01/07/2015
Dieu, mais que Natacha écrit bien !
Donc j'ai attaqué la lecture de "Ce pays qu'on abat" (Plon - Le Figaro, 2014) de l'irrésistible Natacha Polony. C'est la compilation des billets de son blogue entre 2009 et 2012 (je vous en ai déjà parlé) d'une part et de ses chroniques dans le Figaro entre 2012 et 2014 d'autre part.
Je te le dis tout de suite, public, ce pavé de 362 pages se lit comme on boit une bière après l'effort mais il me pose un double méga-problème : d'abord je suis d'accord avec quasiment tout ce qu'elle écrit - et cependant je ne peux quand même pas recopier dans mon propre blogue des pages entières du sien…- et ensuite ce qu'elle a écrit n'est plus à écrire - et donc sa maîtrise de l'exercice met en question la pertinence et l'opportunité du mien (d'exercice)...
Et d'autant plus que je retrouve les miennes dans certaines de ses interrogations. Par exemple : "Certains commentateurs de ce blog trouvent qu'il y manque quelques remarques positives, quelques raisons de se réjouir. N'étant pas particulièrement douée pour l'optimisme béat, je pratique plus volontiers, il est vrai, une forme de critique qui pourtant dessine en creux des affinités électives". De mon côté, j'ai bien commis quelques billets intitulés "Émerveillements" mais je suis sûr que tu t'es déjà dit, public, que j'exagérais l'importance à consacrer aux dégâts du franglais et que ce blogue pourrait être plus "souriant"...
Elle a alimenté son blogue pendant trois ans mais tous les dix jours seulement. Moi, je vais souffler sa première bougie… aujourd'hui. En fait sa trois cent soixante quinzième ! Vais-je tenir trois ans ? Le faut-il ? Ce qui est sûr, c'est que le Figaro ne me proposera pas une chronique, ni quotidienne ni hebdomadaire.
Et en plus - cela fera plaisir à FPY - elle adore le dessinateur Fred et son Philémon. Nous aussi !
Trêve de bavardage. Seule solution face à Natacha : faire la promotion de son bouquin, inciter mon public à l'acheter et aller y voir, et pour cela, se permettre de citer quand même quelques bonnes pages (j'ai bien fait la même chose pour celui de Cécile Ladjali, avec moins de circonvolutions…). Mais bon, encore une fois, alerte-moi, public, si tu trouves que ce blogue se satisfait de peu en paraphrasant (en toute transparence, reconnais-le) des textes publiés et facilement accessibles. L'inversion de la courbe (de la fréquentation du blogue) qui est repassée depuis plusieurs jours sous la barre symbolique des 100, est pour moi une alerte… Que vos commentaires m'éclairent !
Revenons à notre Natacha préférée. Morceaux choisis.
"L'éducation n'est pas une illumination, elle est un cheminement. Elle ne relève pas du catéchisme, elle relève du magistère. Elle repose sur la relation de confiance entre les élèves et le maître…".
"… On se prête à rêver d'une route ensoleillée, qu'ombragent quelques platanes centenaires, et qui mène à la porte d'un village nous racontant les générations qu'elle a vu passer sous son arche. On sent les odeurs de foin coupé dans le bourdonnement des abeilles, quand la chaleur monte de la terre…" (à propos d'une lettre de Georges Pompidou, Président de la République, à Jacques Chaban-Delmas, protestant contre l'abattage systématique des platanes le long des routes).
"Une époque qui adule le présent au point d'interdire à quiconque de regretter ne serait-ce qu'une part infime du passé, est une époque totalitaire. Ce qu'elle déteste par-dessus tout, ce sont ces mauvais coucheurs qui ne croient pas qu'ils vivent dans les meilleurs des mondes possibles, ceux qui par leur amour d'un lieu, d'un petit geste oublié, d'un visage ou d'une habitude, résistent au lavage de cerveau publicitaire d'une société qui nous vend du bonheur sur écrans plats" (à propos de la nostalgie).
"Ce que nous apprend la fréquentation des grandes œuvres de l'esprit humain, de l'Iliade aux Misérables, en passant par le Conte du Graal ou les Sermons de Bossuet, c'est ce que nous partageons d'angoisse et de bonheur, d'espérance et de rêves, avec des hommes qui ont vécu en d'autres temps et d'autres lieux" (à propos de la violence).
"Il faut penser une éducation des filles centrée sur l'identification à des modèles valorisants et l'accès à la culture classique, notamment dans sa dimension française, c'est-à-dire galante , où les femmes trouvent la liberté par le langage" (à propos de l'émancipation des femmes).
"On voit mal comment on ferait comprendre aux peuples de ce continent que l'Europe est leur avenir si l'on refuse de leur rappeler qu'elle fut leur passé" (à propos de l'Europe).
"Entre les adorateurs du libéralisme économique qui ne comprennent pas que l'extension du marché à toutes les strates de la société - éducation, alimentation, production du savoir, etc. - détruit les valeurs dont il prétendent se réclamer,
et les adorateurs de l'extension des droits individuels qui ne voient pas que la destruction des anciennes institutions sert l'extension du parché qu'ils croient combattre,
partout règne l'incohérence au nom d'une hémiplégie politique" (dans sa préface).
07:30 Publié dans Actualité et langue française, Littérature | Lien permanent | Commentaires (0)
27/06/2015
Patagonie, mon amour
Jean Raspail s'était fait connaître, dans les années 70, par un roman, "Le camp des Saints", au thème complètement stupide et irréaliste : des émigrants débarquaient en nombre sur la Côte d'Azur et envahissaient la France...
