26/11/2014
Ah, les chers anges...
Hier soir, je participais en tant qu’invité à la réunion plénière d’un club d’investisseurs providentiels…
Vous voyez de quoi il s’agit ? Non ?
En fait, c’est moi qui les appelle par leur nom français ; eux, ils se disent business angels, ça fait plus sérieux sans doute. Dans le monde de brutes sans foi ni loi qui est celui des affaires, il y aurait donc, d’après les Américains, de petits anges aux poches profondes… Les Français, du moins leurs lexicographes, voient plutôt l’intervention de la Providence, c’est affaire de hiérarchie céleste.
Il y a donc des gens qui sont prêts à financer, de leurs deniers durement gagnés, des projets innovants portés par des entrepreneurs plus ou moins jeunes, qui n’ont, en vérité, qu’un seul point commun, leur façon de s’exprimer.
Hier, on nous parlait de bouteilles d’eau quasiment médicinale, apte à diminuer l’acidité de notre appareil digestif, et d’une machine capable de faire un mojito, ou un autre cocktail, en trente secondes…
Et c’est là que j’ai souffert : comment croyez-vous que ces personnes pleines de fougue et de conviction ont présenté leur projet ?
Mais à grand renfort de management day to day, de pitch, de like sur internet, de start-up bien sûr, de crowdfunding, de focus sur le business, de community manager, de mapping de l’innovation, de first to market advantage, de leasing, de marketing, de reporting, de lease back, de deal, tout cela n’étant pas toujours un simple problème de cash…
Ainsi va la vie des affaires en France, avec la gestion à assurer au jour le jour, avec des coups de cœur sur internet, des gazelles et des jeunes pousses, du financement participatif, une focalisation sur le chiffre d’affaires, des animateurs de communautés virtuelles, une cartographie de l’innovation, l’avantage d’être le premier sur le marché, du crédit-bail, de la mercatique et de la reddition de comptes, de retour de location, d’accord et de négociation, le tout sans forcément de gros sous…
Au même moment, je recevais sur mon téléphone le programme musical d’un piano-bar des environs… bourré de coquilles, de fautes d’orthographe et de phrases bancales, sans compter pas mal de majuscules intempestives « à l’anglaise ». Mon sang ne fait qu’un tour : je proteste auprès de l’émetteur.
L’émetteur était une émettrice, Veronika B. qui m’explique que, n’étant pas française, elle ne sait pas faire autrement que compiler tels quels les textes que lui envoient ses collègues (ce qui donne une idée de la langue écrite de chez nous, en l’occurrence chez les musiciens). Et de me proposer de corriger l’annonce.
J’ai dit que j’étais désolé et que bien sûr, j’allais corriger son texte, ce qui sera ma contribution au programme musical du mois.
Je m’y colle tout de suite, dès que j’aurai publié ce billet.
08:32 Publié dans Franglais et incorrections diverses | Lien permanent | Commentaires (0)
25/11/2014
La littérature est-elle la solution ? (V)
Quant à lui, A. Compagnon revient à Calvino et à son éloge de la littérature, irremplaçable mais en s’interrogeant tout de même sur la place qu’elle peut préserver face ou à côté des nouveaux moyens de connaissance et de loisir : cinéma, médias…
Ce n’est plus aujourd’hui LE mode d’acquisition privilégié d’une conscience historique, esthétique et morale. La pensée du monde et de l’homme PAR la littérature n’est pas la plus courante.
Mais elle offre un moyen de préserver et de transmettre l’expérience des autres, ceux qui sont éloignés de nous dans l’espace et le temps ou qui diffèrent de nous par les conditions de leur vie. Elle nous rend sensibles au fait que les autres sont très divers et que leurs valeurs s’écartent des nôtres.
La littérature déconcerte, dérange, déroute, dépayse plus que les discours philosophique, sociologique ou psychologique, parce qu’elle fait appel aux émotions et à l’empathie.
Ce n’est pas que nous trouvions dans la littérature des vérités universelles ni des règles générales, non plus que des exemples limpides.
La littérature nous apprend à mieux sentir , et comme nos sens sont sans limites, elle ne conclut jamais mais reste ouverte comme un essai de Montaigne, après nous avoir fait voir, respirer ou toucher les incertitudes et les indécisions, les complications et les paradoxes qui se terrent derrière les actions.
