeois de l’époque est président de la Commission européenne. (Vous remarquerez que je mets une majuscule à C, pour distinguer l’institution du mot générique « commission », mais pas à « européen », puisqu’il s’agit d’un adjectif et que nous ne pratiquons pas comme les Anglais).
Merci d’abord aux électeurs du Cher qui élisent et réélisent M. Galut qui, au lieu d’entretenir des villas aux Antilles ou au Maghreb, essaye de moraliser la vie des affaires et de faire rendre gorge aux fraudeurs du fisc.
Merci ensuite à l’excellent journaliste Patrick Cohen qui, au moment de faire expliquer le mécanisme de détournement au moyen des tax rulings, s’est soucié des allergiques à l’anglais, à 4 min 25 du début de l’entretien et a donc signalé que ce mécanisme avait un nom français, en vérité fort ancien : le rescrit fiscal. Ce qui, par effet d’entraînement, a encouragé le journaliste de France 3, Édouard Perrin, à préciser que cela pouvait aussi s’appeler « accord fiscal anticipé »…
Et alors là, stupeur qui ne surprendra pas mes fidèles lecteurs : les termes français, surtout le second, sont immédiatement compréhensibles par la concierge de Boris Vian, le négociant-voyageur du Cézallier et le schlitteur des ballons des Vosges !
Mais oui, c’est tout simple : on se met d’accord, préalablement, avec l’administration fiscale du pays d’accueil souhaité, sur un taux d’imposition. Une fois qu’elle a accepté la proposition, roule ma poule et ni vu ni connu, on prive le fisc français de milliards d’euros de recettes (Yann Galut parle de 100 Md€ par an !).
Donc, utiliser les mots français quand on est Français et qu’on parle à des Français, sur une radio de langue française qui s’appelle France Inter, non seulement ça ne fait de mal à personne mais ça rend les choses simples. C’est un peu comme le carry back (report de charges sociales), dont j’avais parlé dans un de mes premiers billets.
Seul inconvénient : l’expert perd un peu de gloriole (surtout dans sa tête à lui d’ailleurs) quand il se met à parler comme tout le monde.
En fait, il y en a un autre, d’inconvénient : quand on abandonne ce vocabulaire anglais, on abandonne par la même occasion la novlangue (voir mon billet sur la QRL) ; et alors, un chat s’appelle un chat : si quelqu’un ne paye pas tout de suite ses charges sociales, c’est un autre qui doit payer pour lui, et idem pour les impôts. Le fraudeur est démasqué et la faute en pleine lumière.
Merci, Patriii…ck !
Bibliographie :
trois livres très instructifs sur le sujet (la fraude fiscale généralisée) :
Yann Galut "Le pillage de l'État - un député sur la piste des évadés fiscaux" Flammarion, 2013
Nicolas Dupont-Aignan "Les voleurs de la République - enquête sur les parasites fiscaux", Fayard, 2013
Gabriel Zucman "La richesse cachée des nations - enquête sur les paradis fiscaux", Seuil, 2013
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