12/12/2014
Émerveillements II : quel livre a changé votre vie ?
J’avais prévu de vous parler de lisibilité, de mémorisation et de graphie… Ce sera pour un autre jour car l’actualité prime.
Hier, en effet, François Busnel nous conviait, dans sa Grande Librairie sur France 5, à la révélation du classement des livres plébiscités par le plus grand nombre de téléspectateurs.
Et les téléspectateurs ont répondu !
Peu importe que le classement final propulse « Le petit prince » d’Antoine de Saint Exupéry en n°1…
Peu importe que Jean d’Ormesson, pétillant et souriant comme d’habitude, en ait été déçu et se soit d’ailleurs fourvoyé sur le sens de l’émission : l’essentiel n’était pas que son Panthéon personnel (Proust, Homère et Cervantès) gagne le concours mais de voir quels sont les livres les plus marquants pour les Français d’aujourd’hui !
Peu importe que Amélie Nothomb ait été incapable de parler de ses goûts littéraires et ait multiplié les moues et les rictus fort peu photogéniques ; que Jean Teulé en ait rajouté à son personnage paillard et grossier, passant cinq bonnes minutes à nous raconter des inventions pataphysiciennes de Boris Vian (à noter que Jean Teulé partage mon indifférence à Madame Bovary, qui l'a profondément ennuyé) ; qu’au total les invités parisiens et médiatiques habituels en aient fait des tonnes, en particulier Éric Orsenna…
Voici les 20 livres qui ont changé votre vie :
1 - "Le petit prince" - Antoine de Saint-Exupéry
2 - "L'étranger" - Albert Camus
3 - "Voyage au bout de la Nuit" - Louis-Ferdinand Céline
4 - "L'écume des jours" - Boris Vian
5 - "A la recherche du temps perdu" - Marcel Proust
6 - "Le Grand Meaulnes" - Alain Fournier
7 - "L'alchimiste" - Paulo Coelho
8 - "Belle du seigneur" - Albert Cohen
9 - "Cent ans de solitude" - Gabriel García Márquez
10 - "Les Fleurs du Mal" - Charles Baudelaire
11 - "La Peste" - Albert Camus
12 – « Harry Potter » - J. K. Rowling
3 - "1984" - George Orwell
14 - "Le monde selon Garp" - John Irving
15 - "Crime et Châtiment" - Fiodor Dostoïevski
16 - "Le seigneur des Anneaux" - J.R.R. Tolkien
17 - "Le Parfum" - Patrick Süskind
18 - "Le journal d'Anne Frank" - Anne Frank
19 - "Madame Bovary" - Gustave Flaubert
20 - "Les Misérables" - Victor Hugo
Cette émission était très importante parce que, à une heure de grande écoute, elle parlait de littérature et, bien plus que cela, elle montrait l’engouement persistant des Français pour les livres.
À la question qui motivait cette enquête : quel livre a changé votre vie ?, les téléspectateurs ont apporté des réponses concrètes et souvent très émouvantes ; un livre de Maxence Vandermeersch a décidé un ajusteur à devenir médecin ! La Peste et l’Étranger ont marqué beaucoup de lecteurs, on le sait. « Lire pour vivre » disait Flaubert ; on y est. Et cela fait autant d’éléments et d’arguments pour ce blogue qui s’intéresse en particulier à savoir à quoi sert la littérature.
Dans le classement, on retrouve, évidemment, tous les chefs d’œuvre dont on parle ici : La recherche du temps perdu, Belle du Seigneur, Cent ans de solitude…
On n’y voit ni Sartre ni les Prix Nobel français ni la littérature de plage… quel bonheur ! et on est passé très vite sur Paulo Coelho, qui n’en valait pas plus. On peut discuter du podium obtenu par le « Voyage au bout de la nuit » de Céline, qui est loin de m’avoir emballé, et même de la quatrième place de « L’écume des jours » de Boris Vian, que j’ai adoré mais qui supplante Proust, Garcia-Marquez, Baudelaire et Hugo.
Autre moment fort : les personnes qui ont changé votre vie. Plusieurs témoignages ont fait état de l’importance de certaines rencontres et, en particulier, très souvent, d’un professeur de lycée. Un souvenir personnel ? En Terminale, je m’accrochais pour rester dans les cinq premiers en mathématiques mais je me réjouissais des cours d’histoire (ah ! Élisabeth L.…) et surtout de français. J’avais choisi l’option « français » plutôt que « philo » ; résultat, je n’ai jamais fait de philo de ma vie mais Proust m’est tombé sur la tête ; cela m’a valu quelques copies notées 18 ou 19, avec la mention « écrivez moins dense et préservez les marges »... J’ai dévoré « La Recherche » pendant l’été qui a suivi et depuis, je n’ai pas trouvé mieux.
Un seul conseil donc à ceux qui travaillent tard ou se couchent tôt : revoir La Grande Librairie sur le site de France 5 !
08:19 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0)
10/12/2014
Écrivains contemporains et langue française : Jacques Chauviré encore (VIII)
Donc, Jacques Chauviré, après une période de doute consécutif à la disparition de l’un de ses petits patients, commence à écrire sur le conseil d’Albert Camus, avec qui il correspond. Écrivant la nuit, en marge de son métier, il publie cinq livres, sans grand succès, entre 1958 et 1980, date à laquelle il prend sa retraite et arrête d’écrire. Il se retire dans la maison familiale des bords de Saône.
