11/03/2015
Lire pour aller mieux
Le Marianne du 20 février 2015 revenait sur ce thème déjà abordé ici : la thérapie par la lecture, la « bibliothérapie ». Bien sûr la littérature fait découvrir ce qu’on ne connaît pas, ce qu’on ne connaîtrait pas sans elle, elle nous fait comprendre les autres, elle nous fait réfléchir (voir mon billet sur Antoine Compagnon et sa leçon inaugurale au Collège de France). Voici quelques réflexions là-dessus :
« La littérature donne intimement accès à l’autre, élargit le champ de la connaissance et la profondeur de l’expérience » (Pierre Jourde). « La littérature ajoute du mystère aux êtres qui semblent submergés par la vie quotidienne, aux choses en apparence banales – et cela force à les observer avec une attention soutenue et de façon presque hypnotique » (Patrick Modiano, discours de réception du Nobel de littérature). « On lit par protestation de la vie. La vie est très mal faite » (Charles Dantzig, "Pourquoi lire ?")…
… mais elle a bien d’autres vertus : « Économiser du temps, rendre plus gentil, guérir de la solitude et préparer à surmonter les échecs » (Maria Popova, dans son blogue BrainPickings), « amplifier l’imaginaire moral, assurer une justice poétique, nous entraîner à la recherche du bien » (Martha Nussbaum, « L’art d’être juste »), « apaiser les passions collectives, proposer des solutions imaginaires à des problèmes possibles ».
Et les journalistes, Alexandre Gefen et Laurent Nunez, d’écrire : « Le réel ne serait vivable que grâce à des excursions dans la fiction »…
L’écrivain anglais Alain de Botton – drôle de nom pour un Anglais – suggère de lire les œuvres de fiction comme des manuels pour « surmonter les tensions et les frustrations de la vie quotidienne » (voir son livre « L’Art comme thérapeutique » et son école « The school of life »).
La lecture donc, mais aussi l’écriture, pour se soigner.
Montesquieu disait « Je n’ai jamais eu de chagrin qu’une heure de lecture n’ait dissipé ».
Et Proust (« Sur la lecture ») : « Il est cependant certains cas, certains cas pathologiques pour ainsi dire, de dépression spirituelle, où la lecture peut devenir une sorte de discipline curative et être chargée, par des incitations répétées, de réintroduire perpétuellement un esprit paresseux dans la vie de l’esprit. Les livres jouent alors auprès de lui un rôle analogue à celui des psychothérapeutes auprès de certains neurasthéniques ».
La bibliothérapie est « l’utilisation d’un ensemble de lectures sélectionnées en tant qu’outil thérapeutique en médecine et en psychiatrie. Et moyen pour résoudre des problème personnels par l’intermédiaire d’une lecture dirigée ». Son livre de référence est « Bibliothérapie, lire pour guérir » publié par Marc-Alain Ouaknin en 1994, vingt ans déjà. C’est l’acte de lire qui importe, et non pas les péripéties romanesques que nous lisons ni les personnages auxquels nous pourrions nous attacher. C’est une incitation à l’action. La lecture taquine et inquiète l’esprit du lecteur…
On est loin des définitions de Flaubert dans son « Dictionnaire des idées reçues » :
« Littérature : occupation des oisifs » et « Livre : quel qu’il soit, toujours trop long ».
L’écrivain Philippe Forest écrit lui : « Assigner à la littérature une fonction thérapeutique revient à lui confier la mission de justifier le monde et d’aider les hommes à se résigner à son scandale, à se faire une raison de son iniquité ». Pour certains en effet, l’écriture est avant tout un art du langage désintéressé du réel ; ils ne croient guère aux vertus cathartiques de la littérature.
