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11/07/2015

Pour la Grèce

Cavafy.jpgTu dis :

« J’irai vers d’autres pays, vers d’autres rivages. Je finirai bien par trouver une autre ville, meilleure que celle-ci, où chacune de mes tentatives est condamnée d’avance, où mon cœur est enseveli comme un mort. Jusqu’à quand mon esprit résistera-t-il dans ce marasme ? Où que je me tourne, où que je regarde, je vois ici les ruines de ma vie, cette vie que j’ai gâchée et gaspillée pendant tant d’années.
Tu ne trouveras pas de nouveaux pays, tu ne découvriras pas de nouveaux rivages. La ville te suivra. Tu traîneras dans les mêmes rues, tu vieilliras dans les mêmes quartiers, et tes cheveux blanchiront dans les mêmes maisons. Où que tu ailles, tu débarqueras dans cette même ville. Il n’existe pour toi ni bateau ni route qui puisse te conduire ailleurs. N’espère rien. Tu as gâché ta vie dans le monde entier, tout comme tu l’as gâchée dans ce petit coin de terre".

 

 

La ville (1910)

de Constantin Cavafy (1863-1933)

poète grec né à Alexandrie (Égypte)

Traduction du grec de Marguerite Yourcenar et Constantin Dimaras,

Éditions Gallimard/Poésie, 1994, ISBN : 2070321754, page 9

 

10/07/2015

Le livre que la bibliothèque ne contiendra jamais

À AL.

"J'ai toujours eu le blanc en horreur. Quand je pense au blanc, j'ai froid. Je vois une page où les mots ne sont pas écrits. Une bibliothèque aux rayonnages vides. Pourtant il faudrait que j'apprenne à aimer cette couleur, comme il faudrait que je supporte la vue d'un feuillet sans signes et cesse d'empiler des livres dans ma bibliothèque.

Je l'aime et la déteste ma bibliothèque. Elle me rend légère mais souvent me leste. Je la trouve à la fois belle et hideuse. Parce qu'elle me ramène à moi. À mon visage.

Lucian Freud a dit : Tout est autobiographie et tout est portrait, même si ce n'est qu'une chaise. En peignant ma bibliothèque, j'ai livré une image de moi. Et j'ai vu mes manques, tout ce que je ne sais pas.

Il faudrait composer avec ses blancs, cesser d'avoir peur. Admettre que l'histoire n'est pas écrite et que l'absence fait de nous des êtres libres, pouvant ouvrir la porte et disparaître derrière un mur de livres pour aller chercher celui que la bibliothèque ne contiendra jamais".

Ainsi se termine "Ma bibliothèque" de Cécile Ladjali (Seuil, septembre 2014), un livre touffu, passionné, bourré de culture et, en conséquence, pas toujours explicite ni clair. Une promenade qui commence par les rayonnages de sa bibliothèque et se termine par des œuvres qu'elle aime, en passant par un retour aux thèmes de "Mauvaise langue" (l'enseignement, la transmission, le manque de recul et de silence, les outils modernes de communication...), mais toujours en flânant, en sautant d'un sujet à l'autre, sans guide apparent.

Impressionnant, à lire par les passionnés de littérature et de lecture.

 

 

02/07/2015

Bibliothèque mazarine

Dans son livre "Ma bibliothèque", voici comment Cécile Ladjali décrit la bibliothèque de la Sorbonne, là où elle a préparé son agrégation, là où elle a lu toute "La Recherche" et là où, après des travaux d'agrandissement, elle a été invitée à lire un texte lors de sa réouverture.

Bibliothèque de la Sorbonne.jpg"Car malgré ces bouleversements manifestes, je reconnaissais les sortilèges qui ont fait les très riches heures de la bibliothèque. Son odeur, sa lumière, douce invite à l'étude, et surtout son silence éloquent. Ils parlaient tous dans le cadre des grandes fresques : François Ier et l'imprimeur Estienne, Richelieu consultant les plans avec son architecte. Les étudiants, plume piquée à l'esbroufe, qui donnait aux silhouettes rouges ou noires des allures faustiennes. Ils toisaient, ces jeunes gens, les bustes marmoréens des conservateurs qui veillaient sous le grand plafond où volent les allégories réunies de la Poésie et de la Science. En son syncrétisme aride, l'esprit du lieu était là.

Il y eut les mots inscrits dans le marbre, ceux tracés à l'encre verte par les moines copistes, puis ceux confiés au vélin des in-quarto. À présent, ils courent, les mots, sur les écrans de cristaux liquides.

Mais les fables sont toujours les mêmes, comme les lecteurs, amoureux, immuables, installés dans leur dévotion. Celle vouée aux signes, pourvoyeurs de l'intelligence et de la beauté".

"… Car une bibliothèque est un lieu de mémoire mais aussi un sanctuaire où s'énonce et se vit le principe de transmission auquel j'accorde tant d'importance. Les livres nous lisent plus que nous ne les lisons, comme nous nous abandonnons à la douce tyrannie d'un professeur ou à la terrifiante emprise qu'un lieu exerce sur notre cœur".

"… J'ai lu, écrit, appris, beaucoup douté, dans cette bibliothèque. Et j'ai eu le sentiment, le soir de l'inauguration, en revenant sous les grands ciels peints pour en taquiner un peu les allégories, de regarder Méduse en face pour la première fois, avec la douce confiance néanmoins de ne pas être changée en pierre".

Très belle page 77, non ? 

PS : Esbroufe : comportement fanfaron