30/11/2015
Chateaubriand et Bossuet
Ce n'est pas si souvent qu'on peut lire de nos jours, dans un texte public, une référence à Chateaubriand et Bossuet à la fois !
Eh bien, c'est le cas dans un appel récent de Malik Bezoun à ses coreligionnaires français, suite aux massacres de Paris.
"Or le sentiment patriotique doit l'emporter sur toutes autres considérations comme le rappelait naguère Chateaubriand qui invitait chaque partie à «[…] (abandonner) quelque chose de ses prétentions pour concourir à la gloire de la patrie » en proie à de graves troubles et divisions. Me faisant, sans prétention aucune, le continuateur de l'illustre écrivain, j'invite mes frères et sœurs, Français de confession ou de culture musulmane, à rejeter le point de vue consistant à dire qu'il appartient aux Français, anciens ou de souche, de faire la part des choses en séparant le bon grain de l'ivraie, si je puis dire. Hélas, on peut attendre longtemps. Car la peur, engourdissant la raison, et la prégnance de certains préjugés, réactivés par une actualité décrivant un monde arabo-musulman violent et sanguinaire, sont autant de freins à une évolution plus positive de la perception de l'arabo-islamité dans la société française. Aussi n'attendons plus !
...
Le temps presse. Les extrémistes, de tous bords, sont aux aguets et souhaitent, en silence, que la peur fasse son œuvre dans l'espoir de jouer leur sinistre partition. Pour l'amour de la France, sa sauvegarde, son salut, ne leur en donnons pas l'occasion. Soyons des bâtisseurs. Soyons des patriotes prosélytes. Endossons ce rôle, un rien ingrat, consistant à faire la preuve de notre attachement, sans borne, au pays à chaque fois qu'un soubresaut intégriste l'ensanglante et le tétanise, en nous démarquant, de façon plus que visible, de ceux qui en sont à l'origine.
...
Aussi, n'ayons aucun état d'âme et crions en chœur notre amour du pays de Bossuet. Il en va de l'unité de la nation française qui exige que l'on brise, sans plus tarder, les barreaux de cette prison victimaire dans laquelle on s'est enfermé depuis bien trop longtemps, à la grande joie des communautaires professionnels et des identitaires radicaux. Nos enfants, demain, nous en remercierons.
À la francité, notre bien commun sacré".
Physicien de formation, Malik Bezouh est un spécialiste de la question de l'islam de France. Il est l'auteur de France-islam: le choc des préjugés
07:30 Publié dans Actualité et langue française, Littérature | Lien permanent | Commentaires (0)
27/11/2015
"Les mots de ma vie" (B. Pivot) : critique
J'ai lu tranquillement, à petites doses mais sans sauter de page, le livre que Bernard Pivot a consacré aux mots de sa vie.
C'est une bonne idée pour celui qui, de "Ouvrez les guillemets" à "Bouillon de culture", a fait toute sa carrière autour des livres, de la langue et des dictées. On passe ainsi, comme dans un dictionnaire personnel, de "Ad hoc" à "Zut".
Et B. Pivot s'y révèle un fameux dénicheur de facéties du français (j'en ai cité quelques-unes dans des billets antérieurs, comme par exemple à propos du mot "eau") et un amoureux de mots rares ou surannés (épatant, chouette, croquignolet, historier, frichti, philistin, à la raspaillette, etc.), surtout quand ce sont ceux de sa jeunesse.
Il est d'ailleurs attaché à son enfance et à sa région d'origine (Lyon et le Beaujolais) ; plusieurs anecdotes en témoignent.

Amoureux des mots, il excelle dans les jeux (de mots) et l'humour (littéraire).J 'ai moins aimé en revanche une sorte d'esprit potache ou d'esprit gaulois, qui frôle la gaudriole dans certains articles. Comme ceux qui pratiquent l'humour, il a manifestement du mal à résister à une saillie et ce n'est pas toujours très heureux. D'aucuns diront peut-être qu'il n'est pas bégueule...
Modeste - faux-modeste ? on ne peut jamais savoir -, il multiplie les récits de ses déboires, de ses faiblesses et de ses moments de stress, difficiles à imaginer quand on était devant l'écran et qu'il officiait dans "Apostrophes".
Au total, 324 pages agréables à lire comme on boit du petit lait, avec quelques voiles entrouverts sur la personnalité et la vie d'un homme sympathique mais ni un traité ni récit inoubliable.
21/11/2015
Une communauté linguistique en marche
Mes lecteurs connaissent Alain Bentolila, linguiste, qui s'est exprimé en particulier sur la réforme très contestée du collège. Ses interventions sont souvent intéressantes, bien que le fond de sa pensée ne soit pas toujours très facile à percevoir.
Ainsi de son article dans le Marianne du 16 octobre 2015, intitulé "La France, une communauté dialogique"...
Il commence comme un prêche "Dans certains discours, barbare et barbarie, sauvage et sauvagerie, se mêlent pour pointer l'Autre du doigt…" et se continue par une dissertation sur le sauvage et le barbare.
Ce n'est que dans la deuxième moitié de son texte que j'ai commencé à saisir le sens et à retrouver des thèmes qui m'intéressent.
"L'identité nationale que nous devons construire, c'est l'appartenance à une communauté linguistique en marche, s'élevant vers une intelligence collective fondée non sur un consensus mais sur un constant dialogue ferme et vigilant".
La communauté dialogique, ce serait donc une communauté qui dialogue ; il faut croire que ce vocabulaire "rhétorique" n'est pas le mien. Personne n'est parfait. Cela étant, une fois qu'on a compris, on ne peut qu'être d'accord avec le fait qu'un dialogue constant, ferme et vigilant est une bonne chose...
La suite devient intéressante :
"Cette intelligence…, vous ne pourrez la construire que si vous êtes prêts à vous battre pour que soit distribué de façon équitable le pouvoir linguistique dans votre pays".
"… faute de quoi nous risquons d'en venir à concevoir ce bien précieux comme un château fort que menacent ldes différences identitaires".
"Le défaut de mots, le refus du dialogue, la quête éperdue de l'uniformité enverra (NDLR : j'aurais écrit "enverront"…) ainsi chacun retrouver les siens dans un cocon douillet de connivence identitaire et les conduira à rejeter ceux qui n'ont pas les mêmes croyances, les mêmes opinions, les mêmes préjugés".

Et voici enfin, après ce très long exorde, la thèse de l'article, qui me va bien : "Nous avons depuis trop longtemps accepté avec une complaisance coupable que le problème inquiétant de l'insécurité linguistique de certains soit balayé par un slogan d'une extrême correction politique : Chacun parle comme il l'entend, chacun écrit comme cela lui chante".
"Si nous voulons donner une chance à l'intégration, il faut que nous défendions mordicus le droit de tous ceux qui vivent en France, d'expliquer, d'argumenter, de convaincre et aussi de comprendre un discours ou un texte, avec autant de bienveillance que de vigilance".
Vive le beau français, clair, efficace, élégant, précis, innovant, sans afféterie inutile ni exigence de pureté extrême.
07:30 Publié dans Actualité et langue française, Essais, Vocabulaire, néologismes, langues minoritaires | Lien permanent | Commentaires (0)