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04/03/2015
La nouvelle tour de Babel selon Julien Green
Un peu par hasard, en butinant, j’ai trouvé cette citation de Julien Green (1900-1998) dans le blogue de Juan Asensio :
« Simplifier la langue appauvrit la pensée. La langue qu’on essaie d’instaurer par ordinateur pour faciliter les échanges devient un magma universel, sans la fantaisie du volapük ou de l’espéranto et conduit à la pensée unique. De nouveau on construit Babel avec le même orgueil, mais de nos jours c’est une Babel horizontale, on commence par la confusion, on l’étend. Le plus terrible châtiment est là : la confusion par la simplification »…
« De la confusion. Ce serait le traité qu’il faudrait écrire. Je n’ai plus l’âge de m’adonner à ce genre d’exercice, mais il est vrai que la confusion a remplacé la déesse Raison. Pour se borner au langage, nous en arrivons à une nouvelle Babel, cette fois en creux, car sans orgueil, sans espérances, sans dangers ».
Quelques mots en passant sur Juan Asensio : il a ouvert son blogue consacré à la littérature en 2004 ; spécialiste de Georges Bernanos, il a écrit également un essai sur Georges Steiner et collabore à diverses revues. Ses critiques, pour ce que j’en ai lu (une descente en flamme de Philippe Sollers – qui ne l’a pas volée – , une longue analyse du « Livre de ma mère » d’Albert Cohen), sont fouillées, documentées et très « bavardes ». Ce spécialiste, qui a failli faire une thèse de doctorat sur « la figuration du diable dans les romans de Bernanos, Green et Mauriac » parle à des spécialistes… béotiens s’abstenir !
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02/03/2015
Statistiques sur les hauts (et les bas à la rigueur)
La fréquentation moyenne de ce blogue a doublé depuis octobre 2014 : 66 visiteurs quotidiens.
Et un pic à 104 !
Je n'ai pas réussi (ni essayé d'ailleurs) à identifier les causes des hauts et des bas… Il est sûr qu'il y a une certaine périodicité, à peu près hebdomadaire, mais quant à la corréler à une cause, bernique. Les pics ne sont ni systématiquement le lundi ni le vendredi ni le dimanche. Peut-être sont-ils dus au contenu des titres… Allez savoir ; faudra que j'essaie avec Monica Belluci.
Quant à moi, je tiens le rythme… une seule semaine d'absence totale depuis le 1er juillet 2014 et un seul jour de panique (j'ai écrit le billet le lendemain).
Côté "retours", c'est maigre mais touchant. Une collègue m'a écrit, en aparté : "j'adore ton blogue". Chacun pensera ce qu'il voudra de cette déclaration lapidaire mais ça m'a fait plaisir. Souvent on m'écrit : "je ne me sens pas capable de faire des commentaires car ça vole trop haut"… Oh les flatteurs (ou les paresseux) !
Je fais de mon mieux et je connais toutes les insuffisances de ce blogue ; mais je tiens mon sujet et pour l'instant, je n'en vois pas le bout.
Il me prend du temps, c'est sûr mais m'apprend des choses aussi.
Pour aller plus loin, il y a la création d'un site ou la publication d'un bouquin. Mais je suis effaré par le nombre de livres qui sortent et partagé entre l'envie de les lire et l'envie de me mesurer à eux.
Comment laisser une trace ?
Quand on voit comme on est vite oublié - et même vite remplacé - dans les endroits où l'on est passé...
Bon, je ne peux pas terminer le billet comme cela ! Et à propos de passer, voici "À une passante" de Charles Baudelaire. Peut-on faire mieux ? Disons que Gustave Caillebotte peut faire l'équivalent avec "Rue de Paris : temps de pluie"...
La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d'une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l'ourlet ;
Agile et noble, avec sa jambe de statue.
Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son oeil, ciel livide où germe l'ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.
Un éclair... puis la nuit ! - Fugitive beauté
Dont le regard m'a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l'éternité ?
Ailleurs, bien loin d'ici ! trop tard ! jamais peut-être !
Car j'ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
Ô toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savais !
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