En septembre 2003, après vingt ans de silence donc, il publie « Élisa », le court récit de l’amour d’un enfant pour la jeune fille qui le garde. Jacques Chauviré, qui a alors 88 ans, a l’impression de rajeunir ; c’est le succès littéraire. Je découvre ce livre fin décembre 2004 et je m’enthousiasme pour ce condensé du « Messager » et de « l’Amour au temps du choléra ». J’écris dans mes notes : « vivement la suite », sans savoir que c’est le dernier ouvrage du Docteur Chauviré, qui disparaît le 7 avril 2005.
La suite ? C’est dans les « Mouettes sur la Saône » qu’il faut la lire, un chef d’œuvre de sensualité selon Jérôme Garcin (dans son article du Nouvel Observateur de décembre 2003 dont j’ai extrait quelques éléments de ce billet). Ce n’est qu’en juillet 2008 que j’ai dévoré ce gros roman sur l’enfance, la campagne, la maison de vacances l’été, l’ancien temps, la France des années 20 ; poésie, nostalgie, caractères évoqués aux destins originaux… un très grand livre.
Plus tard, j’ai lu également « La Terre et la Guerre », qui n’atteint pas le même pouvoir d’émotion. On retrouve le leit-motiv de l’eau du fleuve et des étangs mais j’ai eu l’impression d’une paraphrase de J. Chauviré par lui-même. Le sujet – une fresque de la Première guerre mondiale, en hommage à son père – était peut-être trop ambitieux ?
Voici encore quelques lignes de Jacques Chauviré :
« Je suis maintenant très vieux. Certains s’interrogent. Il y a parfois des conciliabules autour de moi…
Je me souviens. Ma mère, Élisa qui me furent chères et le demeurent ne sont plus, au mieux que des âmes… Alors je suis en deuil et l’enfant-vieillard ou le vieillard-enfant que je suis devenu ne sait plus très bien ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas ».
08:00 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0)
09/12/2014
Écrivains contemporains et langue française : Jacques Chauviré (VII)
Les Grands de la littérature, je les vois en cercles concentriques ou en pyramide : au centre (ou au sommet), les Intouchables, les Géants : Hugo, Balzac, Proust, Zola sans doute, Flaubert peut-être, que je n’ai pas lu... Dans le deuxième cercle, mais tout près, soit parce qu’ils sont moins universellement reconnus, soit parce que leur production romanesque est d’envergure plus modeste : Giono, Garcia-Marquez, Durrell, Camus, Gary, Albert Cohen…
À la périphérie (ou à la base), les écrivains à la mode, les écrivains pour la plage ou le métro, l’hypermarché Leclerc de la littérature : Musso, Marc Lévy et tous les autres…
Et entre les deux, un peu confidentiels, ceux que j’ai découverts par moi-même, au premier rang desquels Magnan et Chauviré.
La langue et l’inventivité épique du premier ont quasiment toutes les qualités de celles de Giono ; seulement, il y avait Giono… toujours la prime au premier sur le marché, comme dans la mondialisation !
Le second a souffert d’entrer fort tard en littérature, à l’issue des quarante ans de sa carrière de médecin généraliste dans une petite ville de Saône et Loire. Mais, en quelques années, encouragé par Camus, et influencé par lui, il a publié quelques romans remarquables, et aussi des nouvelles, inspirés de sa pratique et de sa propre histoire.
Jacques Chauviré manie à la perfection la concision (les phrases de 15 mots !), la précision, le rythme de l’écriture, au service d’un talent de conteur et d’humaniste. Tout cela culmine en deux sommets de son art : « Les mouettes sur la Saône » (1980), souvenirs d’enfance, et « Élisa » (2003), nostalgie d’un amour d’enfant.
Il a aussi écrit un livre sur la guerre de 14-18, qui a fait mourir son père sur les champs de bataille, « La terre et la guerre » (1964).
Modeste, généreux, attentif aux souffrances des hommes et pudique, Jacques Chauviré a écrit lui-même sa biographie dans la postface de deux nouvelles terribles « Fins de journées » (1990). En voici quelques extraits :
« Dérives et naufrages sont dans la nature de l’homme. Je ne crois guère à l’innocence. Mais la pitié et le pardon appartiennent à tous »…
« Je suis issu d’un milieu modeste où comptait la notion du bien et du mal »…
« En 1942, je me suis installé à Neuville-sur-Saône comme médecin généraliste. J’y suis resté quarante ans. Les fenêtres de mon bureau donnaient sur la rivière »…
« Après avoir exercé pendant quelques années et après avoir beaucoup lu, il m’a paru nécessaire et naturel de m’interroger sur le sens de mon métier. J’avais, au fil du temps, appris que le médecin perd toujours »…
« Un soir d’été, j’écrivis à Albert Camus qui me répondit. De là naquit une correspondance »…
« Le ton de l’Étranger, la voix qui murmure dans la Chute, l’écriture d’Un cœur simple n’ont cessé de me poursuivre et de me préoccuper. D’autres m’ont aussi accompagné, et d’abord Baudelaire et Racine, puis Saint-Simon, le Rousseau des Confessions et des Rêveries, Proust. Et, proches de nous, Cioran et Le Clézio ».
« Il est vrai que mes livres n’ont pas de héros et que leurs personnages sont gens du quotidien. Ce sont eux que j’ai rencontrés. Ils m’ont paru dignes d’intérêt parce que simples, pudiques et souvent fidèles ».
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