30/12/2014
Dominique et Georges
Je vous ai déjà parlé de ces coïncidences, de ces « rencontres » fortuites, qui, dans la littérature, me plaisent particulièrement. Elles m’ont souvent permis de faire des sauts de puce d’une œuvre à l’autre, d’un auteur à l’autre.
Je vous parlerai un autre jour de Dominique Bona, Académicienne depuis 2013 et surtout spécialiste de la biographie. Comme Paul Valéry m’intrigue, je n’ai pas pu m’empêcher de me jeter sur « Je suis fou de toi », l’histoire du grand amour de Paul Valéry pour Jeanne Voilier.
Et là, au détour d’un chapitre consacré au Pygmalion de Jeanne, que lis-je ? Que le susnommé, avocat de son état, a défendu en 1924, dans un procès qui avait passionné la France (et qui l’avait fait se plier de rire), un certain La Fouchardière. Ce triste sire était poursuivi en diffamation par l’archevêque du Mans, pour l’avoir accusé, tenez-vous bien, de toucher les loyers de plusieurs maisons closes ! Ça ne vous dit rien, l’archevêque du Mans ?
Comme je suis d’humeur badine, je vous laisse deviner son nom, ce sera l’objet d’une nouvelle devinette, qui permettra, peut-être, à ICB de prendre sa revanche sur FPY…
Et je continue l’histoire, telle que racontée par Dominique Bona.
Non content d’une accusation de proxénétisme, notre pamphlétaire s’était permis de surnommer l’archevêque, « Georgette Pétensoie », en allusion à des « mœurs efféminées » comme on disait à l’époque.
On aurait pu croire que le ténor du barreau allait défendre la soutane ; non, il défendait le provocateur ! Et l’un de ses amis, autre avocat, fit venir à l’audience, et asseoir au premier rang, toutes les prostituées de la ville.
Le comble de ce vaudeville est que l’archevêque est entré à l’Académie française (en 1936) et est resté célèbre, non pour ses frasques, mais pour son Dictionnaire des lettres françaises.
Et que notre avocat, pour y entrer lui aussi, dix ans plus tard, dut aller demander sa voix… à l’archevêque !
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20/12/2014
Écrivains contemporains et langue française : Élise Fischer (XI)
J’avais préparé mon voyage à Nancy en lisant un petit livre d’Élise Fischer (il y a bien « sch » dans son patronyme et non pas « sh », on est dans l’Est !) intitulé « Le roman de la place Stanislas » (2007), que j’avais trouvé fort opportunément dans une brocante.
Je l’ai relu en revenant ; c’était encore mieux.
La place Stanislas, magnifique avec ses grilles dorées, est la grande fierté des Nancéens ; elle est maintenant entièrement piétonne, devant l’hôtel de ville et le musée des Beaux-Arts. C’est vers elle que convergent les défilés de la Saint Nicolas et c’est là que s’admirent les feux d’artifice. Seul débat des passionnés : doit-elle être versée au crédit de Stanislas, dernier duc de Lorraine mais non héritier d’une dynastie lorraine ou bien de Léopold, son prédécesseur, le duc légitime ?
Élise Fischer, née d’un père lorrain et d’une mère alsacienne, fait partie des passionnés et de ceux qui en pincent pour Léopold ; influencée par sa mère, elle n’est pas loin de considérer que la présence de Stanislas sur le trône ducal est une imposture. Un roi de pacotille.
Son livre est une commande d’éditeur ; elle y brode l’histoire de Lorraine avec son histoire personnelle ; avec l’histoire de France aussi, parce que, depuis le XIIIe siècle, la France est un modèle et une grande pourvoyeuse de ducs (René d’Anjou…) et d’épouses (Élisabeth-Charlotte, l’épouse de Léopold est la nièce de Louis XIV, fille de la Palatine et de Monsieur ; a contrario, Marie-Antoinette, épouse de Louis XVI, est la fille de François Ier d’Autriche-Hongrie et ancien duc de Lorraine).
C’est bien troussé et souvent touchant ; Élise Fischer réussit à mettre en scène « sa » Lorraine, ses personnages illustres et les lieux de Nancy qu’elle aime : le musée lorrain, le parc de la Pépinière, la cathédrale, l’église Saint Epvre.
Elle a écrit de nombreux autres livres, dont la Lorraine est le cœur ou le prétexte ; « Les alliances de cristal » autour de Prouvé, Majorelle, Vallin, Corbin, Guingot, Gruber, Friant, Daum, Gallé, les maîtres de l’Art nouveau ; « Mystérieuse Manon » autour de Léopold… sont habilement évoqués dans le Roman de la place Stanislas.
Un écrivain régional ou régionaliste, discret mais de qualité.
« J’ai besoin de croire que l’esprit des lieux n’était pas prisonnier des vieilles pierres. Qu’il s’était posé, déposé et flottait ici et là. Avec sagesse, il aura attendu la fin des travaux pour revenir. Il n’est pas possible que tant d’histoire se perde. Stanislas, cette fois, veille… Et Léopold aussi. Mais pas seulement. À nous aussi, il appartient d’œuvrer. D’ouvrir le tiroir des curiosités, trop souvent ensommeillées dans nos petites têtes. À nous de veiller et de réveiller les endormis de l’histoire. Callot me l’a soufflé. Quand passe le vent dans les feuilles, tout peut arriver… ».
