28/01/2016
Bernard Pivot en chair et en os
Je suis allé écouter Bernard Pivot il y a quelques jours. Il donne régulièrement des sortes de causeries (de monologues), pendant lesquelles il lit des passages de ses ouvrages ou livre quelques souvenirs de sa jeunesse en Beaujolais.
Tout est écrit, bien écrit et B. Pivot lit bien, sans quasiment jamais buter sur un mot, quoiqu'il parle trop vite, avec trop peu de pauses (un effet de sa modestie ou de sa timidité peut-être ?) ; pas étonnant pour un journaliste, amoureux des mots au surplus. Il n'a pas l'aisance, le don d'improvisation, la tendance au cabotinage de Fabrice Lucchini mais il est agréable à écouter, avec une excellente diction, le sens de la chute et pas mal d'humour. Il est un peu dommage qu'il ne quitte pas ses notes pour raconter des anecdotes de façon plus spontanée ; le français y perdrait sans doute quelques belles périodes mais le spectacle serait plus vivant.
Sur le fond, j'ai retrouvé certains des meilleurs articles de son livre "Les mots de ma vie" ("Eau", "Femme", "Vieillir"…) dont j'ai rendu compte dans ce blogue.
Au chapitre des souvenirs, il y a ce premier engagement "aléatoire" et quasiment "miraculeux" au Figaro comme journaliste littéraire, lui qui avait très peu lu mais qui avait une famille vigneron dans le Beaujolais.
J'attendais beaucoup des "coulisses" d'Apostrophes, l'émission qui l'avait rendu célèbre… Là, déception ! À part quelques commentaires sur les passages de Nabokov, Simenon, Vincenot, Yourcenar et Duras, pas de confidences ni d'envolées lyriques. On n'apprendra rien de particulier sur ces écrivains contemporains, sauf que Nabokov excellait tant en français qu'en russe et en anglais et que Simenon ne s'était pas remis du suicide de sa fille...
B. Pivot nous a fait le coup, c'était couru, de sa dictée des "r", qu'il connaît par cœur… J'aurais eu une faute car je ne connaissais pas l'ers (le "s" ne se prononce pas), sorte de paillage...
Il aime remettre en lumière des mots anciens ou rares, comme "affiquet", "bagatelle de la porte" ou "fragonarde". Il n'est pas bégueule ni snob et ne rechigne pas à employer quelques expressions gaillardes ou familières ("la vieillesse, c'est chiant"…).
Il nous a aussi livré quelques jeux de mots (Gino le pieux et Fausto le pieu…) et quelques faux aphorismes à la mode "tweet", mode de communication qu'il affectionne apparemment.
Au total, un bon moment consacré à la langue française !
07:30 Publié dans Actualité et langue française, Écrivains, Littérature, Pivot Bernard, Règles du français et de l'écriture | Lien permanent | Commentaires (2)
25/01/2016
Table, chien, cheval : un mot en vaut-il un autre ?
Apparemment les mots n’ont pas d’importance ; ce sont des conventions pour désigner sans ambiguïté des objets ou des concepts, et pour se comprendre. Une table, par exemple, pourrait s’appeler tout aussi bien « chaise » mais il se trouve que c’est une table…
En fait nous sommes attachés aux mots, ils résonnent en nous et certains nous plaisent particulièrement (par exemple, j’adore « calamiteux », « fortuit », « dérisoire »…).
Bernard Pivot a écrit un livre sur les mots qui ont jalonné sa carrière (voir mes billets antérieurs à ce sujet) et Jean-Paul Sartre a écrit « Les mots ».
Quand quelqu’un emploie un mot à la place d’un autre, cela nous agace (surtout quand le snob utilise un terme anglais à la place d’un équivalent français courant). Cela peut aussi être drôle. Je vous ai déjà parlé d’une collègue qui modifiait, sans le vouloir, des expressions toutes faites ; je vous avais d’ailleurs promis de publier quelques-unes de ses meilleures perles. Cela viendra.
J’en étais là quand je suis tombé sur le Préambule de la pièce de Jean Tardieu « Un mot pour un autre », que voici.
« Vers l’année 1900… une curieuse épidémie s’abattit sur la population des villes, principalement sur les classes fortunées. Les misérables atteints de ce mal prenaient soudain les mots les uns pour les autres, comme s’ils eussent puisé au hasard les paroles dans un sac…
Ce fait historique – hélas contesté par quelques savants – appelle les remarques suivantes :
- Que nous parlons souvent pour ne rien dire ;
- Que si, par chance, nous avons quelque chose à dire, nous pouvons le dire de mille façons différentes ;
- Que les prétendus fous ne sont appelés tels que parce que l’on ne comprend pas leur langage ;
- Que, dans le commerce des humains, bien souvent les mouvements du corps, les intonations de la voix et l’expression du visage en disent plus long que les paroles ;
- Et aussi que les mots n’ont, par eux-mêmes, d’autres sens que ceux qu’il nous plaît de leur attribuer.
Car enfin, si nous décidons ensemble que le cri du chien sera nommé hennissement et aboiement celui du cheval, demain nous entendrons tous les chiens hennir et tous les chevaux aboyer ».
07:30 Publié dans Théâtre, Vocabulaire, néologismes, langues minoritaires | Lien permanent | Commentaires (0)
14/01/2016
Alain Mabanckou au Collège de France
Alain Mabanckou, romancier francophone, essayiste et enseignant en Californie, né en République du Congo, prix Renaudot 2006, vient d'être nommé, à 49 ans, professeur au Collège de France, titulaire de la chaire de création artistique (les Arts incluant la littérature) pour l’année 2015-2016.
Cette chaire couvre un vaste domaine ; en voici les titulaires depuis 2005 :
- Tony Cragg - Les objets parlent (2013-2014)
- Karol Beffa - Musique : art, technique, savoir (2012-2013)
- Gilles Clément - Jardins, paysage et génie naturel (2011-2012)
- Anselm Kiefer - L'art survivra à ses ruines (2010-2011)
- Jacques Nichet - Le théâtre n'existe pas (2009-2010)
- Pierre-Laurent Aimard - Paramètres et dimensions de l’interprétation musicale (2008-2009)
- Pascal Dusapin - Composer : Musique, paradoxe, flux (2006-2007)
- Christian de Portzamparc - Architecture : figures du monde, figures du temps (2005-2006)
Le nouveau cours, intitulé « De la littérature coloniale à la littérature négro-africaine », commencera fin mars 2016. En voici le programme :
http://www.college-de-france.fr/media/alain-mabanckou/UPL...
J’ai déjà parlé de M. Mabanckou dans ce blogue ; relire le billet du 20 mai 2015 : http://lebienecrire.hautetfort.com/archive/2015/05/21/bra...
A. Mabanckou, formé à Brazzaville et à Paris (DEA de droit des affaires !), n'en est pas moins sévère avec la France, avec ses élites littéraires et avec sa (supposée) condescendance envers les autres littératures francophones.
Il dit aussi "Si vous voulez comprendre Paul Claudel, il est intéressant de lire les poèmes de Léopold Sédar Senghor" et souligne l'apport de l'univers de la littérature africaine (qu'il appelle "littérature négro-africaine") dans le concert de la mondialisation.
N'est-ce pas une belle illustration de la francophonie : des convictions, des revendications, des rancunes sans doute mais tellement de points communs (dont la liberté d'expression) entre francophones d’origine très diverses ?
Qui bene amat bene castigat !
07:30 Publié dans Actualité et langue française, Écrivains, Francophonie, Littérature, Mabanckou Alain, Roman | Lien permanent | Commentaires (0)