23/09/2015
La civilisation du spectacle (Mario Vargas-Llosa)
Il y a longtemps (juillet 1999), j'avais commencé "La Guerre de la fin du monde" (1981) de Mario Vargas-Llosa, écrivain péruvien né en 1936. Ce livre est l'épopée d'une sorte de Bolivar au Brésil, à la mode sud-américaine que j'adore (Garcia-Marquez, Carpentier…). J'en avais interrompu la lecture à l'époque pour je ne sais plus quelle "urgence littéraire" mais il figure toujours dans ma liste d'attente ("Un jour, je l'aurai…" disait une publicité des années 2000). Passons.
Dans son édition du 26 juin 2015, l'hebdomadaire Marianne consacrait une interview par Hubert Artus du Prix Nobel de littérature 2010 à propos de ses deux nouveaux livres : un essai La civilisation du spectacle et un roman Le héros discret.
Le premier fait penser, et ce n'est sans doute pas un hasard, à La société du spectacle de Guy Debord.
Voici quelques extraits de l'entretien.
"(Il soutient que) la culture au sens traditionnel de ce mot est sur le point de disparaître et que le monde est engagé dans un irréversible processus de décadence intellectuelle et spirituelle".
Sa réponse ? "(Combattre) avec fermeté, en respectant le droit et la loi mais sans faire aucune concession sur les valeurs fondatrices que sont la liberté, la diversité, l'égalité homme-femme, le respect des croyances… L'Occident doit en être fier et les utiliser dans sa réponse au défi. L'utopie religieuse est ce qui remplace l'utopie communiste de nos jours. Mais l'islamisme sanguinaire, extrême, n'aura jamais la force qu'avait le communisme : celui-ci avait un esprit idéaliste de changement, une dimension de rêve… Comme toutes les sociétés ouvertes et libres, l'Occident est vulnérable mais je ne pense pas qu'il va être détruit".
"La fonction de la littérature reste la même : utiliser l'expérience de la réalité pour créer une vérité différente, grâce à laquelle nous comprendrons mieux le monde où nous vivons. Créer une dualité qui enrichit nos rêves et nos désirs.
La littérature doit aussi demeurer pédagogique, pour que cet espace entre monde réel et monde littéraire devienne celui de la distance critique. La critique, voilà ce qui a toujours été le moteur des transformations de nos sociétés. C'est une réussite de la civilisation occidentale et des sociétés démocratiques. Et la littérature est la meilleure expression de cet esprit, non ?".
"La culture du divertissement abolit la distance critique et participe non à la disparition mais au dépérissement de la culture du livre. À son remplacement par une culture de l'image, qui est superficielle et passagère.
L'esprit critique allait de pair avec la culture des idées, de la parole, et il est aboli.
… Seules comptent la frivolité, l'image, les gestes et l'apparence".
"Les intellectuels ont aujourd'hui perdu leur prestige ; plus personne ne s'intéresse à leur avis. Et ils ne contribuent pas à relever l'utilité et le rôle des idées dans la vie publique. Ça conduit soit à la barbarie, soit au contrôle technologique de la société".
Cette dernière réflexion pénalise le reste de la démonstration, même s'il est question de "certains intellectuels qui acceptent de devenir des clowns"… Car Vargas Llosa est lui aussi un intellectuel. Ses avis intéresseront-ils les gens, en particulier les plus jeunes ? Arrivé à un certain âge, ne devient-on pas obligatoirement un conservateur, chantre du "c'était mieux avant" et du "la culture n'est plus ce qu'elle était" ?
Au demeurant, je partage ses idées sur les dégâts de cette civilisation du divertissement et du clinquant (en France : Hanouna, Arthur, Nagui, Delarue et comparses) et sur la nécessité de réagir et de défendre nos valeurs.
18:23 Publié dans Actualité et langue française, Écrivains, Littérature, Vargas-llosa Mario | Lien permanent | Commentaires (0)
21/09/2015
Découvrons Guillaume Musso
Dans le billet "Que valent les best sellers ?", il était question de Guillaume Musso, écrivain français que je n'ai pas lu mais qui vend des millions de livres à travers le monde (en 2013, à 38 ans, il en avait vendu seize millions et avait été traduit en 36 langues).
