27/01/2015
Les filles de rêve ne sont pas décevantes (I)
Elles n’ont pas fait de commentaires mais elles ont sûrement été fâchées… les filles de rêve que je connais, par mon billet du 17 janvier 2015.
Mais non, vous n’êtes pas décevantes, bien au contraire !
Pour bien me faire comprendre, je suis obligé de revenir sur le livre éponyme d’Alain Corbin et sur sa définition d’icelles.
Alain Corbin ne parle pas de filles réelles, dont on peut rêver il est vrai mais en référence à des « modèles suggérés par les lectures, la contemplation de tableaux et de statues (sic !), la fréquentation des théâtres ou de l’opéra » ; son livre a donc pour objet « une cohorte de filles de papier qui ont conditionné partie de l’imaginaire amoureux, sans que soit directement sollicité le désir vénérien ».
De quelles qualités leur vient donc leur emprise ? la beauté et le teint du visage, les yeux et l’éclat de leur regard, leurs cheveux (désolé mais ce sont des blondes, la plupart du temps…), la finesse de leurs mains et de leurs chevilles, leur maintien. « La fille de rêve ignore la puissance érotique de ses formes, dont elle ne fait pas l’exhibition. Elle est pudique, grave, réservée. Elle semble parfois inaccessible ». Côté moral, sa piété, sa sensibilité, sa tendresse, son courage, sa compassion. « Par définition, dans l’esprit des hommes, la fille de rêve est vierge, intacte, préservée ».
Pour Alain Corbin, la dualité, dans l’esprit des hommes, entre Vénus et Diane, a atteint son apogée au XIXè siècle et « la rupture radicale qui s’est opérée vers 1960 a refoulé non seulement dans le passé, mais dans la sphère de l’incompréhensible, voire du répréhensible, tout un pan de l’imaginaire amoureux ».
Pourquoi les années 60 ?
Alain Corbin invoque d’abord les artistes, peintres et écrivains, qui auraient abandonné Diane pour Vénus comme source d’inspiration. Surtout il décrit « le grand siècle du flirt (1870-1960). Pour nombre de raisons, les jeunes filles de l’élite cultivée perdent de leur mystère. Elles voyagent, font du sport, fréquentent les villes d’eau. On leur autorise la lecture de romans sentimentaux plus osés que naguère. Désormais, elles acceptent le croisement des regards désirants, les frôlements et les caresses, subtiles tout d’abord, puis profondes (sic)… (elles) attendent le voyage de noces, pratique en pleine expansion ».
« Tout change à la fin des années 1950 » avec les nouvelles méthodes de contraception. « Ce qui avait constitué la texture des filles de rêve depuis plusieurs siècles n’a désormais plus cours ». Les Belles au bois dormant n’acceptent plus d’attendre un siècle le Prince charmant…
À partir des années 70, tout s’accélère (l’impudique, la pornographie, les émissions de radio et les magasins « spécialisés »…).
Vénus a triomphé de Diane.
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18/01/2015
Des irs (Charles Aznavour)
Dans l’émission « Hier encore » de France 2, le 17 janvier 2015, Pierre Arditi a lu ce poème de Charles Aznavour, sorte d’ode aux verbes en –ir, ceux du deuxième groupe de notre enfance.
Les deux verbes qui le débutent et le terminent illustrent bizarrement, fortuitement, les événements tragiques de ces derniers jours…
Et ce bout rimé rappelle la créativité et la maîtrise de la langue de Charles Aznavour, 90 ans, natif d’Arménie, compositeur de centaines de chansons, défenseur infatigable de la chanson française et de l’esprit français, patriote qui n’oublie pas d’aider son pays d’origine quand la catastrophe le frappe.
Comme quoi...
Le rire est le propre de l'homme,
Hennir est celui du cheval
Pourrir est celui de la pomme,
Jouir, le devoir conjugal.
Nourrir est celui de la mère.
S'enfuir, celui du prisonnier.
Souffrir, la peur du pauvre hère.
Pétrir, celui du boulanger.
Trahir est le plaisir du traître.
Ouvrir, celui de l'huîtrier.
Bénir est le devoir du prêtre.
Noircir, la foi du charbonnier.
Jaillir est celui de la source.
Bondir, le ressort du ballon.
Ravir, celui de la Grande Ourse.
Courir, la foi de Marathon.
Unir est la fonction du maire.
Chérir, le bonheur des amants.
Fourbir celui du militaire.
Dormir, celui du fainéant.
Punir est le devoir du maître.
Bâtir, le bonheur du maçon.
Offrir, le plaisir de tout être.
Grandir, le but du petit con.
Rougir est celui de la vierge.
Haïr est celui du cocu.
Saillir, celui de la verge.
Surgir, celui de l'inconnu.
Blanchir, c'est le divin mystère.
Souffrir, c'est le mal des humains.
Vieillir, c'est notre lot sur Terre.
Finir, c'est le mot de la fin.
Et mourir, ça ne mène à rien.