La littérature est un exercice de pensée ; la lecture, une expérimentation des possibles.
Toutes les formes de la narration, dont le film et l’histoire, nous parlent de la vie humaine. Le roman le fait pourtant avec plus d’attention que l’image mobile et plus d’efficacité que le fait divers car son instrument pénétrant est la langue, et il laisse toute leur liberté à l’expérience imaginaire et à la délibération morale, en particulier dans la solitude prolongée de la lecture.
Et la littérature - roman, poésie ou théâtre – m’initie supérieurement aux finesses de la langue et aux délicatesses de l’entretien, voire du badinage.
Elle est concurrencée dans tous ses usages et ne détient de monopole sur rien, mais l’humilité lui sied et ses pouvoirs restent démesurés.
08:00 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0)
24/11/2014
La littérature est-elle la solution ? (IV)
D’abord, « vivre est plus facile pour ceux qui savent lire, non seulement les renseignements, les modes d’emploi, les ordonnances, les journaux et les bulletins de vote, mais aussi la littérature ». C’est le problème de l’illettrisme, que j’ai déjà évoqué dans un billet.
« La lecture rend un homme complet » a dit Francis Bacon.
« Le conte fait passer le précepte avec lui » dit La Fontaine.
« Outre le plaisir d’une lecture agréable, on y trouvera peu d’événements qui ne puissent servir à l’instruction des mœurs… Chaque fait qu’on y rapporte est un degré de lumière, une instruction qui supplée à l’expérience ; chaque aventure est un modèle d’après lequel on peut se former. » dit l’Abbé Prévost de son roman Manon Lescaut.
Ensuite, avec les Lumières et le romantisme, on a attribué une autre vertu à la littérature : c’est un remède qui libère de la sujétion aux autorités.
« La littérature, instrument de justice et de tolérance, et la lecture, expérience de l’autonomie, contribuent à la liberté et à la responsabilité de l’individu ».
« La littérature est d’opposition ; elle a le pouvoir de contester la soumission au pouvoir ; contre-pouvoir, elle révèle toute l’étendue de son pouvoir lorsqu’elle est persécutée ».
« Si la littérature d’imagination peut seule tenir lieu de lien social (à l’époque de la révolution industrielle et de la division du travail), c’est au nom de sa gratuité et de sa largesse dans un monde utilitaire caractérisé par les spécialisations productives ».
« Ainsi la littérature, à la fois symptôme et solution du malaise dans la civilisation, dote-t-elle l’homme moderne d’une vision qui porte au-delà des restrictions de la vie journalière ».
« La littérature a tenu lieu de morale commune au XIXè et au début du XXè siècle, après la religion et en attendant que la science prît le relais ».
« Elle élèvera les peuples à un idéal esthétique et éthique, et contribuera à la paix sociale. C’est ainsi que les grands écrivains ont été embrigadés au service de la nation ».
Troisième justification de la littérature : elle corrige les défauts du langage ! Elle fait de la langue commune, une langue propre – poétique ou littéraire.
« Il y a depuis des siècles des hommes dont la fonction est justement de voir et de nous faire voir ce que nous n’apercevons pas naturellement : ce sont les artistes » dit Henri Bergson.
« La seule manière de défendre la langue française, c’est de l’attaquer » écrit Proust à Madame Strauss en 1908.
Vue ainsi, la littérature est supérieure à la philosophie (Marcel Proust, Yves Bonnefoy, Michel Foucault, Roland Barthes…). « La littérature ne permet pas de marcher mais elle permet de respirer » disait Roland Barthes.
Antoine Compagnon, après l’exposé de ces trois attributs de la littérature, évoque, en contrepoint, l’avis de Charles Baudelaire, Gustave Flaubert, André Gide… selon lequel la littérature n’a pas d’autre pouvoir que sur elle-même. Elle solutionnerait ses propres problèmes, sans plus.
Allant encore plus loin, Theodor Adorno et Marcel Blanchot jugeaient la littérature vaine ou même coupable, qui n’avait pas empêché l’inhumain. C’était après Auschwitz…
Ce qui, à la fin du XXè siècle, a pu faire considérer la littérature comme simple plaisir ludique, voire comme l’exercice d’une domination, d’une manipulation, suite à sa longue connivence avec l’autorité.
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