J'ai retrouvé récemment une revue d'entreprise qui l'avait interviewé en juin 2013 et cet article me l'a rendu sympathique.
Né à Antibes en 1974, ancien professeur de sciences économiques et sociales en Lorraine, enseignant à Valbonne pendant cinq ans, il explique ainsi, en toute modestie, son processus de création littéraire : "Il y a un premier niveau de lecture purement divertissant. On tourne les pages en entrant dans l'histoire comme dans un bon film. puis un deuxième niveau, où je parle de sujets qui me touchent au moment de l'écriture"… "J'ai toujours été fasciné par la douleur que les hommes étaient capables de s'infliger en étant constamment tourmentés par les regrets d'hier ou en imaginant ce que pourrait être demain. Trop souvent, on attend de se retrouver le dos au mur pour comprendre que seul le moment présent compte"… "J'accepte les choses sur lesquelles je n'ai pas de prise. Et je me bats pour celles que je peux faire évoluer".
Ses infuences : le cinéma américain, Alfred Hitchcock, Stephen King, Richard Matheson, René Barjavel, Jean-Christophe Grangé, la série "La quatrième dimension"...
"Depuis L'appel de l'ange, j'écris des romans à suspense psychologique, où un personnage ordinaire est embarqué dans la spirale de l'aventure. Mes trois derniers livres m'ont apporté de nouveaux lecteurs (NDLR : j'aurais dit "m'ont amené…"), plutôt masculins d'ailleurs, qui ne s'autorisaient pas à me lire avant, pensant que je n'écrivais que des romances, voire des bluettes ou des histoires fantastiques".
Le journaliste de la revue lui dit : "Votre écriture est très visuelle, les chapitres sont courts, l'action avance vite".
"J'aime travailler tous les jours, de 9h à 19h30, dans un lieu différent de mon appartement… J'écris dix mois de l'année sur douze. Un cycle scolaire est découpé et organisé…".
"Le seul contrat implicite que je me fixe est d'essayer d'écrire chaque fois des histoires qui vont offrir à mes lecteurs quelques heures d'évasion et de dépaysement".
Au total, un type sûr de lui, avec des idées simples et saines, imprégné du mythe américain et donc en phase avec l'époque, plutôt "écrivain professionnel" que "écrivain maudit", qui s'estime heureux et poursuit son petit bonhomme de chemin (un roman par an), sans rien demander à personne ni se prendre pour Balzac, plutôt sympathique en somme...
Ses romans les plus connus : "Skidamarink" (le premier en 2001), "Et après…" (2004), "L'appel de l'ange", "Demain" (2013) et le dernier "L'instant présent" (2015).
07:30 Publié dans Actualité et langue française, Écrivains, Littérature, Musso Guillaume | Lien permanent | Commentaires (1)
06/09/2015
Que valent les best-sellers de l'été ?
Ce billet est inspiré du dossier "Que valent les best-sellers de l'été ?" du journal Marianne (26 juin 2015).
Son journaliste, Alexandre Gefen, s'est attaqué à une question intéressante : les auteurs français les plus lus en France et à l'étranger sont, mis à part Jean d'Ormesson, méprisés par les critiques littéraires et les intellectuels (français). Pourquoi ?
Produisent-ils une sous-littérature ?
Leurs lecteurs sont-il des incultes qui avalent n'importe quoi ?
"Telle est la destinée paradoxale des best-sellers : cachés dans les librairies de Saint Germain des Prés mais têtes de gondole dans les rayons des hypermarchés et des bureaux de tabac ; oubliés sur les bancs publics mais objet de publicité dans les transports en commun ; vénérés par les lecteurs qui feront la queue dans les salons du livre de province pour rencontrer leurs auteurs mais rarement lus sans quelque dédain, et comme une distraction coupable".
Le phénomène a pourtant une dimension économique : "Le chiffre d'affaires global de Marc Lévy a été estimé à 80,6 millions d'euros en 2008, soit à lui seul environ deux fois le budget annuel du Centre national du livre". "... On le considère comme le romancier français le plus lu au monde, adapté par Dreamworks et traduit en 48 langues...".