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17/01/2015
Les filles de rêve sont décevantes
Non, je ne veux pas vous parler de Léa ou d'Audrey… à supposer que le titre de ce billet vous évoque l'une de ces jeunes femmes.
Je voulais vous parler du livre d'Alain Corbin "Les filles de rêve" (Fayard, 2014).
Et commencer par confesser un "état d'âme" : je ne suis pas critique littéraire et pire que cela, je n'ai pas fait "lettres modernes" ni aucune étude littéraire ; personne n'est parfait.
Donc, tant qu'il s'agit de dire du bien d'un livre ou d'un écrivain, même à tort, même à contre-courant, même pour de mauvaises raisons, pas de problème. Le seul risque est d'inciter quelques lecteurs à s'y intéresser et que, peut-être, ils soient déçus. Mais quand vient le moment de dire tout le mal que l'on pense d'un ouvrage, en profitant de la liberté d'expression, c'est une autre affaire : a-t-on le droit de détourner d'un livre des lecteurs potentiels ? Sachant que, d'une part, tous les goûts sont dans la nature et que, d'autre part, on peut s'être trompé, être passé à côté du sujet, avoir fait un contresens, voire manquer du "niveau" nécessaire pour apprécier l'œuvre en question et par conséquent nuire gravement à l'auteur.
Vous me direz : "Bon, eh bien, vous n'avez qu'à dire de quoi ça parle, et rien de plus !". C'est une piste… mais alors à quoi servirai-je ? à faire le magnétophone des notices-éditeurs ? De là à recopier carrément ces notices, il n'y aurait qu'un pas… Et même dans cette hypothèse, ce serait rendre un mauvais service aux amateurs de littérature car les notices sont souvent soit exagérément enthousiastes, soit floues, soit erronées quant au vrai sujet du livre.
Après cet exorde de pure rhétorique, je me lance. Donc, les filles de rêve…
L'éditeur prétend que "ce voyage à travers l'amour pur est une délicieuse invitation au fantasme". Voyons voir, comme on dit. Alain Corbin consacre dix-neuf chapitres, courts et essentiellement descriptifs, aux jeunes filles pures et jalouses de leur pureté, qui sont censées avoir ébloui les hommes des siècles passés ; leur figure tutélaire est Diane (Artémis), souvent appelée Diane chasseresse ; et on découvre (ou redécouvre) successivement Ariane ("ne coupez pas… !"), Iseult, Béatrice, Laure… jusqu'à Yvonne de Galais.
Alain Corbin, que je ne connaissais pas, est historien mais plutôt historien "transversal" ou "thématique", doublé d'un sociologue et d'un psychologue. Il a publié une vingtaine d'ouvrages aux titres explicites : misère sexuelle et prostitution au XIXè siècle, l'odorat et l'imaginaire social, l'Occident et le désir du rivage, l'homme dans le paysage, histoire du corps, jusqu'à une histoire de la virilité.
Ses filles de rêve, emmenées par Diane, s'opposent aux filles moins farouches, et jusqu'aux filles de joie, représentées par Vénus. Une bonne dichotomie pour faire du classement, ce n'est jamais mauvais mais de là à en faire une thèse et un livre… On ne voit pas très bien où il veut en venir.
La transition n'est pas son fort, la répétition si. Il s'agit probablement d'un travail universitaire à peine retouché.
J'ai noté pour vous, à l'appui de ma déception, quelques passages marquants :
"… deux des plus beaux vers de la langue française :
Ariane, ma sœur, de quel amour blessée
Vous mourûtes aux bords où vous fûtes laissée (Racine, Phèdre)…"
Deux des plus beaux, vraiment ?
"Il se réfère, par conséquent, au monde disparu qui constitue notre objet". Débrouillez-vous avec cette phrase.
"Puis commence l'ascension paradisiaque qui est vol surnaturel, à grande vitesse, dans l'espace cosmique, à destination du centre très lumineux : Dieu". "Béatrice est une créature céleste, non totalement décorporéisé". "L'échange des regards est en ce temps, perçu comme un tact".
D'une certaine façon, la thèse du livre est résumée par cette phrase du chapitre "Pamela" : "Cette insistance, qui organise tout le discours sur la vertu de Diane, que l'on perçoit intensément menacée fait que, selon moi, la figure de la fille de rêve se joue face à celle de la fille impatiente ou fragile non seulement incapable de se garder intacte, mais parfois avide d'initiation".
Le plus intéressant en fin de compte, ce n'est pas la thèse ou la quête, mais les rappels historiques : qui était Béatrice, qui était Laure ? qui ont-elles inspiré et torturé (puisque c'étaient des filles de rêve, vous avez compris le truc ?) ?
Et d'apprendre qui était Dulcinée, synonyme pour nous aujourd'hui de "sa chérie", "sa petite amie" ; Dulcinée était laide comme un poux et faisait rêver Don Quichotte !
PS. c'était le deux-centième billet de ce blogue.
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