À l'époque, j'étais plutôt "Pouvoir des fleurs" au sens de "Jeunes filles en fleur", j'écoutais mes premiers 33 tours (Chicago, Pink Floyd et José Féliciano) et je découvrais l'École des Nobel… autant dire que les intuitions d'un écrivain classé franchement à droite me passaient largement au-dessus de la tête.
Beaucoup plus tard, j'ai découvert son roman "Moi, Antoine de Tounens, roi de Patagonie" (1981), Grand Prix du roman de l'Académie française, dans lequel il raconte la vie, réelle, d'un avoué de Périgueux qui s'était proclamé "roi de Patagonie et d'Araucanie" en 1860.
Déjà, en 1976, dans "Le jeu du roi", l'écrivain avait imaginé qu'un prétendu descendant du roi de Patagonie reconstituait un royaume dans un fort de la côte normande… C'est dire que cette histoire lui tenait à cœur.
Bien avant, donc, qu'un chanteur populaire qui se prend pour un chanteur lyrique, ne s'y réfugie pour échapper au fisc français...
Ce roman est merveilleux mais ce qui l'est bien plus encore, c'est que Jean Raspail a créé dans sa maison de Provence, le Consulat général de Patagonie, et que des lettres y affluèrent, demandant la nationalité patagonne ! La réalité avait rattrapé la fiction, qui elle-même paraphrasait la réalité.
Il paraît qu'aujourd'hui 5000 Français revendiquent cette nationalité, à la suite de Verlaine, Charles Cros, Camille Flammarion et Zola ! Notre connaissance, Dominique Bona, est sur la liste, de même que Michel Déon.
Les impétrants se reconnaissent dans les quatre mots suivants : tendresse, ironie, fierté et mélancolie, et dans le drapeau bleu, blanc, vert.
La farce sympathique, burlesque et épique continue : en 1998, un commando s'est emparé d'un rocher anglais du type Malouines et en 2012 un hangar à dirigeables a été assailli par la SPASM (Société patagonne d'assistance et de sauvetage en mer).
Tout cela est raconté par un article d'Éric de Montety dans le Figaro du 10 avril 2015.
Quant à Jean Raspail, disparu récemment, il a écrit d'autres romans de la même veine, consacrés à d'improbables dynasties teutonnes, à mi-chemin entre le Maurice Leblanc de 813 et la grande histoire.
07:30 Publié dans Histoire et langue française, Littérature | Lien permanent | Commentaires (0)
19/06/2015
Dis-moi ta bibliothèque, je te dirai qui tu es (II)
La construction du livre de Cécile Ladjali "Ma bibliothèque" est remarquable car elle ne se voit pas, elle n'est pas ouvertement "cartésienne" ni didactique.
C'est une promenade entre ses rayonnages, à travers la littérature qu'elle aime, avec des souvenirs, avec l'évocation de passions littéraires, avec des analyses et des anecdotes sur les auteurs de son Panthéon personnel.
Avec aussi sa façon à elle d'acheter, de lire et de classer ses livres. Ainsi :
"L'escalier me sert de bibliothèque provisoire. À l'endroit où les marches présentent la surface la plus large, je dépose les derniers livres achetés après m'être adonnée à un petit rituel. Toujours le même. Sur la page d garde, j'écris mon nom, la date et le titre du texte que je suis en train d'écrire… Et puis il est amusant, en rouvrant un roman des années après, de se souvenir dans quel état nerveux nous étions alors, quelle était notre rapport au sens, au temps, au dire, puisque l'œuvre avait été choisie une perlière fois pour aider à la rédaction du texte en cours. Il n'est pas rare que je lise cinq volumes tout frais débarqués de la librairie en même temps, ce qui me conduit à leur trouver des correspondances légitimes, alors qu'aucun lien naturel ne m'y autorise en principe. Mais l'escalier-bibliothèque est le tronc d'un arbre généalogique. C'est lui qui diffuse la sève vers les branches-fouillis au bout desquelles fleurissent les familles d'écrivains que j'invente en lisant. Une fois la lecture de chaque œuvre achevée, je la range dans la bibliothèque et en replace de nouvelles sur les marches de l'escalier". Suit un page de titres et d'auteurs...
"La bibliothèque ajaccienne est petite. Pour y accueillir une centaine d'ouvrages, j'ai reconverti un buffet Art décor. Devant le rectangle du miroir qui surmonte le meuble en bois très sombre, sont posés les livres, si bien qu'on ne voit plus son tain… En Corse, je lis et j'écris beaucoup. Je lis pendant les siestes. J'écris tôt le matin, entre 6 heures et 9 heures. Lorsque le soleil monte, je sais que je ne suis pas la seule à inventer un nouveau roman…".
Dans son livre, on découvre aussi que de nombreux écrivains se sont intéressés à leur bibliothèque ou aux bibliothèques en général.
Par exemple "Cette ordonnance des formes m'évoque la belle couverture du livre de Jacques Bonnet, Une bibliothèque pleine de fantômes (Éditions Denoël), où ce sont les livres ordonnés sur une cheminée de marbre blanc qui apparaissent de façon magique dans le miroir fixé au trumeau".
Mais aussi Hermann Hesse "Une bibliothèque idéale", George Steiner "Les livres que je n'ai pas écrits", Henry Miller "Les livres de ma vie", Brian Stock "Bibliothèques intérieures", et sans parler de Umberto Eco, dont le livre célèbre "Le nom de la rose" est une sorte de métaphore de La Bibliothèque...
08:25 Publié dans Histoire et langue française, Littérature | Lien permanent | Commentaires (0)