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18/12/2014
Écrivains contemporains et langue française : Éric Orsenna (IX)
Il y a des Académiciens dont on se demande ce qu’ils font : pas Jean d’Ormesson (qui vibrionne sur les plateaux de télévision et se délecte d’entendre les animateurs passe-plats ressasser qu’il serait l’écrivain préféré des Français…), pas Max Gallo ni Dominique Bona qui enchaînent qui des livres d’histoire, qui des biographies, pas Dominique Fernandez ni Jean-François Rufin qui publient de temps à autre un petit livre original… Michel Serres publie beaucoup.
Mais l’Ex ? que fait-il ?
Et Jean-Loup Dabadie, élu alors que Charles Trénet avait été retoqué à l’époque, et qui a écrit tant de belles paroles de chansons et de scénarios bien troussés, avant d’en être ?
Michel Déon se promène certainement en Irlande ; quant à Michael Edwards, élu sans doute pour montrer que l’Académie est ouverte au monde de l’understatement, il a publié en 2014 « Le génie de la poésie anglaise » ; faut le faire tout de même, quand on est hébergé chez Richelieu !
Et tous ces inconnus du grand public ? François Cheng, Jean Clair, Florence Delay ?
Bien sûr, il y a la Commission du dictionnaire…
Bien sûr, il y a les discours de réception des petits nouveaux : je discours en arrivant et tu me réponds… ça fait du boulot !
On ne peut pas reprocher à Éric Orsenna de dormir sur ses lauriers !
Il est apparu en plein jour grâce au Prix Goncourt pour l’Exposition coloniale en 1988 et comme plume éphémère de François Mitterrand, Président de la République.
Son CV est étonnant par sa diversité de compétences affichées et de postes honorifiques, signe d’un génie du réseautage : entre hypokhâgne à Versailles et l’IEP, Wikipedia ne dit rien mais on le retrouve enseignant-chercheur en finance internationale… et la biographie cite en vrac l’ENS, la London School of Economics, l’École nationale du paysage, puis Canal+ et j’en passe. Il est nommé (mais comment donc ?) au Conseil d’État, ce qui lui assure position de repli et retraite… Un catalogue de la nomenklatura parisienne.
Son prénom et son nom sont amusants : ce que j’écris Éric s’écrit en fait Erik, alors que ses origines sont cubaine et luxembourgeoise. Quant à son patronyme, c’est un nom d’emprunt (à Julien Gracq), qui cache Arnoult, qui va si bien avec Éric.
Quoiqu’il en soit, il butine d’un organisme à l’autre et écrit sur les sujets les plus divers, mais défend avec fougue, il faut le dire, la langue française (voir mon billet Émerveillement). On connaît la série « La grammaire est une chanson douce » (2001), « Les chevaliers du subjonctif » (2003), « La Révolte des accents » (2007), « La Fabrique des mots » (2013), suite et fin de sa saga sur la grammaire, qui est somme toute une belle idée.
Mais il y a son filon « économico-écolo » : Portrait du Gulf Stream. Éloge des courants : promenade, Voyage aux pays du coton. Petit précis de mondialisation, Salut au Grand Sud, avec Isabelle Autissier, L’Avenir de l’eau, Sur la route du papier.
Et il y a eu aussi, depuis 1974 : Rêves de sucre, Besoin d’Afrique, Grand Amour, Mésaventures du paradis : mélodie cubaine, Rochefort et la Corderie royale, Deux étés, Longtemps, Madame Bâ et sa suite Mali, ô Mali, Dernières nouvelles des oiseaux, Le Facteur et le Cachalot, Les Rois Mages, La Chanson de Charles Quint, Courrèges, Et si on dansait ?,L'Entreprise des Indes, Princesse Histamine…
(Source Wikipedia et Académie française).
J’ai lu "Histoire du monde en neuf guitares" qui met en scène les idoles de toute une génération (la sienne) : Hendrix, Clapton… et de la précédente (Django). C’était une bonne idée, pas vraiment développée. Une bonne idée, c’est tout.
Son « Portrait d’un homme heureux : André Le Nôtre » m’a beaucoup plu. Le sujet est passionnant (l’épopée de Versailles sous Louis XIV et de la pléiade de génies dont il avait su s’entourer). Le style d’Éric Orsenna me fait penser à celui de Pascal Quignard, très sobre. Un très bon moment (merci à SES de me l’avoir fait découvrir). Cela étant, l’exercice était un peu facile car le livre est très court, répétitif et sans réel approfondissement.
Le « Voyage au pays du coton » est un livre bizarre, disons original : c’est un tour du monde, sous forme d’anecdotes et d’aphorismes, souvent intéressants. Je trouve qu’il est resté à la surface des choses et, quant aux aspects économiques, c’est lapidaire et simpliste. Son style est sobre, voire sans relief. Ça ne m’a pas déplu néanmoins.
Juger un écrivain aussi prolixe sur trois livres, serait injuste et malhonnête. Et il me reste à lire l’Exposition coloniale. Mais je serais prof., je noterais dans la marge de ses copies : « Éric Orsenna, faites-en moins, moins souvent mais approfondissez ! ». Serait-il le Jean d’O. de la mondialisation, coqueluche sans particule du peuple avide de connaissances encyclopédiques ?
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