26/02/2015
Lectures (III)
J’avais dit que « Lectures » était d’un abord difficile. Voici son début, son « Longtemps je me suis couché de bonne heure », daté de 2002 :
« Mardi, sieste.
Question de Mrs. Sheridan à Disraeli :
- qu’est-ce qui est le plus désirable ?
- un cortège splendide, de l’adolescence au tombeau ».
On se dit immédiatement que ce type se fout de nous. Outre que ses siestes nous importent peu, ses citations non référencées et elliptiques nous sont de peu d’enseignements.
Page 68, sous le titre « Littérature française », il rend compte du livre « Gens de Beauce » de Gaëlle Obiégly. « Il est question d’une certaine Jeanne M., jeune fille de province, vivant comme un petit animal : les sensations, la douleur, les autres, comme des animaux eux aussi. Tout cela dense, une chronique d’ombre et de boue étincelante ». Très bien. Mais il conclut son analyse par ces mots : « Qu’est-ce que c’est que cette histoire de littérature à bout de souffle ? Qui parle ainsi ? Au nom de quoi ? » et passe à autre chose. Débrouillez-vous avec ça…
À la première lecture, j’ai compris qu’il éreintait cette chronique provinciale mais la formulation en était alambiquée.
Dans un second temps, j’ai deviné que, probablement, il éreintait les oiseaux de mauvais augure qui éreintaient une littérature française prétendument « à bout de souffle » et dont au contraire, « Gens de Beauce » serait un magnifique contre-exemple. Et qu’il contestait à ces oiseaux, toute légitimité pour ce faire…
Ça fait quand même beaucoup d’ambiguïté dans un verdict de trois lignes ! On doit pouvoir écrire (et parler) un français plus clair, surtout quand on est critique littéraire…
Heureusement ses goûts littéraires, je les ai déjà évoqués, sont les nôtres, cela le rend familier et amical.
Tout d’un coup, un mardi d’avril 2004, il décide « solennellement » de relire toute la Comédie humaine (Balzac). Ce qui indique qu’il l’a déjà lue intégralement. Alors là, chapeau !
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25/02/2015
Lectures (II)
Je reviens aujourd’hui sur le Journal littéraire de Michel Crépu.
À propos du livre de Marc Fumaroli (une autre de nos connaissances) « Chateaubriand : poésie et terreur », il écrit : « Depuis Beckett, lu en 77-78 à Censier, Chateaubriand est ce que j’ai lu de plus fort. Une première lecture d’adolescence dormait dans ma mémoire. Et puis, soudain, tout se réveille, il y a vingt-cinq ans ».
Fumaroli considère Chateaubriand comme le premier écrivain du XXè siècle, un visionnaire, qui a écrit, à propos de la noblesse et de la Révolution : « ce qui rend la société française incomparable et qui rachète nos défauts… c’est cette absence de toute morgue et de tout préjugé, cette inattention à la fortune et aux noms, ce nivellement naturel de tous les rangs, cette égalité des esprits ».
Et Crépu de conclure, page 51 : « Nous y sommes, la scène se passe à Berlin, au livre 4 de la première partie des Mémoires, Chateaubriand est tout seul ce soir, dans sa chambre. Il entend, porte de Brandebourg, « les pas sur la neige de l’homme qui siffle les heures ». C’est là, c’est maintenant ».
Rousseau est le premier maître du jeune Chateaubriand. « Il doit à Rousseau son amour de la liberté, son adhésion au principe de l’égalité, sa compassion pour tout ce qui souffre et son sens romantique de la passion ».
Voilà ce que nous sommes… Ces maîtres ont formé notre vision du monde, ne serait-ce qu’à travers les extraits de leurs œuvres étudiés en classe.
Quid de ceux qui n’ont pas lu Chateaubriand (ou Hugo et les autres) ?
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21/02/2015
Lectures (I)
C’est sous ce titre plein de promesses – « Lectures » – que Michel Crépu, directeur de la Revue des deux mondes, a publié en 2009 son Journal littéraire des années 2002-2009. Il y consigne de menus événements de sa vie – « Tuileries, ciel bleu pâle sur la Seine grise », rencontrer tel écrivain, voyager ici ou là dans le monde – mais surtout il commente ses lectures, et elles se succèdent à un rythme effréné. Et il ne lit pas n’importe quoi : Plotin, Chateaubriand, Proust, Chalamov, Soljenitsine, Beckett…
Au premier abord, dans les premières pages, c’est décousu et désinvolte : il se contente souvent de phrases courtes, sans verbe, sans aucun liant. Parfois on ne comprend rien à ce qu’on lit, soit parce que c’est trop elliptique, sans développement, soit parce que le sujet philosophique traité nous échappe. Ce gars-là écrit abscons ; voici par exemple la péroraison de son avant-propos, sous le tire « Nautilus » : « À l’interchangeable du langage marchandise, on oppose ici l’expérience singulière d’un acte. À l’actualité brouillonne et forcenée, l’inactualité du signe, son feu précis ». Ça commence bien…
Chemin faisant, des fenêtres s’ouvrent sur l’actualité, brièvement évoquée : l’élection présidentielle…
Et pourtant, on lit sans difficulté les 444 pages de cet épais volume, d’autant que la phrase se fait plus ample quand on avance et qu’il attaque le commentaire des « gros morceaux » que sont les Bienveillantes (J. Littell) ou l’Archipel du Goulag (A. Soljenitsine). Il picore une phrase par ci par là ou alors il saute du coq à l’âne parce que tel passage le fait penser à un autre livre.
Parlant d’un livre sur Proust qui vient de sortir, il regrette que l’on n’ait pas d’enregistrement de sa voix, de même que l’on n’a pas de photo de Chateaubriand (heureusement, on a Pamela Anderson sous toutes les coutures, pour l’éternité numérique…).
Je m’aperçois que je suis en train d’écrire la critique d’un livre de critiques littéraires ! Déjà que c’est difficile de dire ce que l’on pense d’un livre, si l’on ne veut pas raconter ni l’histoire ni le dénouement, et si l’on veut donner un avis « objectif », argumenté. Mais là, un avis sur des avis… Il reste que c’est fascinant de lire ce que pense un autre lecteur des livres qu’on a lus, et quel lecteur ! Donc je continue.
Il relit Sodome et Gomorrhe et, tout de suite, il est capable de disserter sur le comportement du baron de Charlus et de la princesse Sherbatoff. Puis il écrit : « Plus tard, le soir tombe sur la mer. Devant le Grand Hôtel, le drapeau claque et un orgue de Barbarie joue des valses viennoises. Apaisement. Dans la vie courante, il y a des poignées de secondes comme ça. Seul dans sa chambre, le narrateur réalise alors que sa grand-mère n’est plus. Le temps a changé de braquet : tout à coup, c’est le grand mystère de la mort ». Il a dit beaucoup de choses sur le livre sans vraiment le déflorer ; il est proustien.
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