"Le romancier français Guillaume Musso, qui arrive en tête de ce palmarès (NDLR : les dix auteurs les plus vendus en France) et dont les ventes totales dépassent les 18 millions d'exemplaires, n'a jamais été invité une seule fois sur France Culture et n'a jamais fait l'objet d'une seule vraie critique dans les suppléments littéraires des grands quotidiens nationaux... ni de la moindre étude académique et ne parlons même pas d'une thèse".
"... Ni Françoise Bourdin ni Katherine Pancol (NDLR : pourquoi un K en tête de son prénom ?) ni Bernard Werber ne recevront jamais la consécration d'un Goncourt ou d'un Fémina (NDLR : ça, on n'en sait rien !)".
"Muriel Barbery, Anna Gavalda ou encore Tatiana de Rosnay vendent par centaines de milliers d'exemplaires les traductions anglaises de leurs romans".
Or que font ces auteurs "populaires" dans leurs romans ?
"Loin de jeter un regard critique sur le monde, de chercher à tout prix à faire du nouveau par la forme et le style, de manifester la marginalité de l'écrivain et sa détestation du monde, de rechercher la complexité du récit et les références érudites..., ces livres se veulent lisibles, accessibles, préfèrent nous tenir en haleine...".
Marianne a donc lu "sans a priori" les futurs best-sellers de l'été (2015) et a noté "la richesse et la variété de ces livres à succès". "Ils empruntent des modèles efficaces et sexués comme ceux du roman sentimental, du policier ou de la science-fiction, pour nous aider à comprendre des situations morales ou des problèmes contemporains, et ils s'efforcent de réenchanter par l'ironie ou la tendresse la vie quotidienne".
Et de distinguer, à la suite de cette lecture exhaustive, "Jules" de Didier van Cauwelaert, "Elle et lui" de Marc Lévy, "Des vies en mieux" d'Anna Gavalda, "L'instant présent" de Guillaume Musso (la grande surprise de cette sélection").
Voilà une démarche "expérimentale" et pragmatique qui me plaît : on cherche à comprendre un phénomène et pour cela, on va y voir soi-même.
Mais au total,, si l'on exclut les cas marginaux (à savoir : le cadre surmené qui baille en lisant un peu contre son gré le dernier roman de plage et la bourgeoise de la banlieue Ouest qui s'échine à lire le dernier Comte-Sponville auquel elle ne comprend strictement rien mais qu'elle porte pourtant en étendard - bien visible - dans le RER et autour des piscines de Ramatuelle), tout n'est-il pas pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles ?
Il est vrai que l'on a dans la tête le modèle appris de l'écrivain pauvre qui écrit dans la douleur suite à des drames personnels, et non pas l'écrivain millionnaire qui court le monde de palace en palace, de même que le vrai artiste est pour nous Charlie Parker, empêtré dans la drogue et l'alcool, et non pas David Guetta ou Jean-Michel Jarre, musiciens à succès...
Mais il vaut mieux lire n'importe quel roman de plage que ne pas lire du tout. Et toute cette littérature populaire peut être un marchepied pour accéder à plus difficile, à plus stylé, à plus dérangeant...
Après tout, avant d'attaquer John Coltrane, il vaut mieux écouter Sidney Bechet, et Bach est plus abordable que Ravel ou Debussy, sans parler de Boulez.
Il y a des livres pour se distraire tout en papotant avec sa voisine de serviette (et on n'est pas obligé de se contenter de papoter avec elle mais alors il faut poser le Musso dans le sable...) et il y a des livres qui vous changent la vie (La Recherche ou Le Quatuor d'Alexandrie).
Certains motivent des études et des thèses, et d'autres un sourire complice, et qu'il ne faut pas rendre méprisant. Chacun lit ce qui lui convient à l'instant t et ce qui l'émeut ou le distrait.
Et j'ai bien envie de lire "L'instant présent" en cette fin d'été...
09:44 Publié dans Actualité et langue française, Littérature | Lien permanent | Commentaires (0)